La pédagogie evidence-based, solution pour une École ambitieuse et équitable ? (3/3)

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Dans l’article précédent, nous nous sommes intéressés à une première déclinaison de l’evidence-based education, constituée par les grandes enquêtes internationales. Dans celui-ci, nous aborderons la seconde face de ce courant, qui s’appuie cette fois sur les recherches (quasi) expérimentales et les méta-analyses qui les synthétisent. A priori, l’idée de mobiliser les résultats de la recherche scientifique pour améliorer les pratiques pédagogiques semble tout à fait judicieuse. Dans cette optique, il parait de bonne méthode d’octroyer un crédit particulier aux recherches les plus robustes, qui jaugent l’efficacité d’une intervention par une expérimentation comparant au moins deux groupes (le groupe recevant l’intervention et le groupe-contrôle), tout en veillant à ce que les groupes de départ présentent des caractéristiques similaires (par la randomisation, quand c’est possible). C’est d’autant mieux si ces recherches sont répliquées par d’autres chercheurs, dans d’autres contextes, pour vérifier si les effets d’une intervention sont conservés, transférables à d’autres situations. Tout cela n’est finalement que le b. a.-ba de la démarche scientifique, même si l’on admettra aisément que l’on exclut moins certainement les tierces variables des salles de classe qu’on ne peut le faire dans un labo de chimie ou lors d’un essai thérapeutique. Ces recherches pourraient permettre de vérifier des hypothèses pédagogiques, de sortir des querelles verbeuses sur l’efficacité ou l’équité de tels ou tels dispositifs, de ne plus « se payer de mots », en quelque sorte. Ceci pourrait éclairer — sans nécessairement les trancher — des débats jusqu’ici essentiellement fondés sur des expériences ou des impressions. Expériences et impressions qui ont certes leur légitimité et méritent d’être prises en compte (voir le premier article de ce dossier consacré au courant evidence-based), mais qui, émanant inéluctablement du contexte particulier de celui qui les énonce, ne peuvent prétendre à une généralisation ipso facto.

Cet article initialement publié dans L’École démocratique, n°91, septembre 2022 (pp. 13-18) est la troisième partie d’un dossier consacré à l’evidence-based education. 

Sauf à verser dans l’anti-science ou à décréter que rien en pédagogie ne peut être appréhendé par la recherche scientifique, on ne voit donc guère de raisons a priori de s’opposer à cet éclairage apporté par le courant evidence-based… Pourvu toutefois qu’il n’exclue pas des recherches qualitatives complémentaires qui permettent une prise en compte des singularités et de la complexité des situations. Pourvu également qu’il ne réduise pas l’École à une « manufacture de la performance » mais prenne en considération les autres dimensions de l’expérience scolaire. Pourvu enfin qu’il conserve une certaine humilité lorsqu’il s’agit d’édicter des préconisations aux enseignants.

Que révèlent les recherches (quasi) expérimentales sur la pédagogie ?

Il est évidemment impossible de résumer les résultats de milliers de recherches en quelques lignes. À titre d’exemples, on peut donc citer sans les développer quelques-uns des enseignements de ces recherches expérimentales du courant evidence-based, de manière à illustrer la diversité des thématiques abordées :

  • la précocité et la fréquence des feedbacks fournis aux élèves comptent parmi les facteurs les plus favorables à l’apprentissage, surtout si ces feedbacks consistent en une correction explicite des démarches mentales plutôt que d’être de simples relevés d’erreurs à « retravailler » (Kluger & DeNisi, 1996) ;
  • à heures d’enseignement égales, le fait de « distribuer » les apprentissages (c’est-à-dire de les entrecouper de pauses et de les réactiver sur une longue période) permet une meilleure rétention à long terme que de les « masser » sur une courte période (Donovan & Radosevich, 1999) ;
  • à l’école primaire, les programmes d’enrichissement du vocabulaire (Stahl & Fairbanks, 1986) et les programmes d’entrainement à la fluence par la lecture répétée de petits textes (Therrien, 2004) ont un impact positif important sur le développement de la fluidité et de la compréhension en lecture;
  • l’enseignement réciproque entre élèves (Rosenshine & Meister, 1994) est très favorable aux apprentissages, de même que des conditions d’apprentissage coopératives structurées sont beaucoup plus efficaces que des dispositifs mettant l’accent sur la compétition entre élèves (dispositifs d’émulation, etc.) (Johnson & al., 1981, 2000 ; Roseth & al., 2006) ;
  • les classes inversées (Bissonnette & Gauthier, 2012 ; Lo & Hew, 2017) et autres variations sur le mode de l’école numérique (Galand, 2020) n’ont jusqu’à présent pas fait la preuve de plus-value significative en termes d’apprentissages ;
  • l’étude STAR, sur laquelle nous nous appuyons régulièrement à l’Aped (Kerckhofs, 2021), démontre les effets positifs majeurs et durables de la réduction de la taille des classes en début de scolarité ;
  • etc.

Plus « polémique » : l’efficacité supérieure de l’instruction par rapport à la découverte en matière d’acquisition de contenus scolaires…

Les recherches du courant evidence-based tendent également à montrer que les méthodes dites « instructionnistes » — consistant en un enseignement explicite, très guidé au départ par l’enseignant, procédant au pas-à-pas, vérifiant les acquisitions à chaque étape, fournissant des feedbacks systématiques, impliquant souvent une phase d’enseignement réciproque ou coopératif, puis allant vers un affadissement progressif du guidage — sont de manière générale plus efficaces en termes d’apprentissages scolaires que les méthodes basées sur la découverte, l’enquête ou le projet (voir par exemple Baker & al., 2002, Bereiter & Kurland, 1981-1982 ; Bissonnette & al., 2010; Borman, 2003; Gauthier & al., 2005; Gersten & Baker, 2001; Herman & al., 1999 ; Shymansky & al., 1990 ; Stockard & al., 2018 ; Swanson & Sachse-Lee, 2000). Les recherches ayant permis d’aboutir à cette conclusion sont de différents niveaux.

Les premières prennent la forme d’études comparatives à très grande échelle (ex : projet Follow Through ou rapport du National Reading Panel aux États-Unis) impliquant des (dizaines de) milliers d’élèves éventuellement suivis pendant de longues années. D’autres portent sur l’implémentation de programmes spécifiques (Success for All, Direct Instruction, etc.) dont l’efficacité est ensuite mesurée puis comparée à celle d’autres approches pédagogiques. D’autres études encore sont rétrospectives, comme cela fut le cas dans le Wisconsin par exemple. Dans cet État, à la suite des révélations de l’étude STAR sur la taille des classes, il a été décidé au cours des années ‘90 de mettre en place des classes à effectif réduit en début de scolarité. Les recherches menées pour étudier l’impact de cette réforme ont confirmé les bénéfices des petites classes, tout en constatant que ces bénéfices étaient plus importants dans certaines classes que dans d’autres. Les chercheurs ont alors tenté d’identifier les raisons de ces bénéfices contrastés en allant observer les enseignants dont les classes affichaient les plus fortes ou au contraire les plus faibles progressions. De ces observations et entretiens, il est apparu que les classes ayant connu les plus fortes progressions étaient celles qui avaient bénéficié d’un grand nombre de moments d’individualisation et d’un enseignement particulièrement explicite, progressif et structuré (Molnar & al., 2001).

Il y a enfin des études « micro » portant sur l’ « effet des exemples résolus » (worked-example effect). Dans ce type de recherches expérimentales, on compare deux groupes d’élèves randomisés. Au premier groupe, on explique comment résoudre un problème spécifique en pratiquant devant eux la démarche de résolution. Au second groupe, on propose un dispositif d’apprentissage leur permettant de découvrir par eux-mêmes la démarche de résolution. Il est ensuite demandé aux élèves des deux groupes de résoudre des problèmes similaires. Les recherches de ce type tendent également à confirmer l’efficacité supérieure moyenne de l’explicitation sur la découverte (voir par exemple Atkinson & al., 2000 ou Clark & al., 2006). Les chercheurs expliquent la supériorité de l’explicitation par deux facteurs :

  • l’élève mis en situation de découvrir par lui-même se trouve dans une situation de « double tâche » : il doit à la fois trouver la solution du problème et acquérir la démarche de résolution, ce qui le met en état de « surcharge cognitive », l’empan de la mémoire de travail se trouvant dépassé. La tâche de découverte vient alors « parasiter » le processus d’acquisition de la démarche de résolution ;
  • l’élève qui résout un problème par lui-même le fait fatalement avec des détours, des essais non concluants, en suivant des fausses pistes, en ordonnant aléatoirement les étapes de sa démarche. La résolution du problème ne lui permet alors pas toujours de reconstituer à partir de ces pièces éparses un « script » clair et structuré permettant de résoudre des problèmes similaires.

Des éléments de preuve contestés…

Cette affirmation de l’efficacité supérieure des approches instructionnistes a fait l’objet de critiques que l’on peut rapidement passer en revue.

Il y a d’abord les critiques portant sur la fiabilité de certains protocoles expérimentaux, jugés insuffisamment rigoureux. On peut sans nul doute trouver à redire lorsque l’on examine chaque dispositif expérimental pris individuellement : aucun n’est irréprochable, le choix des critères d’évaluation peut toujours être discuté et il est certain qu’en sciences humaines, isoler parfaitement une variable est impossible. Une certaine prudence s’impose donc dans les conclusions que l’on peut tirer de ces recherches. La portée de cette critique est toutefois limitée par le fait que les recherches comparant l’efficacité des approches pédagogiques se comptent par centaines, qu’elles convergent vers la même conclusion et que bon nombre d’entre elles s’appuient sur une méthodologie satisfaisant les standards en la matière.

Une autre critique fréquente consiste à affirmer que l’efficacité démontrée des approches instructionnistes n’est qu’une efficacité de surface : si les élèves soumis aux méthodes instructionnistes résolvent mieux que d’autres élèves les exercices qui leur sont proposés lors des post-tests, c’est parce qu’ils auraient été « bêtement » conditionnés à reproduire des schémas de résolution tels des automates, sans développer une compréhension profonde des concepts sous-jacents. Cette critique met en évidence un risque bien réel : des enseignants pratiquant les approches instructionnistes et seulement intéressés par le « rendement » de leurs élèves aux examens pourraient tout à fait les entrainer à exécuter machinalement des procédures qu’ils ne comprennent pas. C’est d’ailleurs ce qui a été observé dans certaines classes américaines où le programme Success for All était implanté (Kozol, 2005, 2006). Ce risque n’est cependant pas une fatalité, l’explicitation pouvant porter à la fois sur les concepts et sur les procédures. L’expérimentation menée par Schwonke et al. (2009) sur l’enseignement de la géométrie va dans ce sens. Dans cette recherche, un premier groupe d’élèves recevait un enseignement fondé sur l’explicitation de la procédure de résolution et des concepts sous-jacents ; le second groupe devait découvrir par lui-même la même procédure et les mêmes concepts en bénéficiant de feedbacks. L’expérimentation a d’abord montré que les élèves du groupe « explicitation » avaient besoin de moins de temps d’apprentissage pour parvenir à une bonne maîtrise de la procédure enseignée. Dans un second temps, les chercheurs ont demandé aux élèves des deux groupes de résoudre de nouveaux problèmes du même type en justifiant à voix haute leur démarche et les concepts sur lesquels elle se fonde. Les élèves du groupe « explicitation » ont alors également montré une meilleure compréhension des concepts géométriques que les élèves du groupe « découverte ».

Une troisième critique pointe le fait que l’efficacité des méthodes instructionnistes n’a été démontrée que concernant des apprentissages élémentaires et des procédures bien définies. Il est en effet exact qu’une part importante de ces recherches porte sur l’acquisition des compétences fondamentales en lecture, en écriture et en mathématiques. Les études portant sur l’enseignement de compétences plus complexes, quoique moins nombreuses, confirment néanmoins l’efficacité des méthodes instructionnistes (voir par exemple Marin & Halpern, 2011).

Une dernière critique récurrente consiste à affirmer qu’en matière de pédagogie, tout serait surtout fonction du contexte, et que toute tentative de généralisation d’un dispositif pédagogique efficace se heurterait à la diversité des situations. Dans un débat avec Anthony Bryk, Bressoux (2017, p. 125) apporte une réponse intéressante à cet argument : « Qui a jamais prétendu que l’acte d’enseignement n’avait aucune composante singulière ? Mais n’y a-t-il pas aussi une composante générique, commune à un grand nombre d’actes d’enseignement ? Ainsi, les travaux sur l’efficacité des enseignants montrent qu’un enseignant efficace dans une matière (p. ex. maths) a tendance à l’être aussi dans d’autres (p. ex. français), qu’un enseignant efficace dans une classe a tendance à l’être dans toutes celles où il enseigne, qu’un enseignant efficace une année a tendance à l’être les années suivantes. Autant de faits qui vont à l’encontre de l’hypothèse d’un phénomène émergent, imprédictible. Je suis en grand accord avec Bryk quand il énonce la difficulté à généraliser des expériences scientifiques clairement contrôlées et localisées. Mais difficulté ne signifie pas impossibilité, et on connaît déjà quelques cas de généralisation réussie. »

Suffira-t-il donc de pratiques instructionnistes evidencebased pour faire advenir l’École démocratique ?

La démocratisation scolaire passe nécessairement par la transmission à tous les élèves des connaissances qui leur permettent de comprendre le monde. Au vu des résultats de la recherche, les pédagogies explicites, fortement structurées et guidées par l’enseignant, apparaissent comme l’un des ingrédients incontournables pour favoriser cette démocratisation des apprentissages. Ceci implique donc de sortir d’un certain dogmatisme qui voue aux gémonies les pédagogies explicites en prétextant qu’elles se réduisent à un « dressage abrutissant » des élèves. Sortir de cette caricature est donc nécessaire… Mais il est tout aussi nécessaire de ne pas tomber dans le dogmatisme opposé, qui consisterait à faire des méthodes instructionnistes la panacée en matière de pédagogie et de réforme éducative. Ceci nous exposerait en effet à quatre dérives :

  1. L’exclusion de toute autre approche pédagogique. Sans doute emportés par leur enthousiasme, certains chercheurs réclament le bannissement des pédagogies « constructivistes », puisque celles-ci seraient par nature inefficaces. Or si les méthodes instructionnistes sont en moyenne plus efficaces que les méthodes axées sur la découverte, il n’en demeure pas moins qu’une pratique très structurée des « pédagogies actives », articulant rigoureusement exploration et explicitation, et procédant à une planification méticuleuse des apprentissages, peut elle aussi mener à d’excellents résultats en termes d’apprentissages scolaires, comme l’a montré la recherche de Reuter (2007) dans une école Freinet. D’autres recherches indiquent en outre qu’une fois qu’ils ont atteint un certain degré d’expertise, les élèves apprennent mieux en tentant de résoudre des problèmes par eux-mêmes que par l’entremise d’une méthodologie explicite (Kalyuga & al., 2001, 2003).
  2. La réduction de la pédagogie (et de l’École) à une question de rendement. L’efficacité en termes de transmission de connaissances scolaires est certainement un critère fondamental pour éclairer les choix pédagogiques. En faire le seul et unique critère conduirait toutefois à réduire l’École à des considérations strictement techniques, circonscrites aux seules « performances » des élèves. Mener des projets qui font vivre les savoirs appris en classe, coopérer pour résoudre des situations-problèmes, débattre en classe d’une œuvre culturelle ou simplement partager la lecture d’un poème ne constituent peut-être pas les moyens les plus « efficients » pour « développer des compétences ». Il n’en demeure pas moins que ces pratiques sont indispensables à la poursuite d’autres objectifs : développer la solidarité et la coopération, instiller un rapport de « conquête » vis-à-vis du savoir, découvrir que les connaissances se sont constituées au cours de l’Histoire par la confrontation des hommes à des problèmes concrets (Delire, 2021), ou encore prendre conscience que les connaissances et compétences acquises en classe permettent de comprendre et de transformer le monde, et pas seulement de réussir des examens. D’autres de ces pratiques prétendument « inefficaces » permettront de goûter au plaisir de la littérature, de développer une appétence particulière vis-à-vis d’une discipline « scolaire », de découvrir dans des œuvres culturelles des motifs d’indignation et d’engagement, ou encore des manières de concevoir le monde qui ébranlent les certitudes que l’on avait jusque-là.
  3. La standardisation étroite de l’action pédagogique. Dans les pays anglo-saxons, la démonstration de l’efficacité moyenne supérieure des approches instructionnistes a conduit à l’implémentation de dispositifs pédagogiques « prêts à l’emploi » issus de ce courant pédagogique et à des prescriptions pédagogiques toujours plus précises. Les enseignants concernés par ces dispositifs ont alors vu leur profession se réduire progressivement à l’application à la lettre de scripts pédagogiques « evidence-based ». En Flandre, le rapport de la Commission Beter Onderwijs, préconisant l’implémentation de l’instruction directe (Direct Instruction) fait craindre ce genre de dérives. S’il ne s’agit pas de s’opposer catégoriquement à l’usage stratégique de « recettes » en pédagogie — il y a de telles recettes dans tous les métiers, du pilote d’avion au chirurgien — ni de considérer que la liberté pédagogique doit être illimitée, cette tendance à la prescription pédagogique étroite menace les enseignants d’une dépossession de leur métier, et les élèves d’une standardisation de la vie scolaire, réduite à la répétition perpétuelle de scénarios pédagogiques similaires. Ce faisant, on exclut toute possibilité de prise en compte de la singularité des situations par l’enseignant, de même que l’on empêche toute ouverture de l’École sur l’extérieur ; la créativité de l’enseignant et ce qu’elle apporte à l’acte pédagogique s’en trouve tout simplement balayée. Étroitement modelée par des prescriptions techniques, l’expérience scolaire risque bien alors de prendre la forme d’un « taylorisme pédagogique » monotone, d’un « régime d’entrainement intensif à la performance » (Hargreaves, 2003) peu vecteur d’émancipation. Il est certes important que les enseignants acquièrent, par la formation, une meilleure connaissance des résultats des recherches scientifiques en matière de pédagogie, et c’est peu dire que l’on est loin du compte. Mais cette formation scientifique devrait les rendre davantage capables de mobiliser stratégiquement des ressources pédagogiques diverses répondant chacune à des finalités différentes, plutôt que de réduire les enseignants à un rôle d’exécutants.
  4. La cécité aux effets des structures des systèmes éducatifs. On trouve très régulièrement sous la plume des chercheurs de la perspective evidence-based des slogans insistant sur le fait que les établissements scolaires et les enseignants « font la différence ». A tel point que ces chercheurs semblent tout miser sur l’ « effet-école » (leadership de la direction, etc.) et l’ « effet-maître » (pédagogie, maintien de la discipline, etc.) pour rendre le système scolaire plus efficace et plus égalitaire. Ceci s’explique par le fait que les recherches expérimentales sur lesquelles ils s’appuient ne peuvent étudier que des facteurs internes aux systèmes éducatifs. Le livre « Visible Learning » (Hattie, 2009), qui est l’une des principales références du courant evidence-based, étudie ainsi l’influence de 138 variables sur les apprentissages scolaires, mais l’on ne trouvera dans cette longue liste nulle trace du marché scolaire ni de ses effets sur les inégalités scolaires. Or, comme l’a montré Nico Hirtt (2020, p. 19), « les caractéristiques structurelles des systèmes d’enseignement (quasi-marché et filiarisation) constituent les facteurs les plus déterminants dans l’iniquité de ces systèmes. Ils expliquent plus de la moitié des différences intra-européennes en la matière ». Oublier ces facteurs structurels et miser exclusivement sur la pédagogie, c’est donc non seulement mettre les enseignants sous pression, mais aussi s’empêcher de penser les réformes structurelles nécessaires à l’édification d’un système scolaire ambitieux pour tous les élèves.

Qu’en conclure ?

En définitive, si les résultats des recherches expérimentales indiquent — et c’est précieux — que les pédagogies explicites sont indispensables pour construire une École ambitieuse et égalitaire, deux grands écueils nous semblent devoir être évités.

  1. Le premier consisterait à prescrire l’application exclusive et étroite de ces pédagogies, et donc à exclure tout recours aux pédagogies actives et à ce qu’elles peuvent apporter en dehors du strict critère d’efficacité. Nous défendons plutôt, comme Goigoux (2011, p. 24), un certain éclectisme pédagogique, « qui cherche à concilier les acquis des pédagogies actives avec les exigences des pédagogies explicites et structurées. Elle combine des phases d’enseignement déclaratif (exposition de règles, de procédures ou de notions), des phases de résolution guidée sous la tutelle étroite de l’enseignant et des phases de tâtonnement, d’exploration ou de découverte (recours à des situations-problèmes) tout en accordant le plus grand soin aux phases d’entrainement, d’exercice ou de jeu qui favorisent la mémorisation des notions et l’automatisation des procédures ».
  2. Le second écueil consisterait à trop en attendre des réformes pédagogiques, et à considérer qu’on a trouvé avec les pédagogies instructionnistes la solution miracle aux difficultés scolaires rencontrées par tant d’élèves des classes populaires. Si l’amélioration des pratiques enseignantes est un levier à ne pas négliger, la pédagogie ne joue cependant pas le premier rôle en matière d’iniquité scolaire. Comme l’a montré Nico Hirtt (2020), tous les systèmes scolaires européens reposant sur des logiques de marché sont particulièrement ségrégués socialement, et de ce fait particulièrement inéquitables. Tant que l’on n’en finira pas, au nord comme au sud du pays, avec le marché et la ségrégation qu’il produit, toute réforme pédagogique sera condamnée à ne produire que des effets au mieux modérés, au pire minimes.

Références

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