Enseignement professionnel : à mort l’école des classes populaires !

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Nous reproduisons ici un texte initialement paru sur le site de la Gauche Écosocialiste. Cet article rend admirablement compte de la subordination de l’École française aux « besoins de l’économie », encore renforcée par le gouvernement Macron. L’Education Nationale se voit ainsi toujours plus étroitement modelée en fonction des exigences du patronat, et détournée de la mission émancipatrice qu’elle devrait pourtant poursuivre dans une société véritablement démocratique.

« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit »  Mélancholia, V. Hugo

Grand bond en arrière

Lors de son discours de rentrée à propos de l’école, le Président Macron a annoncé une série de mesures visant l’enseignement professionnel. Pour qui connaît ce domaine du système éducatif français – qui accueille tout de même un peu plus de 600 000 élèves – c’est une liquidation qu’il a alors engagée. Elle porte autant sur le fond éducatif que sur l’organisation des établissements. C’est, comme toujours avec lui, « la stratégie du choc ». Des annonces faites en bloc, sans précision, une «concertation» conduite au pas de charge par sa secrétaire d’état Carole Grandjean, au cours de laquelle le ministère distille aux organisations syndicales et aux associations de parents des informations et n’ouvre en réalité aucune discussion, et le lancement rapide d’une réforme, ici annoncée pour la rentrée 2023. Le tout marqué au coin «du bon sens», mais réalisée dans la brutalité. Au bout du compte, c’est la destruction finale de l’acquis qu’a représenté l’existence d’une voie scolaire de formation professionnelle au sein du système éducatif français qui est visée.

Depuis la création du CAP en 1911 jusqu’à la création des Lycées Professionnels et du baccalauréat professionnel en 1985, en passant par la création de l’Ecole Normale Nationale d’Apprentissage et l’intégration à l’Education Nationale, l’enseignement professionnel en France s’est construit certes comme une voie subalterne, mais comme une voie de formation scolaire à part entière, visant la maîtrise par nos élèves de savoirs professionnels et généraux complexes, visant à leur garantir autonomie sociale et professionnelle, mobilité et polyvalence. Dans ce processus historique l’engagement du mouvement ouvrier, du syndicalisme de transformation sociale, a été déterminant. Pour pousser la puissance publique à prendre ses responsabilités, pour contester aux patrons leur monopole sur la définition des besoins sociaux de formation. Désormais, le temps est venu de la grande régression…

Déscolarisation de la voie professionnelle

Maître mot des annonces Macron, la convergence avec l’apprentissage. Car en réalité c’est bien de l’enseignement professionnel répondant à la norme scolaire qu’on veut se débarrasser. Il faut dire que les coups portés au cours des dernières années l’ont déjà profondément affaibli : la réforme Blanquer a considérablement réduit les heures de formation dans toutes les disciplines, et elle a porté au minimum l’horaire consacré aux enseignement généraux, entamant un processus de déscolarisation de la voie professionnelle que Macron entend maintenant parachever.

Dans les annonces faites au Lycée Eric Tabarly des Sables d’Olonne, mardi 13 septembre dernier, il a voulu rassurer ses interlocuteurs à propos de la place des enseignements généraux. Il faut dire qu’on est déjà « à l’os » avec, par exemple, trois heures par semaine pour le  bloc Français, Histoire-Géographie et Education Morale et Civique, et trois heures également pour le bloc Maths et Sciences, en terminale de Baccalauréat professionnel… Néanmoins il a confirmé qu’il s’agissait d’augmenter significativement le temps passé par les élèves en entreprise. Malgré le flou et les contradictions qui règnent dans les annonces du gouvernement il semble bien que l’objectif soit de porter de 22 semaines à 33 semaines le temps passé en entreprise sur l’ensemble du cycle de baccalauréat (et de 12 ou 14 semaines à 18 ou 21 semaines en CAP selon les métiers). L’idée étant d’aller vers une quasi alternance école/entreprise en classe de terminale de baccalauréat. Trente-trois semaines soit la quasi-totalité d’une année scolaire, dont la durée est de trente-six semaines de formation.

Cela ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur l’horaire global consacré aux enseignements généraux, comme sur le temps consacré à la formation professionnelle assurée au lycée en atelier. Il est clair que le projet est de transférer aux entreprises une partie conséquente du temps de formation des élèves actuellement encore pris en charge dans les LP sur une base combinant l’enseignement professionnel pratique en ateliers de métier et les enseignements généraux nécessaires à leur formation globale d’individus et de citoyens libres (Mathématiques, Sciences, Lettres, Histoire-Géographie, Langues, Arts, EPS…).

Eclatement du cadre national de la formation

Dans le même temps, au prétexte que les équipes à l’échelle des établissements sont les mieux à même de déterminer collectivement les modalités pédagogiques permettant de mettre en œuvre ses objectifs, Macron se propose ni plus ni moins que de faire voler en éclat les cadres de référence nationaux de l’organisation de la formation et des enseignements. Et, bien entendu avec eux, de détruire le statut des professeur.es de Lycée Professionnel. Il indique que l’équilibre entre enseignements généraux et formation professionnelle, compte tenu des nouvelles modalités d’alternance qu’il entend introduire, devra faire l’objet d’une concertation locale et d’une mise en œuvre décidée à l’échelle des établissements.

Comment dire plus clairement qu’on entend détruire la forme scolaire de l’enseignement professionnel, le déréglementer et le tirer radicalement du côté de l’apprentissage et de la subordination aux modalités d’insertion dictées par les entreprises ?  Le paradoxe – mais en est-ce vraiment un ? – c’est que l’apprentissage, pourtant porté aux nues et fortement encouragé par les gouvernements depuis le quinquennat Hollande, à coup d’incitations diverses et d’allègement de charges sociales et fiscales, échoue à monter significativement en charge dans la formation des élèves du secondaire. Ce sont, de l’aveu même de la DAARES, les apprenti.es de l’enseignement supérieur (en BTS, IUT, Licence et master Pro, etc.) qui assurent l’essentiel de la croissance du nombre des contrats d’apprentissage.

Satisfaire gratuitement aux besoins les plus étroits des entreprises

Dès lors on comprend mieux la logique de la réforme que veut engager Macron : sortir l’enseignement professionnel du champ de l’enseignement scolaire, forcer sa convergence avec l’apprentissage, tout en dédouanant le patronat d’avoir pour cela à conclure des contrats de travail avec les jeunes en formation. Le coût de la rémunération envisagée pour les périodes d’alternance des lycéens professionnels (200 euros mensuels pour les moins de 18 ans, 500 euros pour les élèves majeurs) serait ainsi supporté par l’Etat, et non par leurs employeurs, lesquels sont pourtant déjà fortement aidés par quand ils embauchent des apprenti.es.

Globalement c’est bien l’ajustement aux besoins les plus étroits des entreprises et du secteur privé qu’il s’agit de promouvoir avec l’entrée des chefs d’entreprise dans les Conseil d’Administration des établissements, la révision radicale de la carte des formations par une concertation donnant la priorité aux branches professionnelle à l’échelle des régions, l’adaptation des contenus de formation aux besoins à court terme des entreprises en contradiction avec la qualification globale et la mobilité professionnelle, le décrochage des formations de la certification par le diplôme avec la mise en œuvre des « portefeuilles de compétences », etc.

Chair à patrons

Avec la réforme Macron il s’agit de fournir gratuitement du travail aux patrons. Il s’agit de sortir de l’école les enfants des classes populaires pour les envoyer bosser. Fini le lycée professionnel, vive le lycée-entreprise. Fini les études, vive l’éducation précoce au travail (mais sans les droits attachés au statut de salarié.e).

Pourtant, contrairement à ce que prétend la doxa néo-libérale, l’apprentissage n’est pas un recours. Dans les Lycées professionnels tou.tes les élèves sont accueilli.es, sans discriminations et la réussite aux examens est meilleure qu’en CFA (Centre de Formation d’Apprenti). Les taux d’accès au diplôme, de 68% pour le Bac Pro et 73% pour le CAP, sont nettement supérieurs à ceux l’apprentissage, respectivement de 41% et 59%. Les poursuites d’études sont plus nombreuses (46% contre 9% pour l’apprentissage). Le taux de décrochage est moins élevé (13% contre 30%). Au contraire l’apprentissage est une voie plus discriminante (en raison de l’origine ou du genre) et plus dangereuse : en 2019, l’Assurance maladie a recensé 10.301 accidents du travail concernant un.e apprenti.e : plus d’un par heure ! À cela s’ajoutent 3.110 accidents de trajet. Les apprenti.es représentent 50% des accidents de travail des salarié.es de moins de 20 ans…

L’acquis que représente (représentait ?) l’enseignement professionnel scolaire c’était celui de la transmission et de l’acquisition, à dignité égale, de savoirs professionnels et de savoirs généraux. Celui d’un enseignement refusant de séparer la formation des salarié.es et la formation des individus et des citoyen.nes. Un enseignement dans lequel les jeunes – 600 000 jeunes ! – majoritairement issus des classes populaires, apprenaient un métier sans subir l’exploitation et acquéraient des savoirs généraux et une culture scolaire nécessaires à leur épanouissement et à leur émancipation. C’est cela que Macron veut mettre à bas. Il faut vraiment n’avoir jamais porté des marmites de cantines scolaires, tiré du câble électrique sur des chantiers, vidé des fosses septiques ou changé des couches de personnes âgées, pour ne pas voir la différence.

Et maintenant ?

L’obsession néo-libérale de Macron que l’école “réponde” aux besoins économiques et se subordonne aux entreprises s’exprime de manière éclatante dans son projet de réforme du LP. Déscolarisation et dérèglementation sont au centre de ses objectifs. Cela dit, de l’école primaire au lycée – général, technologique ou professionnel – c’est toujours le même agenda qui s’applique. Recul du service public et explosion des inégalités, concurrence généralisée, mise sous tension et pénétration de l’éducation par les intérêts du capital privé, etc. Arrêter son projet sur l’enseignement professionnel est une urgence et un enjeu d’égalité fondamental. C’est refuser la mise à mort du lycée des classes populaires. Mais au-delà, notre objectif commun doit être de désarmer et de réparer toutes les attaques contre l’école pour reconstruire un grand service public de l’éducation. C’est un seul et même combat qu’il nous faut mener. Quant à nous nous y sommes prêts et décidés.

Emmanuel Arvois, Matthieu Brabant, Valérie Durey, Emmanuelle Johsua, Myriam Martin.
Enseignant.es en Lycée Professionnel, syndicalistes.