L’École ouverte : enjeux et perspectives concrètes…

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Dans son mémorandum « Ambition et équité pour l’éducation », l’Aped renouvelle sa proposition d’instaurer une « École ouverte » : ouverte après les heures de cours, ouverte le week-end et pendant les congés scolaires, ouverte sur son milieu, ouverte sur le monde, ouverte aux élèves, ouverte aux parents, ouverte aux associations socioculturelles… Une école qui deviendrait le principal lieu de vie des élèves, et au sein de laquelle tous acquerraient une solide formation classique et polytechnique.

Cet article a été initialement publié dans L’École démocratique, n°86, juin 2021 (pp. 4-9).

Des « enfances de classe » qui survivront à la crise sanitaire…

Il y a près d’un siècle, dans ses Cahiers de prison, Gramsci préconisait déjà à sa manière l’instauration d’une École ouverte. Ainsi écrivait-il les lignes suivantes :

« Dans une série de familles, en particulier celles des couches intellectuelles, les enfants trouvent dans la vie familiale une préparation, un prolongement et un complément de la vie scolaire ; ils absorbent, comme on dit, « dans l’air », quantité de notions et d’attitudes qui facilitent la scolarité proprement dite : ils connaissent déjà et développent la connaissance de la langue littéraire, c’est-à-dire le moyen d’expression et de connaissance, techniquement supérieur aux moyens possédés par la population scolaire moyenne. C’est ainsi que [certains] élèves (…) ont absorbé quantité de notions et d’attitudes qui rendent la scolarité plus facile, plus profitable et plus rapide. Dans l’organisation interne de l’École unitaire[1] doivent être créées au moins les principales de ces conditions [favorables] (…). En fait, l’École unitaire devrait être organisée comme un collège avec une vie collective diurne et nocturne[2] (…) et l’étude devrait se faire collectivement, avec l’aide des maîtres et des meilleurs élèves, même pendant les heures de travail dit individuel (…). Ce type d’école devrait être un collège avec dortoirs, réfectoires, bibliothèques spécialisées, salles adaptées aux travaux de séminaires. »

Les disparités familiales pointées par Gramsci ne se sont évidemment pas évanouies. Les mesures de confinement et la prolongation des cours en distanciel pour une partie des élèves du secondaire l’ont d’ailleurs à nouveau mis en exergue : nos jeunes, comme l’écrit Bernard Lahire (2019, p. 21), « vivent dans la même société, mais pas dans le même monde ». Tandis que les uns ont pu suivre les cours et étudier dans un endroit calme et confortable, au moyen d’un équipement informatique performant, et tout en bénéficiant d’une précieux appui parental, les autres peinaient, se débrouillant seuls avec un ordinateur obsolète, dans des logements parfois exigus et bruyants.

Si ces conditions très inégales ont pu, au début de la crise sanitaire, jouir d’une attention médiatique plus marquée qu’à l’accoutumée, elles ne sont toutefois pas nées de la pandémie et ne disparaîtront pas avec elle. Lors de la prochaine rentrée scolaire, les jeunes seront toujours immergés dans des conditions matérielles et culturelles très inégales. Les uns jouiront toujours d’un environnement domestique confortable et stimulant : ils disposeront toujours d’un espace de travail personnel dans lequel ils peuvent s’isoler, d’adultes aptes à encadrer et soutenir efficacement leur scolarité, de livres[3] pour élargir leurs horizons, d’un jardin et d’espaces sécurisés pour jouer, courir, se réunir, faire du vélo. Leurs parents excelleront toujours dans la « pédagogisation des loisirs » (Daverne & Dutercq, 2009, 2013) : ils continueront d’emmener leurs enfants à la bibliothèque, au musée, au théâtre, de faire avec eux des recettes de cuisine ou du jardinage, de leur offrir des « jeux éducatifs », de leur lire des histoires, de les inscrire dans des mouvements de jeunesse, des académies de musique, des stages artistiques, scientifiques ou linguistiques… Les autres ne pourront pas, quant à eux, accéder à cette profusion de ressources matérielles, spatiales, culturelles, éducatives. Ils devront se contenter d’espaces domestiques moins propices à l’étude, d’espaces de détente et de rencontres entre jeunes moins encadrés, d’activités et de loisirs moins diversifiés, moins stimulants. Pour reprendre à nouveau Lahire (2019), certains jeunes vivent ainsi des « enfances diminuées » qui participent de la reproduction des inégalités, scolaires notamment.

Faire de l’école le principal lieu de vie des jeunes

Bien sûr, face à ces « enfances de classe », l’École ne peut pas tout, tant s’en faut. Mais l’École ouverte, en devenant le principal lieu de vie des élèves, aurait au moins le mérite de mettre à disposition des jeunes des classes populaires des ressources éducatives complémentaires à celles qu’ils trouvent dans leur famille, et réduirait ainsi le fossé des opportunités développementales qui s’offrent aux uns et aux autres. En ouvrant ses portes le mercredi après-midi, le soir, le week-end et pendant les congés scolaires, l’école pourrait être cet espace encadré où les jeunes se retrouvent pour préparer et partager des repas, des soirées « jeux de société » ou « cinéma », des week-ends « jardinage » ou d’autres activités artistiques, sportives ou techniques. On pourrait y organiser, en dehors des heures de cours, des « clubs » de lecture ou de théâtre, des « cafés-philos », un « club nature », des initiations au vélo, à la danse ou au badminton, des ateliers de dessin ou de menuiserie, des conférences, des expositions… A l’évidence, bon nombre de ces activités sont déjà organisées hors de l’école, mais les introduire dans l’enceinte scolaire permettrait de réduire les inégalités d’accès qui les caractérisent aujourd’hui. A titre illustratif, Tranchant (2016) montre sans surprise que les enfants dont les parents ont de bas revenus sont largement sous-représentés parmi les inscrits aux cours de musique, de théâtre et de chant qui se donnent hors de l’école. Le constat est similaire pour tant d’autres activités extrascolaires ; en cause, des raisons financières, pratiques (les trajets, l’emploi du temps familial, l’épuisement des parents après de dures journées de travail, etc.) mais aussi des imaginaires culturels et des stratégies familiales socialement différenciées (Daverne & Dutercq, 2009 ; Garton & Pratt, 1991 ; Kindelberger & Le Floc’h, 2007 ; Octobre & al., 2010). En introduisant ces activités dans ses murs, l’École ouverte les rapprocherait des élèves qui en sont socialement les plus éloignés.

L’ouverture de l’école en dehors des heures de cours proprement dites permettrait par ailleurs aux élèves qui en ont besoin d’être aidés dans le cadre de la réalisation de leurs devoirs et de l’étude de leurs leçons. Être aidés par un personnel qualifié, mais aussi par des camarades de la même classe ou par des élèves plus âgés. Ceci constituerait une alternative solidaire au juteux et florissant business des cours particuliers et du « coaching scolaire », de plus en plus investi par des firmes privées, et inaccessible aux familles modestes. A titre d’exemple, COGITO, leader du marché belge du cours particulier[4] qui revendique plusieurs milliers de « clients » chaque année, vend ainsi son « package Aristote » comprenant 16h de cours individuel au prix de 784€ (Winkel, 2020). En France, le chiffre d’affaires du coaching scolaire a quant à lui bondi de 63% depuis 2015 (Oller, 2020). Cette privatisation larvée de l’enseignement a de quoi inquiéter, tant par les inégalités qu’elle renforce que par la mercantilisation des savoirs qu’elle induit ; elle réclame des pouvoirs publics une réponse à la hauteur, dont l’École ouverte pourrait constituer l’élément central…

Cette École ouverte — au sein de laquelle les élèves auraient l’opportunité de passer des moments conviviaux, de recevoir du soutien, de participer à des activités stimulant le goût de la lecture, des arts, des sciences, des techniques, de l’activité sportive, de la nature… — contribuerait à l’établissement d’un rapport positif entre l’école et les élèves de milieux populaires. Naturellement, une école où l’on passerait tant de temps se devrait d’être agréable, et il serait dès lors nécessaire que ses locaux soient spacieux et lumineux, qu’elle comporte des toilettes propres et en nombre suffisant, un réfectoire pas trop bruyant où l’on propose des repas de qualité et des collations saines, une cour de récréation avec des bancs, des tables, des espaces verts, des espaces de détente, des aires récréatives structurées qui se prêtent à différents usages…

Ouvrir l’école au monde social

Outre ce premier enjeu consistant à faire de l’école ce principal lieu de vie des jeunes dans lequel ils participent à une panoplie d’activités éducatives, l’ouverture de l’école poursuit également l’objectif d’intégrer apprentissages « scolaires » et « monde réel ». Comme l’indiquait déjà le programme de l’Aped en 2007, l’École ouverte s’ouvre au monde en étant « réenchâssée dans les multiples dimensions sociales et activités associatives, de manière à politiser – dans le sens le plus noble du terme – les jeunes, à savoir les mettre en prise avec la réalité du système-monde, leur apprendre à jeter un regard critique sur lui et à agir collectivement pour le rendre plus juste ». Pour que les apprentissages scolaires soient véritablement émancipateurs, il est en effet nécessaire qu’ils soient mis en lien avec le monde social. En ce sens, ouvrir l’école, c’est donc rompre avec ce que Paolo Freire appelait une « conception bancaire de l’éducation », qui voit les jeunes accumuler des savoirs tels des archivistes, empiler des connaissances sans autre but que d’être « de bons élèves » et de réussir des examens, sans prendre conscience de la finalité éminemment sociale, politique, des connaissances acquises en classe. Au contraire, dans le cadre de l’École ouverte, les apprentissages scolaires sont sans cesse reliés au monde, constituent des armes pour sa compréhension et sa transformation. L’école et les connaissances que l’on y acquiert ne sont pas séparées de la « vie réelle » ; l’école est au contraire le lieu par excellence où l’on étudie le monde, en portant sur lui les multiples regards critiques que permettent les différentes disciplines scolaires. Dès lors, l’ouverture de l’école suppose à la fois d’aller vers le monde social et de le faire entrer dans l’établissement scolaire, par l’entremise de parcours pédagogiques articulant observation du monde réel, conceptualisation théorique rigoureuse, réinvestissement des apprentissages dans des actions tournées vers l’environnement local et le monde social. Au sein de l’École ouverte, les élèves apprennent donc, par exemple, à rédiger des lettres et à tracer des plans, puis écrivent un courrier aux élus locaux pour proposer et discuter l’aménagement d’une piste cyclable ou d’une zone favorable aux piétons aux alentours de l’école. Ils visitent un centre de recyclage, en découvrent les processus industriels, se renseignent sur les enjeux environnementaux qui y sont liés, invitent en classe des ouvriers et des techniciens impliqués dans le tri, la collecte et le traitement des déchets, puis mobilisent les connaissances acquises pour mener avec les habitants du quartier un projet en faveur de la réduction et du tri des déchets. Dans le cadre de la visite d’une ferme, d’une usine, d’une entreprise, d’un hôpital, d’un théâtre, d’une salle de concert, les élèves se posent des questions sur les processus techniques, sur l’organisation et les conditions de travail, sur les relations sociales et les rapports de force qui ont cours au sein des entreprises, puis affinent leurs réponses en invitant en classe des travailleurs, des syndicalistes, des experts ou en se rendant dans des bibliothèques, dans des expositions, à des réunions syndicales, à des conférences-débats… Tout ceci est articulé avec les contenus des cours de technologie, de sciences sociales, de sciences, d’Histoire, de mathématiques… De même, les élèves participent à l’organisation d’une fête de quartier, préparent et animent une soirée d’animation dans une maison de repos, initient un projet de « verdurisation » de la rue, mettent sur pied des initiatives de « troc solidaire ». En collaboration avec des travailleurs sociaux, des associations et des institutions culturelles locales, ils montent une exposition ou une pièce de théâtre ouverte à tous sur la problématique des inégalités, soutiennent des opérations de lutte contre la pauvreté… Ce faisant, ils découvrent peu à peu le monde et ses réalités sociales, techniques et environnementales, perçoivent la « fonction citoyenne » des connaissances, apprennent à s’impliquer dans des projets socialement utiles, à s’engager collectivement dans la transformation de la société. Bien entendu, de telles initiatives d’ouverture de l’école sont déjà organisées çà et là, ponctuellement, mais l’institution d’une École ouverte permettrait de les systématiser, en leur donnant les moyens structurels de leurs ambitions.

Octroyer à l’activité productive une place centrale dans la vie scolaire

Notre idée d’« École ouverte » ne peut s’appréhender indépendamment des autres propositions de notre mémorandum (Aped, 2020) ; elle s’y articule au contraire étroitement. Elle contribue notamment à octroyer à l’éducation polytechnique l’espace et le temps qu’elle réclame. Cette éducation polytechnique sera certes déjà alimentée par les visites de lieux de production que nous avons évoquées dans les paragraphes précédents, mais ceci n’est pas suffisant : pour que les élèves acquièrent une véritable culture polytechnique, il est indispensable qu’ils s’adonnent concrètement au travail productif au sein de l’école. Dans cette perspective, l’école s’ouvre aux activités productives concrètes : au sein de l’École ouverte, les élèves mènent toutes sortes de travaux, dans une interfécondation réciproque entre théorie et pratique. Ils y construisent par exemple des nichoirs en s’appuyant sur la géométrie et en lisant des textes sur les oiseaux. Ils y bricolent et réparent des dispositifs et appareils électriques en s’appuyant sur le cours de sciences, qui est nourri en retour par les difficultés conceptuelles qui se sont fait jour dans la pratique. Dans la cadre d’un projet d’aménagement de la cour de récréation, ils maçonnent un muret pour y délimiter une zone calme protégée des « jeux de ballons », construisent des bancs et des tables en bois dont la communauté scolaire pourra bientôt profiter. Dans le cadre d’un projet théâtral, avec l’aide de personnes qualifiées, ils rédigent des textes, élaborent des mises en scène, conçoivent et fabriquent des décors, dessinent et confectionnent des costumes, mènent une réflexion et un travail sur l’éclairage. En vue de la préparation d’une fête scolaire, ils cuisinent ensemble des repas, préparent des pâtisseries, mettent sur pied une procédure de réservation qui leur permette de calculer la quantité d’ingrédients nécessaires et d’éviter le gaspillage. Ils mènent des projets de robotique par l’entremise desquels ils s’initient à l’algorithmique, au codage, à l’électronique, et donc à une véritable compréhension des technologies numériques. Dans le cadre de conférences ou d’animations qu’ils organisent, ils s’initient aux techniques du son et de la vidéo. Ils dessinent les plans d’un jardin scolaire, construisent des « carrés potagers » ou installent des bordures pour y délimiter différents espaces de culture, prennent en charge les semis, l’entretien et la récolte, s’initient aux techniques agricoles et horticoles, apprennent les techniques de compostage, tout ceci en lien avec les cours de biologie et de chimie (processus d’humification, photosynthèse, fonctions des matières azotées et carbonées dans le compostage, des bactéries, champignons, micro-organismes et vers dans la qualité des sols…). Les enjeux environnementaux relatifs à ces techniques peuvent également être creusés avec toute l’importance qu’ils méritent. Les élèves participent par ailleurs aux travaux d’entretien de l’école : nettoyage, peinture, réfection des bâtiments… Dans l’École ouverte, il n’y a donc plus de scission entre la formation générale et la formation technique, ni entre théorie et pratique : toutes ces dimensions de l’apprentissage s’y trouvent au contraire intriquées, et y puisent le temps nécessaire à leur développement. En ce sens, l’École ouverte réconcilie l’Homme et l’outil, développe chez tous les élèves des habiletés à la fois manuelles et cognitives. L’École ouverte réintroduit en son sein la dimension éducative du travail, qui participe à l’instruction, à la formation et à la socialisation des jeunes. Les élèves y apprennent la rigueur et la persévérance malgré les difficultés, ainsi que l’engagement dans des projets coopératifs socialement utiles. Ils y font l’expérience de la fierté que procure le travail bien fait, et de la joie que l’on ressent d’avoir réalisé une production qui bénéficie à la collectivité.

Un espace pour s’initier aux délibérations démocratiques

L’École ouverte, en tant que lieu de vie et lieu de production collective, se doit enfin d’être un espace où s’exerce concrètement la citoyenneté. Vivre et produire ensemble, cela exige d’articuler les désirs individuels et le respect du collectif, d’élaborer, respecter, amender ensemble des règles communes, de s’organiser collectivement pour décider des projets communs, planifier leur réalisation, discuter des difficultés concrètes qui se présentent et déterminer les moyens de les surmonter. Il faut dès lors, au sein de cette École ouverte, que les élèves, les membres de l’équipe éducative, les parents et les partenaires locaux se réunissent au sein de structures participatives qui permettent d’organiser cette vie et ces productions collectives. A travers la participation à ces instances, les élèves apprennent à prendre des initiatives et des responsabilités, à écouter, à argumenter de façon constructive, à prendre des décisions ensemble, à s’engager dans des projets collectifs et à respecter ces engagements, à « faire société »… Ils y développent le respect des autres, d’eux-mêmes, et de l’environnement commun, la solidarité plutôt que l’individualisme, la coopération plutôt que la compétition. Ils y découvrent le plaisir de prendre part à des projets collectifs à finalité sociale, là où la société capitaliste ne leur fait miroiter que les satisfactions éphémères et futiles de la consommation effrénée et de l’entertainment.

Se donner les moyens d’une École ouverte structurelle

Cela va sans dire : l’École ouverte ne peut être instaurée en intimant simplement aux enseignants de prendre des initiatives et d’ « innover » en ce sens, en se reposant sur les bonnes volontés locales, ou en se limitant à soutenir des « projets-pilotes » ne concernant que quelques établissements scolaires. L’institution d’une Ecole ouverte, comme tout autre réforme progressiste du système scolaire, réclame au contraire une politique éducative volontariste qui l’organise partout et lui donne les moyens structurels de ses ambitions, c’est-à-dire :

  • une hausse significative du temps scolaire : toutes ces activités sportives, ludiques, artistiques, techniques, productives, d’ouverture au monde social… que nous avons évoquées exigent du temps, beaucoup de temps. Ce temps ne peut en aucun cas être soustrait au temps d’instruction, sous peine de conduire à un allègement des programmes des différentes disciplines scolaires. Or cet allègement des programmes s’opposerait diamétralement à notre ambition de bâtir une École démocratique, qui transmette à tous cet ambitieux bagage de connaissances qui conditionne la compréhension du monde et sa transformation ultérieure. C’est pour cette raison que les établissements scolaires doivent selon nous être ouverts le soir, le week-end et pendant les congés scolaires, même si la présence des élèves n’y serait pas requise en tout temps bien entendu. Certains pays, comme l’Estonie[5], ont déjà fait les premiers pas en ce sens : ainsi, la prise en charge des élèves estoniens ne s’arrête pas à la fin de la dernière heure de cours ; ceux-ci peuvent au contraire participer ensuite à des activités qui se déroulent soit au sein de l’école, soit dans des « écoles de loisirs » (Gorré, 2020). Notons à ce titre que le projet actuel de réforme du calendrier scolaire, malgré les quelques points positifs superficiels qu’il comporte, est une occasion manquée de mener une réflexion approfondie sur le temps et les rythmes scolaires.
  • un renforcement de l’encadrement : cet élargissement du temps scolaire ne doit certainement pas procéder d’une augmentation de la charge de travail des enseignants. Au contraire, cela nécessite d’engager du personnel qualifié supplémentaire.
  • des infrastructures et des équipements appropriés : nous avons déjà indiqué qu’une école « lieu de vie » devait offrir des locaux et un environnement agréables. Pour devenir un véritable lieu de culture classique et polytechnique, cette école doit aussi comprendre une bibliothèque, une salle de spectacle (avec du matériel audio et vidéo, des instruments de musique…), une salle omnisport dûment équipée, des laboratoires, des ateliers divers (avec des matériaux et un outillage permettant divers types d’activités productives), une cuisine accessible aux élèves, une salle informatique, des locaux de réunion, un potager…
  • une restructuration de la relation entre l’École et ses partenaires locaux : l’École ouverte ne se construit pas en concurrence avec les secteurs associatif et socioculturel, que du contraire ! L’École ouverte devient le carrefour de tous les acteurs impliqués auprès de la jeunesse. Les associations, les académies, les mouvements de jeunesse, les clubs sportifs, les écoles de devoirs, les personnes investies dans l’accueil temps libre y sont étroitement associés et bénéficient des infrastructures scolaires pour organiser leurs activités. Les parents volontaires et les aînés ont également toute leur place dans l’École ouverte, pour encadrer certaines activités, participer à des projets, assister à des conférences ou à des expositions… Ceci ne signifie pas que l’École s’ouvre naïvement à tous les vents : l’École ouverte n’accueille pas en son sein ceux qui veulent y entrer à des fins marchandes, publicitaires ou d’endoctrinement.

Bien sûr, comme d’autres de nos propositions, l’instauration de l’École ouverte aurait un coût, et exigerait donc des arbitrages politiques progressistes. D’après les chiffres de la Banque Mondiale (2020), la Belgique consacre approximativement 6,4% de son PIB à l’enseignement… C’est significativement moins que le Danemark (7,8%), la Norvège (7,9%), le Botswana (9,6 %) ou Cuba (12 %) par exemple. Est-il déraisonnable de penser qu’un pays démocratique puisse consacrer 9 ou 10 % de son PIB à l’éducation de sa jeunesse ?

Rita Wallemacq
Pierre-Yves Henrotay
Olivier Mottint

Références

APED (2007). Une École ouverte. En ligne sur le site de l’Aped : https://www.skolo.org/2007/01/27/6-une-ecole-ouverte/

APED (2020). Le mémorandum 2020 de l’Aped. En ligne sur le site de l’Aped : https://www.skolo.org/2020/02/18/memorandum-ambition-et-equite-pour-leducation/

Banque Mondiale (2020). Government expenditure on education, total (% of GDP): Data as of September 2020. En ligne sur le site de la Banque Mondiale : https://data.worldbank.org/indicator/SE.XPD.TOTL.GD.ZS?most_recent_value_desc=true&year_high_desc=true/

Daverne, C. & Dutercq, Y. (2009). Les élèves de l’élite scolaire : une autonomie sous contrôle familial. Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 8, 17-36.

Daverne, C. & Dutercq, Y. (2013). Les bons élèves : Expériences et cadres de formation. Paris : Presses Universitaires de France.

Garton, A. F. & Pratt, C. (1991). Leisure activities of adolescent school students: predictors of participation and interest. Journal of adolescence14, 305-321.

Gorré, C. (2020). Champions aux tests PISA : Le cas de l’Estonie. En ligne sur le site de l’Aped : https://www.skolo.org/2020/07/02/champions-aux-tests-pisa-le-cas-de-lestonie/

Gramsci, A. (1978). Cahiers de prison III : Cahiers 10, 11, 12 et 13. Paris : Gallimard.

Kindelberger, C. & Le Floc’h, N. (2007). Les activités extrascolaires, un facteur négligé de l’adaptation scolaire des enfants et des adolescents. In A. Florin & P. Vrignaud (Eds.), Réussir à l’école : l’impact des dimensions conatives (personnalité, motivation, estime de soi, compétences sociales), 165-182. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Lahire, B. (Ed.). (2019). Enfances de classe : De l’inégalité parmi les enfants. Paris : Seuil.

Octobre, S. & Berthomier, N. (2011). L’enfance des loisirs : éléments de synthèse. En ligne sur le site du Ministère français de la Culture : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2021/L-enfance-des-loisirs.-Elements-de-synthese-CE-2011-6

Octobre, S., Détrez C., Mercklé, P. & Berthomier, N. (2010). L’enfance des loisirs. Paris : Ministère de la Culture – DEPS.

Oller, A.-C. (2020). Le coaching scolaire : Un marché de la réalisation de soi. Paris : PUF.

Tranchant, T. (2016). Des musiciens à bonne école : Les pratiques éducatives des classes supérieures au prisme de l’apprentissage enfantin de la musique. Sociologie, 2016/1 (7), 23-40.

Winkel, J. (2020). Cogito : les derniers seront les deniers – Le business du soutien scolaire. En ligne sur le site de Médor : https://medor.coop/magazines/medor-n21-hiver-2020-2021/cogito-les-derniers-seront-les-deniers/?full=1

  1. Par « École unitaire », Gramsci entendait une « école initiale unique de culture générale, humaniste, formatrice, qui trouverait un juste équilibre entre le développement de l’aptitude au travail manuel (technique, industriel) et de développement et de l’aptitude au travail intellectuel ». Ceci rejoint à quelques nuances près notre idée d’« École commune », assurant à tous une formation à la fois classique et polytechnique.
  2. La proposition de l’Aped ne va pas jusqu’à la prise en charge de cette « vie nocturne »
  3. Octobre & Berthomier (2011, p. 6) chiffrent ces fortes disparités sociales existant en matière de lecture à la maison : « la lecture de livres obéit d’abord à une stratification sociale : même si les garçons sont un peu moins lecteurs que les filles, cette activité est et reste d’abord une activité d’enfants de cadres. 43,5 % des enfants de cadres lisent tous les jours des livres à 11 ans, contre 29 % des enfants d’ouvriers (soit 1,5 fois moins), et cet écart va croissant puisqu’à 17 ans, 16,5 % des enfants de cadres lisent tous les jours des livres alors qu’ils ne sont plus que 5,5 % parmi les enfants d’ouvriers (soit 3 fois moins) ».
  4. Dont le fondateur n’est autre que Drieu Godefridi, militant de l’ultra-capitalisme — il n’a cessé de reprocher au MR d’adopter une ligne… trop sociale — par ailleurs héraut de la cause climatosceptique et proche, en leur temps, de Mischaël Modrikamen et d’Alain Destexhe.
  5. …dont le système éducatif figure parmi les plus efficaces et les plus équitables de la zone OCDE (Gorré, 2020).