Depuis quelques années, nous assistons à une véritable explosion des méthodes de développement personnel. Ainsi, après le succès grandissant de la « pleine conscience », l’ennéagramme fait irruption dans nos vies et dans les catalogues de formation continuée des enseignants. Intrigués par cet « outil », nous avons voulu mener l’enquête : qu’est-ce que l’ennéagramme ? Quelle influence peut-il avoir sur notre rôle d’éducateur, de citoyen, de travailleur ?
L’ennéagramme, étymologiquement figure à 9 côtés, illustre neuf types de personnalités et leurs interrelations. Selon les ennéagrammistes, tout être humain serait porteur de ces 9 types mais, chez chacun de nous, il y aurait un type dominant. Toutefois, nous nous serions enfermés dans un profil de personnalité depuis notre petite enfance par « sur-adaptation » à notre entourage (exigences de notre famille, pressions diverses,…). Dès lors, nous nous priverions des nombreux potentiels qu’ont à nous offrir les 8 autres types de personnalités. On s’éloignerait ainsi de notre être véritable, de notre essence (ce que nous étions à la naissance). Cependant, grâce à l’ennéagramme, nous pourrions sortir de notre « case » et reprendre le contrôle de notre vie par la prise de conscience de notre propre fonctionnement.
Tout un programme !
Des origines mystérieuses et ésotériques
Les origines de l’ennéagramme sont assez mystérieuses voire ésotériques (Pythagore, la Kabbale, les Soufis,…). Celui-ci est toutefois apparu au début des années 1920 en Occident grâce à Georges Gurdjieff, maître spirituel charismatique et controversé. Dans sa jeunesse, celui-ci faisait partie d’un groupe de Chercheurs de Vérité qui aurait découvert l’ennéagramme au contact de groupes soufis afghans. Pour partager sa découverte, il créa, au début du XXème siècle, un Institut pour le développement harmonique de l’Homme au prieuré d’Avon, près de Fontainebleau. Il y enseignait sa philosophie de vie : la « 4ème Voie ». Son objectif était de permettre à ses élèves d’acquérir une « essence » grâce à un triple travail qui englobe et dépasse les trois autres voies : le travail sur le corps (le centre instinctif), le travail sur les émotions (le centre émotionnel) et le travail sur le mental (le centre mental).
L’objectif assigné à chaque Homme est donc de détruire en lui sa fausse personnalité acquise par son éducation, ses identifications et son imagination, puis de se reconstruire et d’acquérir une autre vision de soi et de ses contemporains. Afin de montrer à ses élèves qu’ils agissaient en véritables machines, « Gurdjieff exerçait un contrôle absolu sur eux, leur imposant des privations multiples (de sommeil, de nourriture,…), des travaux physiques éprouvants et souvent absurdes (reboucher une tranchée aussitôt après l’avoir creusée) et des chocs émotionnels (insultes,…) »1Daniel Lafargue, La face cachée de l’ennéagramme, p. 11., tout comme le relate Daniel Lafargue dans son ouvrage critique.
Gurdjieff mourut en 1949, mais de nombreuses « écoles » se relevant de son héritage ont essaimé dans le monde entier. Ainsi, on peut retrouver son enseignement dans divers groupes : « Fondations Gurdjieff », « Institut pour le Développement Harmonique de l’Homme », « Société pour l’Étude de l’Homme », « École de Psycho Anthropologie »,… De nombreuses dérives sectaires ont été épinglées dans certains groupes par, notamment, l’UNADFI2Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes. http://www.unadfi.org/system/files/articles/Le%20Syst%C3%A8me%20Gurdjieff%203%C3%A8me%20partie.pdf qui met tout particulièrement en garde les différents partisans du « développement personnel », cibles de prédilection pour le recrutement de futurs adeptes de groupes Gurdjieff.
Ce n’est qu’au début des années 1960, période de l’avènement du New Age, qu’on entend reparler de l’ennéagramme. Oscar Ichazo, professeur en psychologie à l’Institut de psychologie appliquée de Santiago du Chili et passionné par l’ésotérisme et le shamanisme entre en contact avec des soufis afghans lors d’un voyage en Asie financé par un groupe Gurdjieff. Il sera initié à l’ennéagramme et le développera, voyant en lui un outil permettant d’enseigner une « science du développement humain ». Pour ce faire, il s’inspirera de Gurdjieff et également d’auteurs chrétiens, ce qui explique en partie le succès de l’ennéagramme dans les milieux catholiques. En 1970, il organise un stage de onze mois à Arica (frontière entre le Chili et la Bolivie), où viennent se former une cinquantaine de « chercheurs » du monde entier, dont Claudio Naranjo.
Ce dernier, psychiatre de formation, va mettre l’ennéagramme au centre de son enseignement au sein du « SAT Institute » (Seekers After Truth en référence aux chercheurs de vérité de Gurdjieff) qu’il fondera au début des années 1970. Cet institut sera fréquenté par de nombreux vulgarisateurs qui diffuseront l’ennéagramme en direction, d’une part, du monde de l’entreprise, de l’éducation et des familles avec, entre autres, Helen Palmer et, d’autre part, en direction des chrétiens avec Robert Ochs, père jésuite.
« L’ennéagramme est ainsi présenté comme un chemin psycho-spirituel à cheval entre une typologie psychologique permettant d’analyser la personnalité et un outil de croissance spirituelle, voire un moyen de salut au sens pleinement religieux du terme » résume Daniel Lafargue.3Daniel Lafargue, La face cachée de l’ennéagramme, p. 21.
Deux belges spécialistes de l’ennéagramme
Philippe Halin et Jacques Prémont, fondateurs de l’HPEI (Halin Prémont Ennéagramme Institute) ouvert en 2012 à Louvain-la-Neuve, s’inscrivent dans la lignée de leurs prédécesseurs. Ces deux licenciés en psychologie clinique (UCL) ont suivi diverses formations en développement personnel (PNL, MBTI, communication non-violente, intervention systémique,…) et « offrent » de multiples modules de formations. Ceux-ci sont adressés à des professionnels (« devenir formateur certifié HPEI », « certification à l’orientation scolaire et professionnelle », « coaching »,…) ou à tout public (« découverte des motivations des 9 bases », « l’impact sur les autres », « choisir mes études/un métier »,…).
Halin et Prémont affirment avoir « relu l’ennéagramme d’un œil partiellement neuf ». Ils ont, ajoutent-ils, « opté pour une relecture dynamique du système ».4http://www.enneagramme.be/fr/enneagramme/approche-evolutive/approche-tensionnelle Cet ennéagramme évolutif se base sur les types de personnalités développés précédemment mais il intègre également la notion de tension.
Ainsi, par exemple, une personne base 7 (autre terme pour désigner les types de personnalité), dite épicurienne, présente une série de caractéristiques (elle est mentale, enthousiaste, dynamique, visionnaire, optimiste,… elle aime la liberté et évite les contraintes), mais elle est aussi traversée par des tensions (« continuer à rêver » ou « concrétiser »). De plus, chaque base est connectée à quatre autres (les deux bases adjacentes et celles reliées par des flèches), cela conduit donc à 5 tensions. Ainsi, selon eux, si vous découvrez votre base et si vous prenez conscience des tensions qui vous habitent, vous pourrez pleinement vous découvrir et « connecter les différents aspects de votre personnalité afin d’opérer un réel chemin de transformation »5Ibidem..
L’ennéagramme, un outil de développement personnel inoffensif ?
Comme on a pu le comprendre précédemment, grâce à l’ennéagramme, chaque personne pourra mieux se connaitre, mieux comprendre ses systèmes de défenses, ses tensions internes et pourra ainsi reprendre le contrôle de sa vie. Si cela peut aider certaines personnes, pourquoi pas ?
Mais l’ennéagramme n’est pas inoffensif. En effet, cet outil de développement personnel très en vogue comporte un risque évident d’enfermement dans un système déterministe arbitraire qui ne repose sur aucune validation scientifique. Ainsi, en plaçant une personne dans une « case », le risque de lui attribuer un ensemble de traits corrélés, qui ne lui appartiennent pas forcément, est grand. Ces traits ou caractéristiques présupposés peuvent dès lors « être intériorisés par l’individu concerné qui pourrait en venir à se comporter de la manière indiquée dans son type. Comme si le fait d’être rangé dans une case pouvait influencer la manière dont la personne se vit et qu’elle donne à voir » 6Valérie Brunel, Les managers de l’âme, édition La Découverte, Paris, 2008, p.143..
Une autre dérive possible est inhérente à l’influence du « maître » ennéagrammiste. En effet, « la tradition orale se veut au cœur et au centre de l’apprentissage et de la découverte du modèle », ainsi que le spécifient Halin et Prémont. Dès lors, pour vraiment entrer dans la connaissance de l’ennéagramme, les livres ne suffiraient pas et la présence d’un « maître » serait indispensable. Il est à noter que les formations dispensées par des ennéagrammistes sont beaucoup plus rentables7Dans l’Institut de Halin et Prémont, par exemple, les formations pour particuliers s’étendent de 50 euros (« journée des panels ») à 475 euros (« couple et ennéagramme » – 2 jours de formation). que la vente de livres, mais ne voyons pas le mal partout. La personnalité et les intentions du « maître » sont donc au cœur de la problématique.
En outre, même si le « maître » respecte une certaine déontologie et laisse chacun découvrir son type à son propre rythme, l’élève n’est pas à l’abri d’une certaine manipulation et d’un typage rapide par le « maître ». D’ailleurs, selon Daniel Lafargue8Daniel Lafargue, op cit, p.33., les différentes chartes9« Charte de l’Internationl Enneagram Association » de 1994 et « Charte de l’Institut Européen pour le Développement de l’Homme » de 2001. de déontologie établies ne constitueraient en rien une protection contre ces dérives. Ajoutons que, parmi les contributeurs de la charte de 2001, figuraient Gérard Croissant (alias Ephraïm), fondateur de la « Communauté des Béatitudes », communauté chrétienne du renouveau charismatique connue pour des abus (faux souvenirs induits).
Ce dernier illustre une troisième dérive et fait apparaitre l’ennéagramme comme une passerelle idéale entre un niveau exotérique tout à fait licite et un niveau ésotérique beaucoup plus problématique et pouvant mener à des dérives sectaires.
L’ennéagramme a-t-il dès lors sa place au sein de l’école ? L’école doit-elle offrir cette porte d’entrée à un « outil » sujet à controverse ?
L’ennéagramme, outil stéréotypé
Les typologies proposées par l’ennéagramme sont simples à utiliser car elles apportent une modélisation schématique de l’appareil psychique. Cette simplicité d’utilisation explique, en grande partie, le succès de l’ennéagramme. De plus, comme le souligne Valérie Brunel, « cette modélisation est souvent fondée sur une approche « réaliste » car elle se fonde sur des types d’attitudes ou de comportements directement observables pour tout un chacun. Ces théories considèrent que les comportements des individus […] vont suivre des lois identiques. Ces simplifications abusives répondent à une visée fonctionnaliste »10Valérie Brunel, op. cit, p.154..
Peut-on dès lors faire confiance à cet outil se basant sur une description parfaitement stéréotypée de la personnalité ? Tout comme dans l’astrologie, chacun pourra se reconnaître dans un type et aura tendance à donner une signification précise à celui-ci. L’ennéagramme prendra donc sens car la personne cible remplira inconsciemment les blancs en l’adaptant à sa propre histoire. C’est ce que l’on appelle l’effet « Forer » ou « effet de validation subjective ».
Par ailleurs, la complexité liée à la dynamique des ennéatypes (les types, les ailes, les tensions, les centres énergétiques, les sous-types,…) permettra, tout comme avec les ascendants, les planètes et les maisons,… en astrologie, de « rattraper » n’importe quelle incohérence entre le type de base et le comportement réel de la personne. Ainsi, devançant toute critique, l’ennéagrammiste pourra expliquer qu’un type 1 pourra se reconnaitre aussi dans un type 9 et 2, ses « ailes ». Aucune réfutation n’est donc possible puisque tout est dans tout ! Par conséquent, si on ne peut pas montrer qu’un type est faux, on ne peut pas non plus montrer qu’il est vrai. Mario Sikora11Mario Sikora est coach de dirigeants et consultants, co-auteur de Awareness to Action: The Enneagram, Emotional Intelligence, and Change et ancien président du Conseil de Direction de l’IEA (International Enneagram Association)., ennéagrammiste convaincu, interrogé sur le caractère scientifique de l’ennéagramme déclare : « Je ne pense pas qu’il soit possible d’invalider l’idée qu’il y a 9 types de personnalités à la base. Il y a tant de manières d’utiliser l’Ennéagramme […] que les ennéagrammistes peuvent répondre ou rencontrer presque toutes les objections à l’idée que chacun se retrouve quelque part dans le modèle. J’ai aussi trouvé peu de valeur prédictive dans l’Ennéagramme : nous ne pouvons prédire avec une fiabilité utile comment quelqu’un va réagir à une situation ou circonstance donnée, quoi que nous sachions du profil Ennéagramme d’une personne ».12http://www.ninepointsmagazine.org/penser-lenneagramme-1-la-science-la-non-science-et-la-pseudo-science-mario-sikora/ Il conclut en affirmant que l’ennéagramme n’est pas une science mais une non-science qui, à ses yeux, est formidablement utile car elle permet d’expliquer et d’interpréter a posteriori les actions des différents types à travers l’ennéagramme.
Faire entrer à l’école l’ennéagramme – outil stéréotypé, fonctionnaliste et non scientifique – nous semble dès lors dangereux car il est très sérieusement sujet à caution.
L’ennéagramme, outil d’orientation scolaire
L’ennéagramme permettrait, comme nous l’avons souligné, de mieux se connaitre. Il aurait donc, selon ses adeptes, un rôle important à jouer dans l’éducation tant pour les élèves que pour les enseignants.
Parlons tout d’abord des élèves. Ceux-ci trouveraient dans l’ennéagramme un bel outil d’orientation scolaire. Ainsi, après avoir découvert leur type et les caractéristiques inhérentes à celui-ci, ils pourraient dégager, avec l’aide d’un « maître », leurs centres d’intérêts professionnels et les métiers y correspondant.
En cette période d’incertitude pour de nombreux adolescents et parents d’adolescents, on décèle bien là une opportunité pour des ennéagrammistes, tels Halin et Prémont13Formation « Choisir mes études / un métier » pour les jeunes de 16 à 22 ans : 2 jours pour 295 euros., de développer un marché ô combien lucratif.
L’aspect commercial n’est donc pas négligeable mais l’aspect humain apparaît davantage problématique. En effet, le risque majeur de l’utilisation de l’ennéagramme dans l’orientation scolaire est l’introduction d’un certain déterminisme : l’ennéagramme déciderait ainsi de l’avenir professionnel des élèves.
De plus, l’adolescent, en pleine construction, risque de se sentir étiqueté et de se conformer inconsciemment aux caractéristiques propres à son type.
Imaginez, maintenant, que ce soit un professeur qui ait typé son élève ! L’idée que le professeur se formera de l’élève et de son potentiel pourra déterminer en partie les résultats de ce dernier et, en retour, l’élève aura tendance à modifier son comportement pour coller à l’image que le professeur se fait de lui. Ce phénomène, souvent expliqué en psychopédagogie, est connu sous le nom d’« effet Pygmalion ».
L’ennéagramme en tant qu’outil d’orientation scolaire ne ferait que renforcer un certain déterminisme et serait un instrument de plus au sein d’une approche orientante que nous refusons.
L’ennéagramme, outil de formation continue
Nous ne reviendrons pas sur les risques déjà évoqués précédemment lorsque l’enseignant « typera » ses élèves et adaptera sa posture d’enseignement aux différents types supposés (cf. « effet Pygmalion »).
Ces risques nous semblent bien réels. Pourtant l’enseignement de l’ennéagramme a trouvé une place dans les catalogues de formations professionnelles destinées aux enseignants (profor, Cpeons, Cecafoc) et certaines équipes pédagogiques ont directement été approchées par leur direction pour s’inscrire à des formations à l’ennéagramme. Les objectifs de ces formations14Formation en cours de carrière 2017 – l’ennéagramme, une typologie de la personnalité au service du développement professionnel et personnel, enseignement catholique.be. sont explicites : « accepter les autres et moi-même avec tolérance et bienveillance », « mieux communiquer et entrer en relation avec les autres bases », « différencier les apprentissages selon les bases », « gérer les groupes et différencier », « manager une équipe »,…
La Fédération Wallonie Bruxelles doit-elle vraiment cautionner, à travers des formations continues agréées, un outil non-scientifique et sujet à tant de controverses ?
L’ennéagramme, outil de management
L’ennéagramme a trouvé une place de choix dans le monde de l’entreprise au sens large. Il est, à en croire certains formateurs tels Thibault Verbiest15Thibault Verbiest est entrepreneur, coach certifié EMCC (European Mentoring & Coaching Council), auteur de la chronique « Manager autrement » du quotidien l’Écho et formateur spécialisé en outils d’intelligence collective en entreprise., un outil efficace de management. Ainsi, selon lui16Thibault Verbiest, Manager ses équipes avec l’ennéagramme, L’Écho, jeudi 19 septembre 2013, p. 13., l’ennéagramme permettrait au manager d’identifier son « type » et donc son style de management. Il pourrait ainsi adapter son mode de fonctionnement et de communication en fonction des situations et des différents « types » de ses collaborateurs. L’ennéagramme serait ensuite un outil précieux de gestion des équipes puisque ses différents membres pourraient apprendre à reconnaître les spécificités et les besoins de chacun tout en gérant efficacement les différents malentendus, les critiques, les conflits, les non-dits,…
La pratique de l’ennéagramme en milieu professionnel tracerait donc les contours d’une entreprise idyllique où les relations entre manager et membres de l’équipe seraient apaisées pour le bien de tous et surtout pour le bien de l’entreprise. C’est certainement cet aspect des choses qui a séduit Jef Colruyt, président du conseil d’administration du groupe Colruyt, adepte de l’ennéagramme depuis de nombreuses années. Convaincu des bienfaits de celui-ci, il propose à ses employés des modules de formation financés par l’entreprise17Ses formations se déroulent en dehors des heures de travail des employés et sur base volontaire.. Le président du groupe fait part de son expérience et avoue, à demi-mots, que le recrutement des membres de l’équipe de leadership peut se faire en fonction des types de personnalités. Ainsi il a observé que son équipe de managers était essentiellement constituée de types 8 (les meneurs) et qui leur manquait des types 9 (les médiateurs) qui ont le souci de fédérer, et des types 5 (les observateurs) ou 3 (les battants) qui mettent au point des stratégies18http://enneagram.eu/fr/professionnels/temoignages.
Après les tests psychotechniques, la graphologie, la psycho morphologie,… à quand les entretiens d’embauche sur base de votre type ? Cela n’est pas surréaliste lorsque l’on sait que certains organismes tels que le centre d’étude de l’ennéagramme proposent des formations « Ressources Humaines » permettant d’apprendre à typer rapidement un candidat à son insu19http://www.cee-enneagramme.eu/intervention-en-entreprise/formation-rh/.
Aux dimensions psychothérapeutiques (développement personnel) et morales, s’adjoint donc une dimension utilitariste de l’ennéagramme qui peut être un outil très intéressant pour le New Management.
L’ennéagramme, outil au service d’un « New management »
Les pratiques de « développement personnel » en général, et de l’ennéagramme en particulier, investissent la littérature managériale et font leur entrée dans de nombreuses entreprises. Ces formations permettraient aux travailleurs de se sentir mieux, de mieux communiquer, d’améliorer leurs relations,… et, dès lors, d’être plus efficaces, plus performants au travail. Elles s’inscrivent donc bien dans un projet managérial car elles relient des objectifs individuels (augmenter son bien-être) et des objectifs organisationnels (être plus efficace).
Le monde du travail est en plein changement et l’idée d’un pouvoir centralisé et fortement hiérarchisé apparaît depuis quelques années anachronique. En effet, l’heure est à présent au leadership partagé. Finis donc les « chefs », voici les « managers », les « leaders » dont le rôle est d’animer des équipes, de coordonner des salariés. Ces derniers, quant à eux, doivent obéir à deux maître-mots : « autonomie » et « responsabilité ». Ainsi, sous des dehors trompeurs d’autonomie, l’entreprise attend en fait que le salarié gère avec responsabilité son « capital humain » et qu’il le fasse fructifier pour le bien de l’entreprise.
L’autonomie, comme le souligne Valérie Brunel, n’est donc plus psychique mais devient « la capacité à prendre librement des initiatives allant dans le sens des intérêts de l’entreprise. La responsabilité n’est plus celle d’un sujet face à ses actes, mais celle d’un acteur organisationnel porteur d’un rôle dans le système ».20Valérie Brunel, op.cit., p.194.
L’ennéagramme joue donc un rôle essentiel dans ce « New Management » : tout en responsabilisant le travailleur, il permet de substituer à la contrainte sociale une contrainte purement psychologique. Le travailleur va ainsi intérioriser les exigences de l’entreprise. Dès lors, s’il est stressé, au bord du « burn out », la politique de management ne sera nullement en cause, mais c’est lui, en tant qu’individu mal adapté à son environnement professionnel, qui devra se remettre en cause, grâce à l’ennéagramme, bien sûr ! Nous assistons à une « nouvelle forme de « dressage social » passant par la régulation des conduites et « psychologisant » les rapports sociaux pour les traduire en termes de manque de compétences individuelles et relationnelles » ajoute Valérie Brunel21Valérie Brunel, op.cit., p.181..
L’ennéagramme et toutes autres techniques de développement personnel ne se cantonnent donc plus aux dimensions psychologiques et morales, mais revêtent, une fois de plus, une dimension utilitariste. En effet, ces techniques ne sont valorisées dans l’entreprise que parce que l’on considère qu’il s’agit du moyen le plus efficace pour mobiliser l’individu vers les objectifs de l’entreprise. Ce pseudo humanisme est donc mis au service d’un projet d’efficacité en entreprise et pourrait apparaître comme un outil d’adaptation de chacun à la société néo-libérale.
L’ennéagramme, outil au service de la nouvelle gouvernance des écoles
Le « Pacte pour un enseignement d’excellence » a pour pilier une nouvelle gouvernance du système éducatif. Dès lors, au nom d’une « modernisation » et d’une plus grande « autonomie », le « leadership »22Terme employé par le Groupe Central du Pacte dans l’avis n°3. du directeur sera renforcé. Chaque école devra établir, dès 2018, un plan de pilotage respectant des objectifs généraux, fixés par la FWB, et des objectifs spécifiques à l’établissement. Pour s’assurer l’adhésion de tous, ces plans devront être conçus par le « leader » pédagogique entouré de l’ensemble des acteurs de l’école. En outre, toute école présentant des écarts significatifs de performances sera suivie de près par les DCO (Délégués aux Contrats d’Objectifs) et pourra être l’objet d’un audit externe en cas de « mauvaise volonté manifeste ».
Les logiques entrepreneuriales et le « New Public Management » font donc clairement leur entrée dans un des derniers bastions du service public !
Ainsi, tout comme dans l’entreprise privée, chaque acteur de l’école sera responsabilisé et sommé d’atteindre des objectifs, des chiffres en termes de réussite des élèves. Cette nouvelle gouvernance, déjà d’application depuis plus de 30 ans dans des pays tels que les USA ou l’Angleterre, a montré ses effets sur les enseignants. Ceux-ci sont en effet soumis à un stress constant car ils craignent de ne pas obtenir de bons résultats.
Mais, heureusement pour les enseignants, l’ennéagramme, enseigné lors de formations continues, leur permettra de mieux gérer tout ce stress inutile et de développer toutes leurs potentialités au service de l’efficience de leur école. Merci l’ennéagramme !
En conclusion, l’ennéagramme aux origines mystérieuses, voire ésotériques, est un outil non-scientifique et stéréotypé qui apparaît comme un instrument manipulateur au service d’un « new management » purement néo-libéral.
Nous ne nions pas que l’ennéagramme puisse être profitable sur le plan individuel et psychologique, même si certaines dérives sectaires ont pu être observées. Cependant, celui-ci nous apparaît dangereux à plus d’un titre.
En tant qu’outil d’orientation scolaire, il comporte un certain risque d’étiquetage porté à son comble sur des enfants ou des adolescents en pleine construction. En outre, il risquerait d’introduire à l’école un déterminisme insidieux, une sélection sociale où c’est le type de personnalité qui déciderait de l’avenir professionnel des élèves.
En tant qu’outil de formation professionnelle, il apparaît comme un très bon instrument au service du « new management » néo-libéral et de la production d’un individu adapté à son rôle dans l’organisation de l’entreprise, qu’elle soit publique ou privée. Le travailleur, sommé de faire fructifier son « capital humain », doit se plier aux exigences du monde du travail. Il doit être efficace, flexible, adaptable, autonome, responsable, réflexif. L’ennéagramme apparaît donc comme un instrument manipulateur permettant d’intérioriser toutes les contraintes professionnelles et, dès lors, de responsabiliser à outrance le travailleur.
Dans une école qui tend à former un « capital humain » prêt à l’emploi, l’enseignement de l’ennéagramme, apparaît dès lors comme une porte d’entrée idéale de formation d’une main d’œuvre clé sur porte. Un pas de plus vers l’asservissement de l’individu…
References
Jacques Prémont, le patron de la société « Enneagram Institute », qui vend des formations à plusieurs centaines d’euros, nous envoie un « droit de réponse » à notre article « Ennéagramme et nouvelle gouvernance des écoles » . Bien que ce texte ne relève en rien de la législation sur les droits de réponse (il n’existe évidemment pas de droit de réponse pour des divergences d’ordre idéologique ou scientifique) nous avons choisi de le publier. En effet, le jargon sur les « neuf bases » et les témoignages qui y sont présentés illustrent à merveille le caractère pseudo-scientifique que critique Cécile Gorré dans son article. Celle-ci répond ci-dessous aux remarques de Jacques Prémont.
Droit de réponse à l’article de Cécile Gorré « Ennéagramme et nouvelle gouvernance des écoles ».
Dans un ouvrage de haut vol « Se cultiver en complexité. La trialectique : un outil transdisciplinaire. », Gérard Gigand développe la thèse que tout processus d’observation par un sujet est naturellement infléchi par une vision partiale, partielle et parcellaire de la ‘réalité’ observée. Autrement dit, nous voyons ce que nous voulons bien voir (concept d’«auto-référence» lié à la partialité); nous ne voyons qu’une partie de cette réalité (concept d’ «incomplétude» lié à la vision partielle à savoir « là d’où je vois, je ne vois pas »); et enfin dans le champ où il nous est donné de percevoir, la précision de notre vision est sélective (concept d’ «indétermination» lié à la vision parcellaire). Il développe à partir de là un outillage conceptuel rigoureux pour penser la complexité. Cette approche trialectique, qui s’inscrit dans la mouvance des Morin, Bateson et Nicolescu, nous paraît intéressante pour éviter les analyses réductrices et binaires des ‘réalités’ observées.
Lorsque nous avons découvert l’ennéagramme il y a vingt-cinq ans à l’occasion d’une formation suivie sans a priori avec une formatrice brésilienne, nous avons été marqués par la profondeur et la justesse de cette approche. Lors des panels des personnes des 9 Bases (types ou styles de personnalité) venant d’horizons très variés, nous avons été impactés par les réactivités communes des personnes au-delà des évidentes différences individuelles.
Marqués par les courants de la psychologie sociale de la fin des années 70 et du début des années 80 qui nous avaient appris à minimiser voire à dénier le concept de personnalité, ce fût une secousse de découvrir la puissance du fonctionnement des 9 Bases à partir de la parole des personnes elles-mêmes. Sans forcer le trait, on peut apparenter ce dispositif des panels des 9 Bases qui est au cœur de notre pédagogie, à un processus ‘démocratique’ qui prend en compte les thématiques fondamentales qui habitent les personnes. Dans le déroulé des formations, la prise de parole des participants dans un cadre respectueux sur base libre et volontaire est sans doute une des forces majeures du processus.
En commençant à animer des formations à petite échelle à la fin des années 90, nous avons été surpris de voir l’impact considérable de la démarche en tant qu’approche de connaissance de soi et des autres et cela auprès de publics très variés. Question : n’étions-nous pas en train de stigmatiser les participants enthousiastes à nos formations avec les lunettes déformantes – ou pire manipulatrices – de l’ennéagramme cet outil « stéréotypé, fonctionnaliste et non-scientifique » selon Cécile Gorré ?
La question de la crédibilité et de la pertinence de l’ennéagramme est majeure pour des formateurs qui veulent offrir des garanties de sérieux et de professionnalisme aux publics avec lesquels ils travaillent. C’est pourquoi nous avons investi beaucoup d’énergie dans des recherches pour vérifier s’il pouvait être validé selon les normes scientifiques en vigueur dans le monde académique. Un travail rigoureux de plusieurs années nous a amené à publier en 2012 un manuel qui présente les données qui valident scientifiquement le modèle à travers le questionnaire qui a été utilisé pour mesurer les Bases (le HPEI – Halin Prémont Enneagram Indicator). Ce travail a été réalisé sous la supervision d’un comité scientifique de l’UCL dont les professeurs Frédéric Nils et Jacques Grégoire qui assure les cours de psychométrie à la faculté de psychologie. Prétendre dès lors que l’ennéagramme est ‘non scientifique’ comme l’exprime l’auteure est une contre-vérité manifeste. Comme nous l’ont dit plusieurs chercheurs totalement sceptiques au démarrage quant à l’ennéagramme, « je m’incline devant les résultats statistiques ». Il est intéressant de noter que le questionnaire a été traduit et validé dans 15 langues dont l’hébreu et le russe par exemple. Ce qui semble indiquer qu’il transcende les cultures.
Affirmer que les origines de l’ennéagramme sont mystérieuses est trivial. Issu d’une tradition orale, il est par définition hasardeux de retracer le fil de son histoire sous peine d’interprétations approximatives et invérifiables. Celles-ci sont nécessairement marquées par l’idéologie des auteurs qui s’attaquent à ce sujet. Pour se faire une idée des premiers fondamentaux théoriques de l’ennéagramme, nous renvoyons les professionnels que nous certifions aux travaux d’Helen Palmer. Docteur en psychologie, elle a été la première à rédiger un ouvrage sur l’ennéagramme en rompant avec la tradition orale en vigueur à l’époque. Elle s’est appuyée sur les travaux d’Ichazo (docteur en psychologie) et de Naranjo (psychiatre) qui ont été dans les années soixante et au début des années septante, les premiers chercheurs à formaliser de manière approfondie des descriptifs des différents profils dans une perspective psychologique selon les référents théoriques de leur époque.
L’émergence du symbole de l’ennéagramme au travers de traditions spirituelles, religieuses et ésotériques notamment à l’occasion de pratiques méditatives, ne peut être en soi ni un argument pour le cautionner ni pour le disqualifier. Le parallèle avec la mindfulness est évident. Alors que durant longtemps celle-ci a été décriée par le monde académique, elle est aujourd’hui l’objet d’un nombre considérable de recherches scientifiques qui ont validé ses effets sur le stress par exemple. Depuis quelques années, l’ennéagramme commence aussi à être l’objet de diverses recherches dans le monde universitaire. Il n’en reste pas moins que tant pour l’ennéagramme que pour la méditation ainsi que pour toute autre méthode de développement personnel/professionnel, il est toujours possible que des formateurs peu scrupuleux les utilisent à leur profit dans un esprit plus ou moins sectaire.
Dans son article, l’auteure décode l’ennéagramme essentiellement à partir du concept d’outil. Or, il nous apparaît essentiel de ne pas le limiter à cette terminologie réductrice. En termes trialectique, on pourrait dire que l’ennéagramme est à la fois un outil, un modèle et une démarche. Un outil parce qu’il donne des clés concrètes et opérationnelles dans les domaines par exemple de la communication, du leadership, de la motivation scolaire, … Il s’apparente à un modèle parce qu’il offre une cartographie dynamique de la personnalité. Il importe de garder en tête qu’une modélisation n’est jamais qu’une représentation de la réalité observée et non pas une vérité. En effet, « la carte n’est pas le territoire » selon l’adage. On pourrait pousser encore plus loin la métaphore en suggérant que « le territoire n’est pas le territoire » puisque celui-ci se transforme constamment. Il en va de même pour notre personnalité. La perspective d’un ennéagramme évolutif n’est pas antinomique avec l’hypothèse d’un style de personnalité de départ. Toute transformation ne peut se déployer qu’à partir d’une base de décollage. Notre identité n’est donc pas figée mais évolutive. Dans cette perspective, l’ennéagramme est non seulement un outil et un modèle mais aussi une démarche. Il offre une trajectoire non linéaire de conscientisation de soi, de son impact sur les autres et de ses ressources d’évolution.
La richesse et la fécondité de l’approche ennéagrammique nous est confirmée au travers des évaluations des milliers de participants (d’âges, d’origines, de cultures, d’horizons professionnels les plus variés et parfois au sens critique aigu !) à nos formations – tant en intra qu’en inter – qui plébiscitent la démarche. Un de ses effets direct est le développement d’un esprit de bienveillance et de tolérance actives tant par rapport aux autres que par rapport à soi-même. Ce bref témoignage d’un directeur d’école illustre le processus de décodage et d’évolution qui se met en place à travers la démarche.
La formation a été pour moi un déclencheur de changements dans mon boulot. Par exemple, il m’arrive maintenant plus facilement qu’avant de pouvoir refuser une demande et de dire non pour me protéger et pour éviter d’être écrasé par la dépendance des autres envers ma personne. Cela me permet de respirer davantage et de retrouver un peu de temps pour moi. J’arrive à déléguer davantage sans m’obliger à prendre sur moi et à assumer une charge de travail trop conséquente. J’ai remarqué également que suite à un service rendu, j’attends beaucoup moins qu’auparavant un merci en retour.
Dans l’approche actualisée que nous avons développée et continuons sans cesse à faire progresser de l’ennéagramme, nous avons toujours eu l’intuition qu’il est essentiel de sortir des descriptions figées qui réduisent les personnes à des traits stéréotypés, fonctionnalistes et fixistes. Pour ce faire, nous avons développé une perspective dynamique qui nomme les mouvements intérieurs qui sont potentiellement au cœur des différents profils. Nous enrichissons en permanence notre connaissance de ceux-ci à partir des témoignages que nous récoltons au jour le jour au travers de récits multiples dans des contextes diversifiés. Notre posture se veut anti-idéologique : ce n’est pas la ‘vie’ qui doit rentrer dans les ‘cases’ du modèle mais le modèle qui doit s’adapter à la ‘vie’ telle que racontée à travers les récits des gens. Notre modélisation de l’ennéagramme se construit donc d’une part à partir des recherches et d’autre part à partir de notre pratique clinique, d’animation et de formation auprès de publics variés : entreprises, écoles, monde associatif, …
Dans notre pratique des métiers de formateur, coach et psychologue clinicien, nous sommes sensibles à l’idée de l’inaliénable singularité de chacun. Si l’ennéagramme éclaire les dynamiques de la personnalité, il est loin d’en circonscrire la totalité. Naviguant entre le poids des déterminismes et l’aspiration à vivre librement, chacun trace son histoire qui est marquée par de multiples facteurs : familiaux, culturels, génétiques, …
Dans son article, l’auteure interroge longuement à travers un procès uniquement à charge, les pratiques de l’ennéagramme tant dans le monde de l’entreprise que dans le monde de l’enseignement en particulier dans le domaine de l’orientation scolaire et professionnelle.
Si nous avons commencé à intégrer l’ennéagramme dans l’univers de l’orientation scolaire et professionnelle, c’est à la suite d’une recherche théorique menée par le professeur Nathalie Delobbe qui a démontré la validité incrémentielle du HPEI par rapport à l’outil des ancres de carrière (voir manuel). Autrement dit, l’ennéagramme s’avère être un support potentiellement efficace pour l’aide au discernement vocationnel. En collaboration avec le Professeur Nils, nous avons développé une méthode qui s’appelle ‘Projeter les films de ma carrière’. Son but est d’aider le jeune à formuler des scénarios possibles d’études et de carrière pour en finale retenir celui qui lui convient le mieux en fonction de sa personnalité, de ses compétences, de ses centres d’intérêts, de ses rêves, du marché, …
Un des objectifs majeurs de la méthode est d’amener le jeune à devenir pleinement acteur de sa vie. En vue de cela, nous utilisons dans la première étape de la démarche (‘quel acteur je suis’) quatre questionnaires dont l’ennéagramme. Loin d’enfermer le jeune, nous observons que la prise de conscience de ses fonctionnements pour le meilleur et pour le pire constitue une étape importante pour lui à travers un processus d’appropriation ou de réappropriation de ses besoins profonds et de ses motivations essentielles. Au-delà de la structure de surface de sa personnalité, celle des comportements apparents, le cheminement proposé vise à l’aider à toucher en toute liberté à sa structure profonde. L’ennéagramme est actuellement le modèle le plus puissant pour atteindre cet objectif ce qui est validé par les données statistiques recueillies. En termes techniques, on parle dans les ouvrages ou articles scientifiques de la part de variance expliquée.
Nombre de jeunes souffrent des étiquettes réductrices dont ils ont été affublés que ce soit dans le milieu scolaire, familial, … Une pratique éthique, respectueuse et professionnelle de l’ennéagramme conduit souvent le jeune à une meilleure compréhension de lui-même au-delà de ses comportements de surface. Lorsque ce mouvement d’élucidation de soi est enclenché, l’effet subjectif produit est aux antipodes de la perception d’un nouvel étiquetage. On observe chez le jeune une capacité accrue à appréhender son univers intérieur et à lui donner du sens pour en finale s’ouvrir à des évolutions possibles.
Après le sentiment libérateur que m’a procurée la découverte de ma base, je décrypte déjà un peu mieux certains de mes comportements chroniques en mettant des liens entre eux. Fascinant, c’est absolument fascinant de découvrir ces liens suite à la seule découverte de ma base. Il ne me manquait finalement qu’une clé de compréhension, un guide.
Outre l’aide au décodage de sa personnalité, l’ennéagramme s’avère être d’une double utilité pour l’orientation : d’une part il met en lumière les contextes professionnels potentiellement favorables pour le jeune. D’autre part, il met en exergue les processus d’orientation spécifiques à chaque Base avec leurs points forts et leurs points faibles. La connaissance et le repérage de sa manière de fonctionner conduit le jeune à prendre une position ‘méta’ et à devenir plus lucide par rapport à lui-même et aussi aux autres. Ce qui lui ouvre la porte à la possibilité d’opérer des choix plus libres et plus éclairés.
Prenons l’exemple de Julien qui s’est reconnu en Base 3. Sa tendance naturelle est de faire dans tous les domaines des choix en fonction des attentes de son environnement. Concernant son choix d’études, il avait opté pour celles qui étaient les plus valorisés par son milieu à savoir la médecine. En tant que guide de lecture, l’ennéagramme lui a permis de conscientiser ce processus d’identification forte aux attentes des autres et de trouver les pistes pour identifier son véritable projet. Ce qui lui a demandé un solide travail sur lui. Julien a fini par se réorienter en délaissant ses études de médecine pour celles d’instituteur qui lui vont comme un gant. Le prix à payer a été de faire face à la déception de ses parents ce qui n’a pas été simple pour lui vu son énorme besoin de reconnaissance.
J’ai toujours voulu donner une bonne image de moi. A la maison on me répétait sans cesse : « tu mets ton masque en société ». Et c’est ce que j’ai fait depuis tout petit en cherchant les compliments. Un compliment c’est une victoire. J’ai un outil façade et sourire bien au point. Je devais faire la médecine à l’unif pour être apprécié, pour être dans la marque de fabrique de ma famille. Je n’étais pas heureux à l’unif. Quand j’ai découvert ma Base, j’ai compris que je n’étais pas fait pour ces études mais que je ne voulais pas le voir. Mes études d’instit m’ont fait changer. J’en ai eu marre de mettre mon masque tout le temps. J’ai découvert que je pouvais être apprécié pour ce qu’il y a derrière le masque. Tout en gardant l’outil façade pour ceux qui n’ont pas à le savoir.
Pourrait-on aller jusqu’à dire que la démarche que nous proposons en orientation est ‘politique’ au sens large ? Nous le pensons car elle est une invitation pour les jeunes à réfléchir à la place qu’ils souhaitent prendre dans la société au-delà des prescriptions et pressions du milieu environnant. Nous réfutons donc l’accusation de choix déterministe émise par l’auteure. Nous n’associons d’ailleurs jamais les Bases ennéagramme à des catégories professionnelles, ce qui serait aux antipodes de notre philosophie.
Quant au développement d’un marché lucratif, l’investissement dans ce projet est davantage un centre de coûts que de bénéfices. Nous aurions préféré en discuter de vive voix avec l’auteure qui ne nous a pas rencontrés et qui ne mesure apparemment ni les efforts importants consentis en termes de temps et de financement ni les finalités de ce projet que nous développons également auprès de publics plus fragilisés socialement.
En ce qui concerne les formations ennéagramme avec les enseignants et les directions d’écoles, nous sommes heureux d’avoir pu les initier en Belgique francophone il y a plus de quinze ans. Depuis lors effectivement, un réel engouement est né. Uniquement pour former des petits soldats à la solde de l’appareil en place ? Cette analyse de l’auteure nous paraît étonnamment simplificatrice et peu documentée pour un article censé s’adresser aussi à des chercheurs. Nous les laisserons se prononcer sur ce sujet.
Quelle peut donc être l’utilité d’une formation ennéagramme en milieu scolaire ? Voici à titre d’exemple le témoignage de Pierre Scieur directeur de l’école technique et professionnelle de Manage qui a organisé une session de deux jours pour l’ensemble de son équipe pédagogique.
Le moment le plus fort de la formation a été la succession de panels d’enseignants volontaires regroupés par base. Le niveau d’implication dans le témoignage a été très fort. Les collègues volontaires avaient, m’ont-ils confié, envie ou besoin de s’exprimer. Chaque panel se terminait par la question : comment communiquer au mieux avec des élèves de votre base ? Ce qui est très utile dans le quotidien et donne des clés simples pour l’interaction même si cela demande de sortir de sa zone de confort.
A l’entame de nos formations, pour faire comprendre la notion de Base de la personnalité, nous l’associons volontiers à la métaphore de la langue maternelle. Si chaque personne dispose à la naissance de la capacité innée de pouvoir parler toutes les langues, il s’appropriera rapidement l’une d’elles. Ce qui ne l’empêchera pas d’apprendre le cas échéant plusieurs langues au cours de son existence. Dans une perspective pédagogique, nous pensons qu’il est important de connaître les différents styles des élèves pour les rejoindre dans leurs motivations. Il suffit d’écouter les réponses de deux élèves de deux Bases différentes à la question « qu’est-ce qu’un bon prof et un cours intéressant selon toi ? » pour mesurer combien les styles motivationnels sont associés au style ennéagramme de l’élève. Leur prise en compte demande à l’enseignant de devenir davantage polyglotte et de sortir effectivement de sa zone de confort, ce qui peut être soutenu par un travail de développement personnel/professionnel.
Mon rapport à la matière est d’abord affectif. J’aime les sciences parce qu’elles me permettent de donner un sens profond aux choses qui nous entourent : la vie, la reproduction, … J’aime l’enseignant qui nous considère, qui est sympa, qui a un sourire, pour qui on existe.
J’ai beaucoup de respect pour le prof qui connaît bien sa matière et sait la faire passer. Le prof doit gagner le respect des élèves. Un prof distant, ça ne me pose pas de problème. Son boulot est de bien donner cours. Quand les choses sont trop lentes, ou que le prof n’est pas clair, cela m’énerve intérieurement et je me dis qu’il est vraiment con.
Cette prise en compte de la diversité vaut bien entendu pour tout travail collaboratif. Difficile en effet de coopérer avec l’autre si je ne comprends ni ne parle au moins un peu sa langue. Tout travail d’intelligence collective est fortement facilité lorsqu’un modèle commun est mis en place comme celui de l’ennéagramme.
Venons-en maintenant à cet autre cheval de bataille de Cécile Gorré qui porte sur la vaste thématique du monde de l’entreprise et du management.
Nous avons récemment refusé d’intervenir dans une organisation qui nous demandait de travailler sur la gestion du stress à partir de l’ennéagramme. Dans ce cas-ci, la question de l’asservissement chère à l’auteure était manifeste. Nous refusons d’agir dans des contextes où il y a incohérence entre la visée de la formation et la politique organisationnelle et institutionnelle de l’entreprise. Animer des sessions sur la gestion du stress dans un contexte qui le génère et où le management s’en lave les mains relève d’un contre-sens absolu.
Conclusion
Selon Edgar Morin « La démocratie est, en profondeur, l’organisation de la diversité ». En ce sens, nous considérons que l’ennéagramme en tant que démarche de valorisation des différences, contribue au processus démocratique. La connaissance et la reconnaissance mutuelles dans un climat d’ouverture et de liberté suscitent non pas le conformisme social mais l’épanouissement de la diversité.
Cela dit, nous avons toujours considéré comme important de ne pas nous inféoder à une lecture exclusive du réel et à une approche univoque de la personnalité. Le sectarisme de la pensée unique est effectivement un vrai risque. Comme le dit l’adage : « Quand on n’a qu’un marteau dans sa boite à outils, tous les problèmes ont tendance à prendre la forme de clous ». Nous valorisons donc la complémentarité des approches et des référents théoriques multi-niveaux. Nous invitons toujours les participants à nos formations à rester vigilants et critiques par rapport au modèle de l’ennéagramme qui n’est jamais qu’un référent parmi d’autres dont la grille de lecture est forcément limitée. La prise en compte des facteurs sociaux, anthropologiques, historiques, … sont essentiels pour appréhender la complexité de l’être humain dans une perspective systémique.
Comme Cécile Gorré, nous sommes fortement intéressés par les questions de l’orientation et de la gouvernance scolaire. Nous serions ravis de participer avec elle et pourquoi pas avec d’autres intervenants à un débat démocratique sur ce sujet pour confronter nos points de vue forcément partiels, partiaux et parcellaires afin de les enrichir avec hauteur de vue en acceptant de décoder de part et d’autre nos idéologies et modélisations sous-jacentes.
Jacques Prémont.
Réponse de Cécile Gorré
Il est vrai que, comme tout texte critique, mon article n’est pas impartial. Cependant, par honnêteté intellectuelle, tous les arguments que j’avance sont étayés par des faits vérifiables et la plupart de mes sources se retrouvent dans les appels de notes.
Il est vrai que mon article envisage avant tout l’ennéagramme en tant qu’outil. C’est un parti pris que j’assume entièrement. De manière délibérée, j’ai décidé de différencier l’ennéagramme en tant qu’instrument purement individuel de l’ennéagramme en tant qu’outil au service, selon moi, d’une nouvelle gouvernance.
Ainsi, tout au long de mon article, j’ai pris soin de souligner que certaines personnes pouvaient y découvrir une clé vers une meilleure connaissance d’elles-mêmes et vers un bien être. Il suffit pour cela de lire les nombreux témoignages de personnes ayant rencontré l’ennéagramme. Si cela leur fait du bien, tant mieux pour elles et je ne m’autorise pas à les critiquer ! J’attire toutefois l’attention des lecteurs sur les potentielles dérives sectaires. Cette attestation repose sur plusieurs sources vérifiables dont « L’Union Nationale des Associations de Défense des familles et de l’individu victimes de sectes » (UNADFI) et la « Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires » (Miviludes). Je suis certaine que votre pratique de l’ennéagramme respecte une certaine éthique, mais pouvez-vous assurer l’éthique de tous les formateurs en ennéagramme ou de toutes les personnes formées qui pourront, à leur tour, « typer » d’autres individus et cela dans le monde entier ?
Il est aussi vrai que j’affirme que les origines de l’ennéagramme sont assez mystérieuses voire ésotériques. Cette affirmation, selon vous, est triviale pourtant les faits parlent d’eux-mêmes. L’historique retracé dans mon article me paraît éclairant. Vous le savez comme moi que l’ennéagramme avait une histoire avant Oscar Ichazo, Claudio Naranjo et Helen Palmer. C’est, il me semble, faire preuve d’honnêteté intellectuelle de ne pas occulter les origines d’un phénomène afin de mieux cerner l’objet d’étude. Gurdjieff, personnage décrié, a importé en occident l’ennéagramme et Oscar Ichazo, disciple de Gurdjieff, l’a découvert à son tour lors d’un voyage en Asie financé par un groupe Gurdjeff. Il s’agit du même ennéagramme et ses origines sont identiques !
Il est aussi vrai que j’aborde le caractère scientifique de l’ennéagramme. Je ne me permets toutefois pas de remettre en cause votre questionnaire qui a été certifié scientifiquement. Par contre, reprenant les paroles de Mario Sikora dans un article((Mario Sikora, Penser l’Ennéagramme. 1. La science, la non-science et la pseudo-science, 26 novembre 2013)) traduit par votre collègue Philippe Halin, j’affirme que l’ennéagramme est une non-science et donc que, par définition, il n’est pas scientifique. Je pourrais ajouter que, tout comme Sikora, je me suis basé sur les écrits de Karl Popper, philosophe des sciences, qui s’est interrogé sur la démarcation entre science et pseudo-science. Ainsi, le caractère irréfutable ou falsifiable de l’ennéagramme démontrerait que ce dernier ne peut être qualifié de scientifique((Karl R. Popper, La logique de la découverte scientifique, Payot et Rivages, Paris, 2017.)).
Il est aussi vrai que j’émets des critiques sur l’utilisation de l’ennéagramme dans le cadre scolaire soulignant les risques de dérives. Dans un contexte d’approche orientante déjà décriée par l’APED, l’ennéagramme m’apparaît comme un outil supplémentaire risquant d’introduire un certain déterminisme. L’intention de votre institut n’est certainement pas d’enfermer les adolescents dans des petites cases, mais le risque de se servir de l’ennéagramme pour orienter des élèves vers tel ou tel métier est grand et déjà présent dans le chef d’ennéagrammistes spécialisés dans l’orientation scolaire.
Les élèves que j’ai face à moi sont en pleine mutation et je me refuse de les typer. Le risque de les étiqueter me paraît trop grand et on sait qu’à cette période de leur vie l’idée que je me fais de mes élèves risque, même inconsciemment, d’une part d’affecter mon jugement et, d’autre part, d’affecter leur comportement (cf. Effet Pygmalion). Si un professeur ou un directeur ressent le besoin ou l’envie de découvrir l’ennéagramme pour mieux se découvrir, libre à lui. Mais typer, contre son gré, un tiers et, a fortiori, un élève me paraît dangereux. Les risques demeurent.
Enfin, je suis heureuse de constater que, tout comme moi, vous avez conscience de l’instrumentalisation de l’ennéagramme dans le monde du travail. C’est bien là le cœur de mon article. Dans un contexte où les travailleurs sont sans cesse mis sous pression afin d’atteindre des objectifs, l’ennéagramme, tout comme d’autres méthodes de développement personnel, participe à un courant managérial qui tend à intérioriser la contrainte sociale. Ainsi, si ces mêmes travailleurs ne parviennent pas à s’adapter aux exigences de leur entreprise, la faute leur en incombe directement car ils n’ont pas réussi à faire fructifier leurs capacités personnelles, leur capital humain. Un instrument de plus vers la responsabilisation à outrance de chaque travailleur.
Cécile Gorré