De la culture générale

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Normand Baillargeon, Liliane est au lycée. Est-il indispensable d’être cultivé ?, Flammarion, 2011, 117 pages.

L’importante question de la culture générale à l’école est abordée par le militant libertaire québécois Normand Baillargeon. En bon sceptique, il commence par dézinguer les conceptions de la culture qui sont instrumentalisées au profit des classes dominantes : la culture sexiste qui discrimine les femmes, la culture ethnocentriste ou nationaliste qui rend invisible les minorités dominées, la culture des pédants et des charlatans qui compliquent le propos à souhait pour s’en faire une chasse gardée. Et pourtant est rappelée la nécessité absolue d’une culture générale pour pouvoir appréhender le monde avec discernement, élargir la perspective sur lui. Elle recèle, certes, des aspects émotionnels, en donnant accès à des plaisirs et des divertissements enrichissants. Mais là n’est pas l’essentiel. Elle présente aussi et surtout des aspects proprement cognitifs qui « accroissent l’éventail des possibles entre lesquels il nous est possible de choisir et de nous choisir, et contribue ainsi à forger à la fois notre identité et notre autonomie » ; elle « incite la personne qui l’acquiert à organiser et à systématiser les diverses perspectives sur le monde dont elle dispose. » (p. 47). Bref, une personne cultivée est une personne qui s’est transformée positivement en acquérant trois vertus : l’humilité épistémique, le faillibilisme et l’esprit critique.

Une culture commune parmi les sociétaires est une des conditions de l’exercice de la démocratie, rappelle l’auteur. Sans vocabulaire et référents partagés, pas de délibération politique possible. Si tout le monde est à peu près d’accord pour dire que les humanités et les lettres en constituent la base, les sciences et les mathématiques doivent aussi y tenir une place prépondérante : « Envisager aujourd’hui la culture générale sans admettre comme allant de soi qu’elle comporte une solide culture scientifique est une chose qui me paraît proprement irréelle. » (p. 32). Littérature, histoire et philosophie sont aussi conviées, et l’auteur s’attarde sur cette dernière. Dans le dernier chapitre, il montre quelles menaces pèsent aujourd’hui sur la culture générale : la tentation relativiste, l’influence pernicieuse des médias de masse, les raccourcis qui offrent des versions ultra-synthétiques et pré-digérées des connaissances, la pente utilitariste qui voit de l’« efficacité » partout au détriment du « simple » plaisir d’apprendre. Baillargeon ne confie pas exclusivement à l’École la mission de cultiver. Il y eut aussi les Bourses du travail, inventées par les anarchistes au XIXème siècle, un projet d’émancipation économique radical s’appuyant sur l’éducation et la culture du peuple. Aujourd’hui, face aux menaces systémiques, la culture générale reste plus que jamais indispensable pour nous armer, « nous donner des idées de liberté et de changement, et le courage de lutter pour elles. » (p. 105). Un plaidoyer à mettre entre les mains de tout enseignant.