Physique, chimie: de l’urgente nécessité de corriger des erreurs dans les nouveaux référentiels

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Il y a quelques semaines, le site enseignement.be de la Fédération Wallonie-Bruxelles mettait en ligne les nouveaux référentiels du tronc commun. En tant que professeur de physique (retraité), j’ai tout naturellement eu la curiosité d’aller jeter un coup d’œil sur celui consacré aux sciences (127 pages). N’étant pas compétent en biologie, je me suis limité aux parties qui concernaient la physique et la chimie. Les deux questions essentielles qui ont orienté mon travail de lecture ont bien sûr été : que va-t-on enseigner et comment ?

Le référentiel de sciences commence par plusieurs pages consacrées à des considérations générales, les « enjeux et objectifs généraux » : « Comment pratiquer les sciences, apprendre les sciences, apprendre à propos des sciences, orienter ses choix et agir en s’appuyant sur les sciences ». Dans les lignes qui suivent je me limiterai donc à relever ce que je considère comme des anomalies qui semblent avoir échappé à la vigilance des rédacteurs. Selon toute vraisemblance, les rédacteurs de l’introduction ne sont d’ailleurs pas les mêmes personnes que celles qui ont rédigé les contenus.

Des formulations malheureuses…

Il y a tout d’abord quelques formulations malheureuses qui nuisent, évidemment, à la clarté des propos. C’est ainsi qu’à treize reprises[1], on trouve l’expression : « Identifier que … », dont je ne donnerai, ici qu’un seul exemple, celui de la page 36 : « Identifier que la matière a une masse et qu’elle occupe de l’espace ». Identifier est un verbe transitif : on peut identifier quelque chose ou quelqu’un, mais « identifier que … » n’est pas correct ; il fallait dire, par exemple « Faire remarquer que … » ou « Signaler que … », etc. Autre exemple : à la page 43, on recommande aux élèves de 3e primaire d’« Associer de l’eau potable à de l’eau que l’on peut boire et l’eau non potable à de l’eau que l’on ne doit pas boire ». Pourquoi parler d’association quand il s’agit en fait de donner la définition du mot potable ?

Mais la formulation la plus étonnante est peut-être celle de cette recommandation adressée aux professeurs des élèves de 1ère secondaire, à la page 79 du référentiel : « Préciser que l’énergie est transformée et ne peut pas être produite ni consommée, car la quantité d’énergie est conservée ». Il y a deux erreurs dans cette phrase. Tout d’abord, en déclarant que l’énergie est transformée, sans autre précision, on énonce qu’elle l’est toujours et nécessairement, en toutes circonstances, ce qui est évidemment faux. Il fallait dire : l’énergie peut être transformée. C’est cependant la deuxième erreur qui est bien plus grave que la première. Il fallait évidemment écrire : « L’énergie peut être transformée, mais elle ne peut être ni créée, ni détruite ». Car il s’agit bien ici de rappeler que créer signifie tirer du néant et détruire, réduire à néant. L’idée à transmettre aux élèves est que, malgré ses possibles transformations, l’énergie totale de l’Univers reste constante. Prétendre qu’il n’est pas possible de produire de l’énergie, ni d’en consommer est tout de même de nature à susciter pas mal d’inquiétudes !

Des approximations dans les contenus: les changements d’état

J’en arrive maintenant à quelques remarques relatives aux contenus proprement scientifiques.

A la page 36 (2e primaire) on peut lire : « Préciser que pour que l’eau change d’état, il faut la chauffer ou la refroidir ». Une phrase pratiquement identique se trouve aussi à la page 52, pour la 4e primaire, cette fois). Si cette affirmation convient pour la fusion ou la solidification, elle n’est pas nécessairement vraie pour l’évaporation, un phénomène qui se produit spontanément, à n’importe quelle température et qui ne nécessite pas d’apport extérieur de chaleur (même si un apport de chaleur ou d’autres facteurs peuvent l’accélérer). On pourrait par ailleurs ajouter que l’on peut aussi provoquer des changements d’état non pas en apportant ou en retirant de la chaleur, mais en modifiant la pression : c’est ainsi que, par exemple, l’on peut, par une compression, provoquer la fonte de la glace ou la liquéfaction d’une vapeur.

Mais le plus étonnant est manifestement ceci : alors que le cadre de la page 36 est censé réunir les « savoirs et attendus » de la 2e primaire concernant la météorologie, les notions d’évaporation et de condensation y sont totalement absentes ! On n’y parle, en effet, que de la fusion et de la solidification (de l’eau). Comment pourrait-on parler de la pluie sans parler de ces deux phénomènes ? Il faut aller à la page 52, c’est-à-dire à la partie relative à la 4e primaire, pour voir apparaître pour la première fois le mot « évaporation ». Autre lacune incompréhensible : concernant les changements d’état, justement, il est vraiment regrettable de constater que de la 1ère primaire à la 3e secondaire, on ne mentionne que les changements d’état de l’eau. Jamais on ne mentionne par exemple que les métaux peuvent être fondus ni que des gaz comme l’azote ou l’oxygène peuvent être liquéfiés.

Des référentiels lacunaires en matière d’électricité et d’énergie

Une autre partie de la physique qui mérite évidemment d’occuper une place très importante dans un programme de sciences, c’est l’électricité. Les anciens programmes du fondamental abordaient tout à fait correctement cette matière par la voie de quelques notions d’électrostatique (électrisation par frottement, mise en évidence de forces attractives et répulsives, explication du phénomène de l’éclair, …). Il est clair que les enfants ont d’abord besoin, à travers quelques expériences, de voir des phénomènes avant de pouvoir appréhender la notion abstraite de charge électrique. Malheureusement, dans les nouveaux référentiels du tronc commun, en 2e et 5e primaires, c’est-à-dire là où l’électricité est mentionnée pour les deux premières fois, l’électrostatique et ses belles expériences, dont la valeur pédagogique est indéniable, est totalement absente ! Elle n’apparaît qu’en 3e secondaire, beaucoup trop tard. La notion même de charge électrique n’apparaît donc à aucun moment en primaire, alors qu’on y parle d’électricité.

Ceci dit, l’électrocinétique, en primaire (la partie qui traite des courants électriques et de ses effets) ne subit pas un meilleur sort que l’électrostatique, bien au contraire, car pour ce qui est de permettre aux élèves de s’approprier de nouveaux concepts scientifiques, la voie qui a été choisie est loin d’être la meilleure. En effet, à la page 39, en 2e primaire, c’est-à-dire au niveau où l’électricité est abordée pour la première fois, sans même avoir défini ce qu’est un courant électrique, voici par quels mots commence la partie du référentiel consacrée à l’électricité :

« Electricité:

  • Utilisations
  • Appareils électriques

Identifier et nommer quelques appareils qui fonctionnent à l’électricité »

Il est bien évident que dire d’un appareil qu’il fonctionne à l’électricité ne renseigne en rien sur son fonctionnement ni sur le rôle que l’électricité y joue. Bien sûr, l’électricité est invisible, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut s’abstenir de suggérer aux élèves qu’il y a là « quelque chose qui circule », un « écoulement » qui se fait à travers la matière, sous peine de basculer dans une lapalissade : « L’électricité, c’est ce qui fait fonctionner un appareil électrique ». Et lorsque, à la ligne suivante, on aborde les mots piles/batteries, au niveau conceptuel, les choses ne s’arrangent toujours pas, car on demande à l’élève d’être capable de « préciser que les piles/batteries permettent le fonctionnement d’un appareil électrique ».

Dans la mesure où, en primaire, la notion de charge électrique est totalement absente, il ne faudra donc pas s’étonner de ne pas y trouver non plus le soucis de faire découvrir aux élèves une définition du courant électrique, qui d’ailleurs n’apparaît jamais tout au long du tronc commun (il s’agit d’un déplacement de charges électriques : ce n’est tout de même pas très compliqué, une fois que la notion de charge électrique est acquise !). En 5e primaire (page 62) on mentionne tous les termes que l’élève doit être capable d’utiliser et de définir dans le contexte de l’électricité : fil électrique, générateur, récepteur, interrupteur, isolant électrique, conducteur électrique, circuit électrique, mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, le terme « courant électrique », pourtant essentiel, puisque c’est lui seul qui peut donner un sens aux termes qui précèdent, n’apparaît même pas (et bien sûr, a fortiori, il n’est toujours pas défini !). Il est fort probable que tout enseignant consciencieux ne manquera pas de combler cette lacune, mais n’oublions tout de même pas que la rédaction des programmes exige une soumission stricte aux contenus des référentiels.

Une autre notion importante, qui est mentionnée à de très nombreuses reprises dans le référentiel (189 fois !) et ce, dès la 1ère primaire, est la notion d’énergie. Tous les physiciens savent que cette notion ne peut pas être vraiment comprise tant que l’on ne l’aura pas mise en relation avec la notion de travail. Est-il d’ailleurs besoin de rappeler ici que l’unité d’énergie, le joule, a justement été défini à partir de la notion de travail et qu’il n’y avait d’ailleurs pas moyen de faire autrement ? Malheureusement, le mot « travail », au sens physique du terme, n’apparaît pas une seule fois dans le texte du référentiel. On en reste donc, comme avec l’électricité et le courant électrique, à utiliser des termes dont on ne précise pas véritablement le sens : on reste au niveau du descriptif sans entrer dans l’explicatif.

Poids et masses: une démarche absurde

Les pages introductives du référentiel insistent sur l’apprentissage de la méthode scientifique, sur la nécessité de faire la différence entre ce qui est « prouvé scientifiquement » et ce qui relève de la croyance. Ce sont là de belles paroles et de belles résolutions, mais le fait est que l’on aura beau insister sur l’éclairage que peut apporter la science à la fois pour comprendre le monde et « orienter ses choix et agir en s’appuyant sur les sciences », tant que l’on n’aura pas acquis des bases théoriques solides, ces projets ambitieux resteront au stade de la douce rêverie. Un dernier exemple montrera, encore une fois, la nécessité qu’il y a à définir clairement les termes et les notions que l’on veut inculquer aux élèves.

En 2e secondaire (page 92), on propose aux élèves d’ « établir la relation entre l’intensité du poids d’un objet et sa masse ». Il s’agit d’une tâche qui n’a rien de neuf. Elle figure (malheureusement) depuis de nombreuses années dans les programmes de 2e secondaire et, il faut bien le dire, elle repose sur un regrettable malentendu : celui de croire qu’il est possible de mesurer séparément la masse et le poids d’un objet. Voici en effet ce que l’on lire à la page 288 du programme actuel de 2e secondaire (à l’adresse des élèves) : « Mesurer la masse et le poids de plusieurs objets ». Ce qui est ensuite demandé aux élèves, c’est de construire un graphique qui représente le poids (mesuré avec un dynamomètre et exprimé en newtons) en fonction de la masse (exprimée en kilogrammes) et de montrer ainsi que ces deux grandeurs sont proportionnelles. (Si j’en parle ici, c’est parce que le nouveau référentiel de sciences va exactement dans le même sens).

En réalité, la démarche qui est ainsi proposée à l’élève est totalement absurde. Je m’explique. Les physiciens ont, pour mettre en place un système d’unités, défini un étalon de masse, le kilogramme (cet étalon est matérialisé par un cylindre métallique, conservé à Sèvres[2]). A partir de là, mesurer la masse d’un objet quelconque revient, en réalité, à comparer le poids de cet objet à celui de l’étalon. Vous avez bien lu : tout ce que l’on peut faire, c’est comparer des poids, c’est-à-dire, en définitive, des forces (force d’attraction gravitationnelle exercée par la Terre). La masse d’un objet est une notion que l’on tente souvent, dans un but pédagogique, d’assimiler à la « quantité de matière », mais en réalité, c’est une grandeur à laquelle nous n’avons pas accès « directement » : pour donner une valeur à la masse des objets, nous sommes amenés à admettre que lorsque deux objets ont le même poids, c’est qu’ils ont la même masse et que si, par exemple, deux corps ont des poids qui sont dans un rapport 2, c’est que leurs masses sont aussi dans ce rapport. Mais on ne peut donc pas, comme le demande le programme, « mesurer la masse » d’un objet, directement et indépendamment de la mesure de son poids.

On comprend maintenant pourquoi la tâche imposée aux élèves équivaut à une démonstration circulaire : si plusieurs objets, de masses croissantes, apparaissent plus lourds (s’ils « pèsent plus »), lorsqu’ils sont accrochés à un dynamomètre (c’est là le but de l’expérience), c’est tout simplement parce qu’ils auront, au préalable, été pesés comme tels ! Désolé d’avoir été peut-être un peu long sur cette question, mais n’était-il pas nécessaire de souligner, par cet exemple, à quel point il est important d’être vigilant lorsqu’on prétend vouloir « pratiquer les sciences », comme le recommandent à plusieurs reprises, les consignes du référentiel ?

En somme …

Ma conclusion consistera tout naturellement à souligner la discordance qui existe entre les nombreuses ambitions qui sont exprimées dans la dizaine de pages introductives du référentiel de sciences et les maladresses que l’on découvre à la lecture des contenus proposés aux élèves.

En effet, d’un côté, le référentiel insiste sur l’apprentissage de la méthode scientifique, les « savoir-faire liés aux investigations scientifiques », « la rigueur, le sens du travail soigné, méthodique et structuré et le souci d’une communication efficace », l’importance de « l’esprit critique » et celle qu’il y a à « s’approprier un questionnement », etc.

De l’autre, on découvre des formulations maladroites, incorrectes ou lacunaires. En effet, certains termes sont inappropriés (« identifier que » au lieu de « faire remarquer que » ; « consommer de l’énergie » au lieu de «  détruire, faire disparaître l’énergie »).

D’autres termes, pourtant essentiels au domaine scientifique traité, sont absents (les mots évaporation et condensation, ne sont même pas mentionnés dans un ensemble de contenus relatifs à la météorologie : qu’est-ce la pluie, si ce n’est de l’eau qui s’est d’abord évaporée pour ensuite se condenser ? ; la notion de charge électrique n’apparait pas une seule fois dans tout le parcours des primaires, alors qu’on y parle pourtant d’électricité : qu’est-ce donc que l’électricité sans la charge électrique ?).

D’autres termes, encore, ne sont jamais clairement explicités, mais sont seulement utilisés, comme si leur répétition pouvait se substituer à leur définition : c’est ainsi que, par exemple, le mot « énergie » est répété ad nauseam jusqu’à 189 fois, mais sans jamais être mis en relation avec la notion qui lui a pourtant donné naissance : la notion de travail mécanique.

Comme je l’ai dit en commençant cet article, je n’ai parcouru que la partie du référentiel de sciences qui traitait de la physique et de la chimie. Je ne me prononcerai donc pas sur la partie consacrée à la science du vivant, mais pour le reste, le moins que je puisse dire est : il y a loin de la coupe aux lèvres.

 

 

 

  1. Aux pages 36-37-39-50-52-53-60-81-92-121.
  2. La définition du kilogramme a été modifiée le 19 novembre 2018, mais ceci est sans importance ici.

 

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