Une autre politique d’inscriptions scolaires est possible

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Actuellement, en Belgique, l’inscription des élèves dans les écoles a pour point de départ l’action des parents : il leur revient de choisir un ou plusieurs établissements et de tenter d’y inscrire leur enfant. Ce que propose l’Aped, c’est de renverser cette logique : commencer par proposer aux parents une école où ils seraient certains d’avoir une place et leur laisser ensuite le choix d’accepter cette école ou d’en chercher une autre.

Cet article a été initialement publié dans L’École démocratique, n°93, mars 2023 (pp. 8-9). Cliquez ici pour en savoir plus sur l’initiative citoyenne en faveur de la mixité scolaire et pour la soutenir.

Trouver une école pour son enfant relève parfois du parcours du combattant. Les parents ont beau se renseigner très tôt sur les établissements scolaires de leur région, ils ne sont pas pour autant assurés d’y obtenir une place pour leur enfant. Certains parents, surtout dans les milieux populaires, n’ont pas toujours une grande connaissance du marché scolaire. Ce sont donc souvent leurs enfants qui se retrouvent dans les établissements délaissés par les classes moyennes et supérieures. C’est ainsi que se constituent et se renforcent les ghettos scolaires.

Concilier le droit et la liberté

On pourrait dire que, à la liberté de choix, notre pays a substitué une obligation, pour les parents, de trouver eux-mêmes une école. Ce mode d’organisation du marché scolaire est terriblement anxiogène, aussi bien pour les parents que pour les jeunes. Alors que l’entrée à l’école maternelle, primaire ou secondaire devrait être un moment de joie et de fierté, notre système scolaire le transforme en une compétition stressante, de peur de ne pas trouver une place dans une « bonne école ». Qui plus est, comme cela a été montré dans l’article d’Olivier Mottint[1], ce (très) libre marché scolaire contribue grandement à la ségrégation et aux inégalités qui caractérisent notre système éducatif.
Or, le droit fondamental à l’éducation n’est assuré que si chaque enfant, chaque jeune en âge d’obligation scolaire, a la garantie formelle de pouvoir bénéficier facilement et gratuitement d’un enseignement démocratique de qualité, c’est-à-dire, entre autres choses, dans une école qui ne soit pas une sorte de ghetto de riches ou de pauvres.
Malheureusement, à défaut d’avoir attaqué le problème au coeur, les diverses tentatives pour introduire un peu de régulation dans les marchés scolaires de Belgique — les décrets « mixité sociale » et « inscriptions » en Communauté française, le décret « Gelijke onderwijskansen » en Communauté flamande — n’ont guère apporté la mixité sociale promise. Ils ont même parfois conduit à encore plus de compétition, encore plus de stress, encore plus d’angoisses. Ces décrets ont essentiellement servi à résoudre un problème de gestion des flux scolaires et à empêcher certaines pratiques injustes. Ils ont toutefois également eu le mérite d’ouvrir enfin le débat sur le « libre marché scolaire », brisant un tabou qui remonte au XIXe siècle.

À l’Aped, nous estimons que la seule façon d’en sortir est de charger les pouvoirs publics de réserver d’emblée une place pour chaque élève, dans une « bonne école », proche de son domicile. Cela nous semble devoir être un principe fondamental de démocratie scolaire. Toutefois, ce principe ne peut aller à l’encontre d’un autre principe : la liberté de choix des parents. En effet, l’attachement historique et culturel à la liberté d’enseignement est bien trop grand dans notre pays pour qu’on puisse envisager de s’y attaquer de front. Sans compter que cela nécessiterait une bien improbable révision de la Constitution et des engagements internationaux de la Belgique.

Alors, comment concilier ces deux principes ?

Réguler, mais sans obliger

Précisons tout d’abord que notre projet s’appliquerait à toutes les années de la scolarisation commune : de l’école maternelle jusqu’aux premières années de l’enseignement secondaire. Il ne sert en effet à rien de réguler les inscriptions seulement à partir du début de l’enseignement secondaire, alors que les inégalités et les ghettos sociaux sont flagrants dès l’enseignement fondamental.

Dans un premier temps, plusieurs mois avant l’entrée d’un enfant dans un niveau d’enseignement, les parents recevront un courrier pour les informer de la procédure. Il leur sera également demandé de formuler certaines préférences comme les choix philosophiques, le regroupement des fratries ou la langue d’enseignement s’ils habitent Bruxelles.

Une fois ces réponses enregistrées, un algorithme informatique sera mis au travail : il cherchera à « affecter » chaque enfant à une école en tenant compte — outre les préférences formulées par les parents — de deux facteurs essentiels : la proximité école-domicile et la mixité sociale des écoles. La faisabilité d’un tel algorithme a été démontrée, en ce qui concerne le marché scolaire bruxellois, par une étude réalisée conjointement par l’Aped et le GIRSEF (UCL). Pour plus de détails à ce sujet, voir la FAQ n°1.

Les parents recevront alors un courrier les informant qu’une place est réservée pour leur enfant dans tel établissement. Ils auront la liberté d’accepter ou de refuser cette proposition (après avoir éventuellement pris le temps de visiter l’école en question). En cas d’acceptation, l’inscription sera automatique et garantie. Fini le stress, fini le parcours du combattant. En revanche, s’ils refusent, les parents pourront formuler des demandes alternatives. Une nouvelle affectation leur sera alors proposée, si possible en tenant compte de leurs demandes, mais dans la limite des places disponibles. S’ils refusent cette deuxième proposition, alors — et alors seulement — les parents auront l’obligation de chercher eux-mêmes une place dans une école de leur choix. Ils pourront, pour cela, accéder à une base de données en ligne qui les informera, en temps réel, des places disponibles dans chaque école.

De leur côté, les établissements scolaires devront annoncer à l’avance le nombre de nouveaux élèves qu’ils pourront accueillir et ils devront s’y tenir strictement. Ils ne pourront évidemment pas refuser les inscriptions conformes aux premières ou deuxièmes propositions d’affectation émises par les autorités et acceptées par les parents. Ensuite, au terme de ces procédures, les écoles devront mettre à jour, en temps réel (donc dès qu’une nouvelle inscription est reçue), la base de données dont il a été question plus haut.
Tout ce processus sera géré par un « organisme central d’affectation des élèves » et des « Conseils de zone ». Ceux-ci auront également la charge de recommander et/ou d’autoriser, si nécessaire, l’ouverture de places supplémentaires dans une zone géographique et à un niveau d’enseignement donné (ou au contraire de réduire la voilure en cas de recul démographique).

Notes

  1. Etat des lieux : ségrégation et quasi-marché, creusets de l’iniquité scolaire à la belge

 

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.