Des petites classes peu efficaces ? Vraiment ?

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La Libre Belgique du jeudi 29 septembre réussit un tour de force peu courant : publier un article dont le titre mensonger est contredit par les éléments de preuve contenus dans le dit article. Le titre était « Apprend-on mieux dans de plus petites classes ? Aucune recherche ne le prouve ». Mais le corps de l’article cite — brièvement il est vrai — l’étude américaine STAR, qui prouve justement l’effet bénéfique des petites classes sur les apprentissages. Cet acronyme de « Student-Teacher Achievement Ratio » désigne en effet la plus rigoureuse et la plus vaste recherche scientifique jamais réalisée sur ce sujet.

Rappelons-en le protocole, tout à fait particulier. A la rentrée 1985 dans l’État du Tennessee, un échantillon aléatoire d’environ 2.500 élèves entrant au Kindergarten (l’année pré-primaire) dans 80 écoles différentes a été scolarisé dans des petites classes comptant entre 13 et 17 élèves. En même temps, un autre échantillon aléatoire équivalent était constitué, scolarisé dans des classes de taille ordinaire (c’est-à-dire 22 à 25 élèves au Tennessee) : c’était le « groupe témoin ». Les quelque 350 classes ainsi constituées se sont vues affecter des enseignants également choisis au hasard.

La majeure partie des élèves de ces deux échantillons ont été maintenus, tant que faire se pouvait, durant quatre ans (jusqu’en troisième primaire) dans des classes de la même taille qu’initialement, avant d’être tous regroupés dans des classes de taille ordinaire. On a pu observer durant douze ans leurs parcours scolaires, leurs performances aux tests centraux ainsi que leurs résultats aux examens de secondaire.

Voyons quelques résultats.

En quatrième année, donc après que les enfants viennent d’être regroupés dans des classes de même taille, on observe que ceux initialement scolarisés en petites classes ont 9 mois d’avance sur les autres en lecture, 6 mois en mathématique et 7,5 mois en Sciences.

On aurait pu craindre que cet avantage allait disparaître petit à petit au cours des années suivantes, mais c’est le contraire qui est observé : quatre ans plus tard, en huitième année, l’avance des élèves qui ont commencé leur scolarité en petites classes s’établit à 14 mois en lecture, 13 mois en mathématiques et 13 mois en sciences.

Dans un des districts concernés par l’étude, on a pu observer qu’à l’âge de 16 ans le taux de retard scolaire passe de 43,5% pour les élèves du groupe témoin à 16,7% pour les élèves ayant débuté en petites classes. Le taux de décrochage scolaire passe de 8,5% à 1,8%. Le nombre de jours d’absences annuelles par 100 élèves passe de 62 à 32. Et la cote moyenne en mathématique grimpe de 62,5% à 73,5%.

A la fin de l’enseignement secondaire, on note que chez les élèves les plus pauvres (bénéficiant d’un repas gratuit à l’école), le taux d’obtention du diplôme de fin d’études passe de 70% dans le groupe témoin à 88% pour les élèves initialement scolarisés en petites classes. Pour les élèves qui ne bénéficient pas d’un repas gratuit (donc les classes moyennes et les classes supérieures) on passe « seulement » de 84% à 87%.

Dans le même ordre d’idées, on a observé que l’écart entre élèves blancs et noirs pour l’accès aux examens d’entrée à l’université s’est trouvé réduit de moitié dans le groupe « petites classes ».

Que peut-on conclure ?

Primo, affirmer que la réduction des effectifs des classes n’a qu’un « rendement faible » n’est vrai que si l’on se focalise sur les résultats moyens. Mais si l’on s’attache à l’équité des systèmes éducatifs, ce domaine où la Belgique affiche de bien tristes statistiques, alors il est tout à fait démontré que les petites classes ont un impact décisif pour réduire les écarts sociaux de performances scolaires.

Secundo, comme l’indique votre article, STAR a démontré que c’est dans les premières années d’enseignement que l’effet des petites classes est le plus bénéfique. Rien de plus normal puisque c’est là qu’il faut construire chez l’enfant un rapport positif à l’école, aux savoirs, au travail scolaire. Mais dès lors, comparer les nombres moyens d’élèves par classe en Belgique et en Finlande ou comparer les effectifs en début de secondaire n’a pas beaucoup d’intérêt. La Finlande affiche des tailles de classes moyennes « seulement » 10% inférieures aux nôtres en primaire. Mais l’école proprement dite n’y commence qu’à 7 ans. Auparavant, les enfants fréquentent le jardin d’enfants et l’enseignement préscolaire, où les taux d’encadrement sont beaucoup plus élevés. Inversement, si l’on retire nos classes de première primaire du calcul, pour avoir une comparaison à partir de 7 ans, alors notre moyenne d’élèves par classe grimpe sensiblement.

Tertio, les résultats de STAR ont été obtenus dans des groupes hétérogènes. Comme le souligne très justement l’article de la LLB, ils ne sont donc pas forcément (et probablement pas) valides dans des groupes socialement ségrégués. Ceci permet de mettre le doigt sur la principale lacune du Pacte d’Excellence : aucune mesure n’y est prise pour assurer cette hétérogénéité, donc pour contrer la ségrégation sociale qui caractérise les systèmes scolaires belges en raison de leurs réseaux concurrents et de leur organisation en « libre marché ».

Un tout dernier point : des enquêtes menées ultérieurement auprès des enseignants qui avaient travaillé dans les petites classes de STAR ont montré qu’ils avaient modifié considérablement leurs pratiques pédagogiques. Cependant personne ne leur avait demandé de le faire. Il est donc inexact d’affirmer que la réduction de la taille des classes n’est efficace que « si elle s’accompagne d’un changement du comportement de l’enseignant ». Ce changement de comportement est une conséquence de la réduction de la taille et donc, probablement l’un des médiateurs de l’amélioration des apprentissages, mais pas une condition préalable de cette amélioration.

 

Pour en savoir plus :

https://www.skolo.org/dossiers/star-effet-du-nombre-deleves-par-classe/

 

 

Sources :

 

Finn, Jeremy D. and Achilles, Charles M.,Tennessee’s Class Size Study: Findings, Implications, Misconceptions, Educational Evaluation and Policy Analysis, Summer 1999.

Molnar Alex, Smaller Classes and Educational Vouchers : A Research Update,
Keystone Research Center, June 1999

Krueger , Alan B., Experimental Estimates of Education Production Functions, Princeton University Industrial Relations Section, Working Paper #379, May 1997.

Krueger, Alan B. ; Whitmore, Diane M.,The Effects of Attending a Small Class in the Early Grades on College Attendance Plans, Princeton University, April 9, 1999.

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.

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