Selon les enseignants, le niveau baisse… mais pas pareillement pour tous

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Lorsqu’on leur demande ce qu’ils pensent de la thèse « le niveau baisse », 39,5% des enseignants se déclarent « tout à fait d’accord » et 32,6% « plutôt d’accord », soit un total de 72,1%. Le pourcentage grimpe à 81% en Flandre, contre 65% en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Cet article fait partie d’un dossier paru dans l’Ecole démocratique (n°96, décembre 2023, pp. 3-13) synthétisant les résultats de notre grande enquête sur le ressenti des enseignants quant au niveau des élèves.

Régression dans la maîtrises des « bases » ?

Cet avis majoritaire se retrouve à tous les niveaux de l’enseignement, mais c’est dans le qualifiant qu’il s’exprime avec le plus de force puisque le taux de « tout à fait d’accord » y grimpe à 45%.

La baisse du niveau se manifesterait notamment lorsque sont comparées les aptitudes des élèves d’hier et d’aujourd’hui face à de mêmes exercices et/ou évaluations. Certains disent ainsi aller de moins en moins loin dans le programme : « Enseignante depuis 1982, il me serait tout à fait impossible de proposer aux enfants des exercices faits il y a 30 ans ». Un autre : « Quand je vois des exercices que je donnais en début de carrière, je n’oserais même pas essayer avec mes élèves actuels ».

C’est en particulier dans la maîtrise des « bases » (orthographe, grammaire, vocabulaire, calcul…) que les enseignants relèvent une chute importante. « 75% de mes élèves de 4ème secondaire générale ne sont pas capables d’effectuer une règle de trois », dit un professeur de secondaire, qui poursuit : « Quant aux connaissances du français… la dernière élève qui écrivait correctement au niveau de la grammaire et de l’orthographe, dans ma classe de ‘rhéto’, ça date d’il y a 4 ans ! ». Un de ses collègues de secondaire inférieur renchérit : « au moins la moitié des 12 -13 ans ne savent pas lire correctement. Ils ont un vocabulaire très pauvre. […] La plupart ne maîtrisent pas les opérations de calcul du niveau primaire. Certains sont incapables de citer les douze mois de l’année quand d’autres ne savent pas dire les saisons dans l’ordre ou associer les saisons et les mois. D’autres encore ne connaissent pas la différence entre « horizontal » et « vertical » …. »

On ne s’étonnera pas que, parallèlement à cet avis largement partagé sur une baisse du niveau, le jugement que portent les enseignants sur leurs élèves est également très critique. Nous leur avons en effet demandé d’estimer le pourcentage de ces élèves qui atteignent un niveau « tout à fait insuffisant », « faible », « à peu près satisfaisant » ou « tout à fait satisfaisant » en regard des prescrits du programme. Qu’ils soient flamands ou francophones, les enseignants estiment qu’environ 37% de leurs élèves n’atteignent pas un niveau de maîtrise ou de connaissance satisfaisant.

Avis minoritaires: une dégradation compensée par l’émergence de nouvelles aptitudes ?

Seuls 14,6% des répondants jugent au contraire que « le niveau monte » ou qu’il reste « inchangé ». Cette minorité justifie généralement son point de vue en relevant qu’à côté d’une dégradation dans certains domaines — orthographe, connaissances factuelles… — on assisterait à un progrès dans les compétences ainsi qu’à l’émergence de nouveaux savoirs. Ainsi, un professeur écrit-il : « Dans les années 90, j’ai eu des élèves qui étudiaient comme des photocopieuses. […] Maintenant, ils doivent pouvoir argumenter leur point de vue. ». Cet autre invoque le volume important de matières ou de savoirs nouveaux : « utilisation des médias et de l’informatique, sensibilisation à l’actualité, éducation sportive, activités socio-culturelles et sportives après l’école et le week-end. […] Je considère que tout cela fait aussi partie de [leur] formation humaine et de citoyen. On ne peut [donc] pas dire que le niveau baisse, au contraire… »

Les enseignants restants, soit 13,3%, refusent de se prononcer sur « le niveau » en général, estimant que l’évolution est par trop différente selon les écoles et/ou selon les matières. Ils justifient parfois leurs hésitations dans les commentaires, comme ici : « Les élèves sont souvent plus actifs qu’avant, […] Ils se posent plus de questions […] En contrepartie, le niveau en maths et français est lamentable. Les savoirs et savoir-faire ne sont plus entraînés avant de les lâcher dans les compétences… et cela dès le primaire ».

Le grand écart social

Il importe de noter que les professeurs travaillant dans un milieu « très favorisé » (selon leur propre estimation) ont un jugement nettement moins négatif (63%) que ceux enseignant à des enfants « très défavorisés » (75%). Ainsi que le note un répondant dans son commentaire : « [Je n’ai] pas l’impression d’une baisse globale mais plutôt d’une plus grande fracture entre les « bonnes » et les « mauvaises » écoles ». Ou pour le dire plus crûment : « Professeur dans plusieurs écoles, je peux vous dire que le niveau général des élèves est catastrophique. Seules les écoles « de bourgeois » arrivent à maintenir un excellent niveau. »

La fracture sociale apparaît encore plus clairement lorsqu’on interroge les enseignants sur le « niveau » de leurs élèves. Alors que dans les milieux socialement « très favorisés » 76% atteignent (toujours selon leurs professeurs) un niveau satisfaisant par rapport aux prescrits des programmes, ils ne sont que 51% dans les milieux « très défavorisés ». Quand on sait que les premiers fréquentent très majoritairement, en secondaire, l’enseignement général, alors que les seconds sont majoritairement orientés vers les filières qualifiantes, on ne peut qu’être frappé par le fossé d’inégalité sociale que représentent ces chiffres.

Un prof conclut, désabusé : « Le niveau est surtout dû au marché scolaire. Nous sommes parmi les meilleurs dans la formation des « élites » et les pires dans la formation des élèves issus des classes les plus populaires ! »

Evaluation du « niveau » des élèves par leurs professeurs, selon le milieu social de l’école
Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.

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