De nouveaux référentiels pour le tronc commun: « en progrès, mais peut mieux faire »

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Beaucoup de points dans l’actualité de l’enseignement en cette fin d’année scolaire. Suite des mouvements de grève, projet d’accord (ou de désaccord?) sectoriel, premier volet de la réforme du qualifiant, accompagnement de l’élève, etc. Mais puisqu’il n’est pas possible de traiter tout ça dans l’espace imparti à cette nouvelle rubrique, j’ai choisi de me concentrer sur ce qui, au fond, est sans doute la question la plus importante du point de vue de l’Aped : qu’est-ce que tous les futurs citoyens doivent absolument apprendre ?

Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°90, juin 2022 (pp. 14-15).

Car c’est bien de ça qu’il s’agit lorsqu’on vote des nouveaux référentiels comme le Parlement de la Communauté Française l’a fait le 22 juin dernier. Cette nouvelle étape du Pacte d’excellence a entraîné en amont des débats, des oppositions, des mini-crises et des échanges parfois vifs. Est-ce normal ? Oui sans aucun doute. Décider ce que les générations qui fréquenteront les bancs de l’école dans les prochaines années « ne peuvent ignorer » est un acte éminemment politique. En fonction de la place qu’on occupe dans la société, en fonction du choix de société que l’on fait, on n’apporte pas la même réponse. Et il est donc normal que tout le monde ne partage pas le même point de vue. Décider des contenus, c’est d’une certaine manière participer à la lutte des classes. Evidemment, au moment où ces textes arrivent au Parlement, il reste la place pour quelques beaux discours, quelques passes d’armes, mais il est clair qu’un débat parlementaire ne peut changer le résultat d’un travail qui a pris plusieurs années à différents groupes d’experts, d’enseignants, d’inspecteurs, etc.

Alors, bien ou pas bien, ces nouveaux référentiels du point de vue de l’Aped ? La réponse doit bien sûr être nuancée. Mais, pour une fois, ne soyons pas trop négatifs. S’il fallait établir une remarque dans un bulletin, nous dirions : « en progrès, mais peut mieux faire ».

Commençons par le positif. Le premier mérite de ces référentiels, c’est d’exister. Je veux dire par là, d’avoir été conçus verticalement et donc en bonnes coordination et cohérence depuis la première année primaire jusqu’à la troisième secondaire. Même si nous aurions préféré pouvoir dire « entre la première commune et la neuvième » (et même la dixième puisque nous souhaitons un tronc commun jusque 16 ans …). Incontestablement, le fait d’avoir réfléchi globalement et de balayer ainsi toute la formation commune dans tous les domaines est une démarche à saluer.

Deuxièmement, on observe un incontestable recentrage sur les savoirs. Nous avons assez combattu les dérives de l’approche par compétences pour ne pas nous en réjouir. En effet, la philosophie des précédents référentiels, c’était l’acquisition de compétences comme objectif central. Les savoirs n’étaient plus, au mieux, qu’un outil pour y arriver. Ils n’étaient plus un objectif en tant que tels. Et ça se traduisait par la place ridiculement (parfois caricaturalement) faible qu’ils occupaient dans ces référentiels. Dans les nouveaux textes, il est clair que les savoirs retrouvent toute leur importance. Ils sont largement et précisément déclinés. Nous nous en réjouissons parce que, d’une part, la précision laisse moins de place à l’interprétation. Quand les consignes sont vagues, la tentation est grande de s’adapter à son public, c’est-à-dire d’aller loin avec certains élèves et de se contenter du strict minimum avec ceux qui ont plus de mal. Or, ce sont en général ceux-là qui ont le plus besoin d’approfondir. Et parce que, d’autre part, les savoirs en tant que tels sont une condition nécessaire à l’exercice d’une citoyenneté critique.

Troisièmement, et ce n’est pas sans lien avec ce qui précède, lorsqu’on regarde les nouveaux contenus, il y a incontestablement progrès. Il est évidemment impossible ici de tout passer en revue, même très superficiellement. Citons seulement deux exemples qui vont dans le bon sens. En ce qui concerne l’énergie et le climat, ces questions sont largement abordées. Les futurs citoyens n’ignoreront normalement plus ce que signifie l’énergie. Ils pourront faire la différence entre celles qui sont renouvelables et les autres. Ils sauront que nous sommes en train de vivre un réchauffement climatique. Ils en connaîtront les causes principales et sauront décrire la notion d’effet de serre. Pour ce qui est des relations internationales, ils auront abordé en classe les notions de colonisation et de décolonisation. Ils ne pourront plus ignorer, par exemple, que le Congo fut une colonie belge, ce qui était possible jusqu’à présent (!), ni que des exactions y furent commises.

Et pour le négatif ? Un collectif d’académiques et de responsables d’associations progressistes conteste les référentiels de formation humaine (histoire, géographie, économie et société). Leur argument ? Des notions fondamentales comme capitalisme, libéralisme, socialisme, marxisme, etc. n’apparaissent tout simplement pas dans les référentiels concernés. Leur critique ne s’arrête évidemment pas à ces quelques mots. Plus globalement, ils estiment que des aspects entiers de la formation citoyenne indispensable ne sont pas abordés. Que leur répond-on ? Premièrement, qu’il était difficile de trouver un consensus sur ces différents points. Et deuxièmement que l’âge des élèves visés (maximum 15 ans) ne permet pas d’aborder ces notions avec toutes les subtilités nécessaires. Je voudrais réagir à cela, sans le faire évidemment au nom de ce collectif qui est assez grand pour le faire lui-même. Sur le premier point, il n’est pas étonnant que le consensus soit difficile à trouver. Plus généralement, il n’est pas étonnant que les divergences se marquent dans ces matières. C’est même sain. Car c’est là que les différentes visions de société s’affrontent. Davantage en tout cas que dans d’autres. Mais peut-être le résultat final aurait-il été différent si la société civile avait été représentée dans le groupe de travail chargé d’élaborer les référentiels. En effet, des experts de la branche, c’est bien. Des experts et des praticiens de l’enseignement aussi. Mais si les enjeux sont des enjeux de société, la société civile devrait également être représentée. Et un dernier élément. S’il n’y a pas de consensus sur certaines notions, pourquoi ne pas le présenter comme tel ? A condition de clairement distinguer les éléments objectifs, les faits, de ceux qui font débat, ce pourrait être extrêmement formateur. Et pour ce qui est de l’âge, on pourrait répondre que ça dépend comment les choses sont présentées. Il est sans doute difficile pour un jeune de 15 ans d’appréhender les subtilités du matérialisme dialectique. Mais celui qui a vu son père ou sa mère licencié par une multinationale qui, par ailleurs, fait du surprofit, comprend très bien les divergences d’intérêt entre les classes sociales.

Quoi qu’il en soit, cet argument (l’âge) plaide pour une autre réflexion. La formation commune ne peut pas s’arrêter à 15 ans. Dans la suite de l’enseignement obligatoire, il restera beaucoup de points nécessaires à la formation des futurs citoyens. Ça veut dire qu’au-delà du tronc commun, il doit rester une formation commune conséquente. C’est tout l’enjeu des futurs référentiels qui s’appliqueront aux trois dernières années du secondaire. Les débats risquent d’être très tendus entre ceux qui voudront maintenir une formation généraliste ambitieuse et ceux qui voudront se consacrer exclusivement à la formation optionnelle « parce qu’on n’aura déjà assez perdu de temps ». Ces référentiels-là entreront en vigueur dans sept ans. Mais vu le temps mis à élaborer les référentiels du tronc commun, il est temps de commencer à y réfléchir. Et notamment à la composition des groupes de travail chargés de les réaliser …