La physique, pour quoi faire ?

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Il est inutile dans ce cadre de revenir sur l’étymologie du mot « physique » et sur le sens que celui-ci a pu prendre dans le passé. Actuellement, la physique consiste en l’étude des lois de base de la nature. A l’exclusion des phénomènes du vivant (biologie) et des transformations de la matière (chimie). Mais il est important de comprendre que tous les phénomènes naturels (y compris donc ceux du vivant) sont soumis aux lois de la physique : rien ne peut être en désaccord avec celles-ci. Il existe de nombreuses raisons d’étudier la physique dans la formation commune. Ce n’est pas le lieu d’aborder tous les points qu’il nous semble important de mettre au programme. Nous allons plutôt passer en revue tous les objectifs fondamentaux et montrer sous forme d’exemples quels contenus sont susceptibles de les rencontrer.

Article initialement publié dans L’École démocratique, n°51, septembre 2012 (pp. 8-10)

1° Comprendre la démarche scientifique

Il est utile de le faire dans différents cours de sciences. En ce qui concerne la physique, on peut montrer l’évolution de nos conceptions de l’Univers depuis les modèles géocentriques (Terre immobile au centre de l’Univers) jusqu’au modèle du Big Bang. Il s’agit d’un bel exemple d’une évolution lente, s’approchant de plus en plus d’une description réaliste du Monde. On peut considérer un deuxième exemple. Celui de l’évolution de nos connaissances sur la lumière. Il semble important d’étudier la lumière en suivant une démarche historique pour deux raisons. Premièrement, il paraît impossible d’appréhender nos connaissances actuelles sur le sujet sans repasser par les grandes étapes qui y ont amené. Ce n’est pas le cas de toutes les matières, mais dans ce cas précis, il est inévitable de refaire une partie du processus. Il s’agit donc d’une raison pédagogique. Deuxièmement, les différentes péripéties permettent de comprendre que le processus d’élaboration des connaissances n’est pas toujours linéaire. Il y a parfois des rebondissements. C’est à la fois passionnant et instructif de passer les événements en revue. Lançons-nous rapidement dans cette histoire.

Au 17ème siècle, deux modèles de la lumière s’affrontaient. L’un disait que la lumière était constituée d’une myriade de petits corpuscules. L’autre qu’il s’agissait d’un phénomène ondulatoire. Comment trancher ? En testant expérimentalement les conséquences de ces deux modèles et d’abord en vérifiant s’ils sont capables d’expliquer les phénomènes lumineux connus à cette époque. Le problème est que chaque modèle était capable d’expliquer les phénomènes observés moyennant quelques hypothèses invérifiables à ce moment. Il faudra attendre l’année 1800 pour qu’une expérience décisive voit le jour. Un certain Young montre en effet que si on fait passer de la lumière à travers deux fentes très étroites, on n’observera pas du tout la même chose selon que la lumière est une onde ou des particules. Et l’expérience montre que la lumière se comporte comme une onde. Plus tard, de nouvelles données permettent de préciser de quel type d’onde il s’agit. Puis, au tournant 19ème – 20ème siècle, de nouvelles données expérimentales (phénomène appelé effet photoélectrique) ne peuvent absolument pas s’expliquer à partir du modèle ondulatoire. Par contre, si on admet que la lumière interagit avec la matière en échangeant des … particules baptisées « photons », tous les résultats s’expliquent ! Alors ? On parle pendant un certain temps de dualité onde-corpuscule. Un physicien appelé de Broglie a alors l’intuition que cette dualité est aussi valable pour d’autres entités connues jusque là comme des particules (les électrons par exemple). Cette hypothèse est aussi testée et vérifiée, ce qui permet une unification entre la lumière et la matière. Actuellement, cette unification reste plus que jamais à l’ordre du jour, mais on ne parle plus de dualité onde-corpuscule. Les entités fondamentales de l’Univers sont les champs quantiques et les électrons et autres photons se matérialisent dans des conditions très particulières.

Il est possible de consacrer de nombreuses heures de cours à ce point. Il est assez simple par exemple de réaliser l’expérience de Young. Pour l’effet photoélectrique, il faut se contenter d’une description schématique. Mais cette histoire qui se décrit comme un roman montre que la science n’est pas ennuyeuse et elle est fondamentale pour comprendre l’essence de la démarche scientifique.

2° Comprendre la base des technologies

L’Aped plaide pour une instruction polytechnique. Ce n’est pas le lieu de reprendre ici l’ensemble de l’argumentation en faveur d’une telle formation. Mais une des raisons, c’est qu’elle éclaire les influences entre les évolutions technologiques et les changements sociaux, économiques et culturels. Or, les sciences éclairent elles-mêmes les bases des technologies. Les progrès de ces dernières permettent des avancées scientifiques. Par exemple, l’invention du microscope permet de faire avancer la biologie. Alors que les découvertes scientifiques favorisent les progrès technologiques. Exemple : les lois de l’optique sont à la base de l’invention du microscope. Les connaissances scientifiques sont donc, via les technologies, à la base des évolutions sociétales.

Outre les cours pratiques et les cours théoriques de technologie proprement dite, les lois fondamentales sur lesquelles celle-ci repose doivent impérativement être étudiées. Une bonne coordination dans les programmes entre sciences et technologies est tout à fait nécessaire. Sans doute est-il préférable que certaines notions scientifiques soient abordées directement au cours de technologie alors que d’autres seraient réservées au cours de physique parce qu’elles représentent des notions fondamentales bien plus larges que leur application technologique. Quoi qu’il en soit, les lois du mouvement (mécanique), les notions d’énergie et de puissance, les lois de l’électrostatique, les concepts de courant électrique, de résistance, de force électromagnétique sont capitales.

3° Connaître notre place dans l’Univers

Résister à l’obscurantisme, faire preuve de sens de la mesure dans une analyse nécessite, entre autres, de pouvoir se situer dans le Monde. Nous nous trouvons sur une planète assez petite. Cette planète tourne autour du Soleil c à d une étoile tout à fait banale. Cette étoile fait partie d’une galaxie qui en compte environ cent milliards. Et il existe probablement une infinité de galaxies dans l’Univers. A partir de ce constat, les divergences « insurmontables à jamais » entre les populations terrestres peuvent souvent être relativisées…

Il est aussi important de prendre conscience des dimensions de l’Univers. Nous sommes à 150 millions de km du Soleil. Mais entre les étoiles, les distances se mesurent en années-lumière (al). Une al représentant la distance parcourue par la lumière en un an. Quand on sait que la lumière parcourt 300.000 km/s et que l’étoile la plus proche se trouve à 4 al, c’est très impressionnant. Surtout si on sait que les galaxies comme la nôtre ont un diamètre de l’ordre de 100.000 al et que les distances entre elles se mesurent en millions d’al (pour les plus proches …). Ces chiffres donnent le tournis, mais ils permettent de comprendre l’importance de réfléchir en tenant compte des ordres de grandeur et que les notions de « loin » ou « près » sont très relatives en fonction de l’échelle à laquelle on travaille.

Par ailleurs, une des découvertes les plus importantes du 20ème siècle est l’historicité de l’Univers. La théorie du Big Bang montre en effet que celui-ci n’a pas toujours existé sous sa forme actuelle. Il nous paraît donc important d’étudier d’une part la structure de l’Univers : galaxies, étoiles, planètes et les ordres de grandeurs des dimensions et des distances entre les éléments de structure. Et d’autre part la chronologie de l’évolution de celui-ci : énormes température et densité d’énergie il y a un peu plus de 13 milliards d’années, expansion et refroidissement, formation des premières particules, puis des noyaux, des atomes, des molécules, des galaxies et des premières étoiles, etc.
Il devient difficile d’affirmer que « l’Histoire est un éternel recommencement » si l’Univers lui-même évolue en permanence …

4° Comprendre les défis qui se posent à l’humanité

La compréhension d’un certain nombre de défis majeurs que l’humanité devra affronter dans les prochaines décennies nécessite une bonne connaissance de certaines notions de physique. Prenons deux exemples parmi beaucoup d’autres.

Le défi énergétique :

Le problème le plus grave auquel l’humanité sera bientôt confrontée n’est pas le réchauffement climatique (même s’il devra aussi être géré). C’est la raréfaction des ressources énergétiques « classiques ». L’organisation actuelle de nos sociétés et l’aveuglement de nos dirigeants politiques et économiques sont tels que nous risquons un véritable cataclysme quasi du jour au lendemain lorsque la raréfaction entraînera une explosion des prix. Qu’on songe à notre dépendance au pétrole et à l’électricité pour voir comment notre quotidien sera bouleversé ainsi que l’organisation de nos sociétés. Si on veut éviter le chaos et la barbarie qui l’accompagnera inévitablement, il est vital que l’ensemble des citoyens maîtrisent les enjeux. Et pas seulement les « responsables » qui semblent plutôt … irresponsables. Pour cela, il faut que chacun puisse répondre à des questions comme : qu’est-ce que l’énergie ?, pourquoi parle-t-on de « conservation de l’énergie » et en même temps de « gaspillage » d’énergie ?, qu’est-ce qu’une énergie renouvelable ? A partir des différentes formes de l’énergie et de leurs transformations, la physique est capable de répondre à ces questions. Et donc d’armer les citoyens pour cet immense défi.

Le débat nucléaire :

Faut-il ou non fermer les centrales nucléaires ? Ce débat est très présent en Belgique, mais il concerne l’humanité entière. La manière dont il se mène dans notre pays est révélatrice du caractère pseudo-démocratique de notre société. Quelques experts (indépendants ?) établissent un rapport. Puis le politique décide. Sans consulter le moins du monde les citoyens. Qui n’ont donc fondamentalement rien à dire sur un débat crucial pour notre avenir : sécurité énergétique, risques de catastrophes, gestion des déchets, etc. Démocratie ? Il est vrai que pour que les citoyens participent sérieusement à ce débat, il faut qu’ils soient en mesure d’en comprendre les termes. Qu’est-ce qu’une réaction nucléaire ? Quelle est la différence entre fission et fusion ? Que pratique-t-on dans une centrale nucléaire ? Qu’entend-on par « déchet nucléaire » ? Etc. Un cours de physique doit apporter des réponses à ces questions vitales pour notre avenir et pour la démocratie.

5° Démystifier certaines notions

Un certain nombre de concepts sont totalement inconnus, sauf leur nom, de la majorité de la population : radioactivité, champ magnétique, la célèbre formule E = mc2. Cette méconnaissance d’une part laisse la part belle au charlatanisme et à l’ésotérisme : « il faut démagnétiser votre maison pour que vous dormiez mieux ». D’autre part, elle donne aux citoyens un sentiment d’ignorance et favorise la technocratie : « je laisse ça aux spécialistes, moi je n’y comprends rien ». Or, un cours de physique bien conçu peut parfaitement démystifier ces notions. C’est nécessaire afin de pouvoir exercer une vraie « citoyenneté critique ».

Cet article fait partie du dossier «Pourquoi étudier les sciences»