Quelles pratiques pour une école égalitaire et efficace ?

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A partir des travaux de recherche qu’elle mène en tant qu’assistante à l’Université de Mons, Marie Bocquillon a mis en place des activités et des outils de formation à destination des (futurs) enseignants, des directions d’établissements et des formateurs d’enseignants. Ses recherches et ses interventions portent notamment sur l’efficacité des différentes approches pédagogiques. Dans le cadre d’un atelier des « six heures pour l’école démocratique», elle apportait un éclairage scientifique sur cette question.

Qu’entend-on par « enseignement efficace » ?

Après avoir présenté le plan de son intervention, Marie Bocquillon s’appuyait sur Bloom[1] et Crahay[2] pour définir sa conception de ce qu’est un « enseignement efficace ». Selon elle, l’efficacité des pratiques enseignantes doit ainsi se jauger à l’aune de trois critères indissociables :

  • la moyenne des résultats : l’enseignement est d’autant plus efficace qu’il élève les résultats moyens des élèves ;
  • l’égalité des acquis : l’enseignement est d’autant plus efficace qu’il réduit la dispersion des résultats des élèves ;
  • l’équité sociale: l’enseignement est d’autant plus efficace qu’il réduit la corrélation entre résultats et origine sociale des élèves.

Cette définition de l’efficacité présente l’avantage d’intégrer les enjeux d’équité et d’égalité, se distinguant en cela d’une certaine acception managériale de l’ « excellence » qui aurait largement tendance à s’en départir…

Comment identifier les pratiques pédagogiques les plus efficaces ?

Marie Bocquillon indiquait ensuite que les pratiques pédagogiques influent de manière significative sur la qualité des apprentissages réalisés par les élèves, et qu’elles constituent par conséquent un levier important pour favoriser la démocratisation du système scolaire. Des recherches[3] ont en effet montré qu’à indice socio-économique similaire, certains établissements scolaires parviennent davantage que d’autres à élever la moyenne des résultats et à réduire leur variance et leur dépendance à l’origine sociale des élèves. Des observations complémentaires réalisées dans ces « établissements efficaces » ont permis de faire émerger des corrélations entre certaines pratiques enseignantes et un surcroit d’efficacité.

La question s’est alors posée aux chercheurs d’identifier de manière fiable les différents « ingrédients » constitutifs de ces pratiques efficaces. A ce titre, les opinions et les témoignages, émanent-ils d’experts, ne peuvent être considérés comme des éléments de preuve. Pour entrer dans le domaine de la scientificité, il faut a minima recourir à des études descriptives et analytiques. Qui plus est, pour répondre à des questions sur l’efficacité comparée des pratiques pédagogiques, il est indispensable de mener des recherches confrontant un groupe expérimental à un groupe-contrôle, recherches qui pourront par la suite être répliquées. Un plus haut niveau de preuve est atteint dès lors qu’on recourt à des méta-analyses de qualité, consistant en une revue systématique des recherches expérimentales portant sur une question précise. Enfin, les méga-analyses apportent un regard plus global encore, synthétisant les différentes méta-analyses qui ont été menées dans un domaine de recherche déterminé.

Que disent les recherches à propos des pratiques pédagogiques efficaces ?

Se référant à la méga-analyse menée par Bissonnette, Richard, Gauthier & Bouchard (2010)[4] portant sur l’enseignement de la lecture, de l’écriture et des mathématiques, Marie Bocquillon mettait en exergue les deux modalités pédagogiques les plus favorables aux apprentissages des élèves de niveau élémentaire, à savoir l’enseignement explicite et l’enseignement réciproque. Comparés à des approches d’inspiration constructiviste, l’enseignement explicite et l’enseignement réciproque se sont avérés plus efficaces, permettant aux élèves – et spécifiquement à ceux qui sont en difficulté d’apprentissage ou à risque d’échec – de progresser davantage.

Qu’est-ce que l’enseignement explicite ?

A partir des travaux initiaux de Rosenshine & Stevens (1986)[5] et de ceux de Gauthier, Bissonnette & Richard (2013)[6], Marie Bocquillon expliquait que l’enseignement explicite est une démarche systématique reposant sur un enseignement structuré en étapes séquencées et fortement intégrées, procédant du simple au complexe. C’est une approche pédagogique fortement guidée par l’enseignant, qui cherche à éviter l’implicite et le flou qui entravent les apprentissages des élèves, et en particulier de ceux qui sont issus des milieux populaires. En pratique, l’enseignement explicite s’articule autour de trois étapes fondamentales :

  • le modelage : durant cette phase, l’enseignant explicite les démarches cognitives et les contenus qui font l’objet de l’apprentissage ; il « pense à voix haute » et présente les informations en petites unités pour éviter la surcharge cognitive des élèves.
  • la pratique guidée : au cours de cette étape, les élèves s’essaient à la mise en pratique en duos ou en petits groupes, en bénéficiant du guidage « étape par étape » de l’enseignant. C’est donc dans le cadre de cette pratique guidée que l’on peut introduire l’enseignement réciproque entre les élèves. L’enseignant vérifie constamment la compréhension des élèves et fournit les feedbacks et l’étayage nécessaires jusqu’à l’obtention d’un taux de succès élevé.
  • la pratique autonome : durant cette phase, les élèves s’exercent seuls, dans des contextes différents et suffisamment longtemps pour permettre la consolidation des apprentissages.

Marie Bocquillon précisait que ces trois étapes ne sont pas purement séquentielles, mais que des allers-retours stratégiques entre ces trois temps peuvent au contraire favoriser les apprentissages des élèves[7].

Regrettant que l’enseignement explicite soit parfois confondu avec l’enseignement magistral, Marie Bocquillon mettait en évidence quatre caractéristiques distinctives de l’enseignement explicite :

  • le dialogue et les interactions constantes avec les élèves (alors que l’enseignement magistral se caractérise plutôt par un « monologue » de l’enseignant) ;
  • une sollicitation constante de l’activité cognitive des élèves ;
  • la présence de l’étape de pratique guidée ;
  • la vérification constante de la compréhension des élèves au cours de l’apprentissage (et non seulement à la fin de celui-ci).

Est-il opportun de recourir à l’enseignement explicite en permanence ?

Marie Bocquillon apportait une réponse nuancée à cette dernière question[8]… L’enseignement explicite étant une stratégie d’enseignement particulièrement exigeante, elle précisait qu’il semblait difficile de l’utiliser « dans son intégralité » en tout temps. Marie Bocquillon expliquait qu’en certaines circonstances, il est pertinent de recourir à des approches pédagogiques moins guidées, davantage axées sur la découverte ; c’est par exemple le cas quand les élèves ont atteint un degré de maîtrise élevé, lorsque l’on travaille en classe sur une tâche simple ou connue, lorsque l’on enseigne des idées secondaires ou que l’on dispose de beaucoup de temps. A l’inverse, lorsque le niveau de compétence des élèves est faible, que la tâche est complexe et/ou nouvelle, que l’on enseigne des idées maitresses et/ou que le temps est limité, il est important selon elle d’utiliser l’enseignement explicite, si l’on veut favoriser un enseignement efficace et équitable. Par ailleurs, il y a selon elle des ingrédients-clés de l’enseignement explicite dont on ne peut en aucun cas faire l’économie : vérifier la compréhension, vérifier les connaissances préalables, évaluer de manière formative…

Pour aller plus loin…


 

  1. Bloom, B.S. (1979). Caractéristiques individuelles et apprentissages scolaires. Bruxelles : Labor.
  2. Crahay, M. (2012). Quelle justice pour l’école de base ? In M. Crahay (Eds), L’école peut-elle être juste et efficace ? (pp. 37-89). Bruxelles : De Boeck.
  3. Voir par exemple : Collerrette, P. & Pelletier, G. (2017). Les résultats des élèves finissants du primaire de 13 commissions scolaires aux épreuves du MELS en juin 2016 et 2017. Rapport de recherche : Université du Québec en Outaouais.
  4. Bissonnette, S., Richard, M., Gauthier, C. & Bouchard, C. (2010). Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire ? Revue de Recherche Appliquée sur l’Apprentissage, Vol. 3, art. 1.
  5. Rosenshine, B. & Stevens, R. (1986). Teaching Functions. In M. C. Wittrock (Ed.), Third Handbook of Research on Teaching (pp. 376-391). New-York: Macmillan.
  6. Gauthier, C., Bissonnette, S. & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves : La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.
  7. Bocquillon, M. (2019). L’enseignement explicite, une démarche itérative et non linéaire. Université de Mons. Dépôt légal D2019/9708/16.
  8. Pour plus d’infos, se référer à : Bocquillon, M., Bissonnette, S. & Gauthier, M. (2019). Faut-il utiliser l’enseignement explicite en tout temps ? Apprendre et enseigner aujourd’hui, 8 (2), 25-28.