Pauvre langue française !

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Depuis 1990 l’Académie Française a introduit une réforme de l’orthographe. Pour la plupart de ceux qui ont pris la peine de se pencher sur la nature des changements et leurs motivations cette réforme est une question de bon sens élémentaire. La plupart des gouvernements de la francophonie ne s’y sont pas trompés. Ils ont imposé la nouvelle orthographe dans les écoles.

À titre d’exemple, en Belgique, des circulaires ministérielles ont « invité » les professeurs à enseigner prioritairement cette nouvelle orthographe. Il semble que pas mal d’enseignants interprètent le verbe « inviter »1Demander avec autorité, ordonner à quelqu’un de faire quelque chose (Larousse), exhorter, inciter, prier, proposer (Robert)  comme une vague demande qu’il ne convient pas nécessairement d’appliquer. Figurant dans une circulaire ministérielle il me parait évident que c’est bien le sens le plus impératif qui s’applique. Pourtant, ces changements apparaissent comme une nécessité évidente, même s’ils restent par trop insuffisants.

Je me refuse à continuer d’écrire « réglementaire » (prononcé « règlementaire »), parce que les typographes de l’Académie Française se sont trouvés sans caractères « è » lors d’une édition du dictionnaire de référence. De même je trouve parfaitement pédant et philosophiquement dérangeant d’écrire encore « abîme » ou « île » en souvenir d’ « abismus » et d’« insŭla », pour marquer ainsi les « nobles racines latines » de notre langue et la vocation impériale, voire impérialiste de la grande nation française (à prononcer avec un trémolo gaullien dans la voix).

Pour ma part, j’applaudis le travail de l’Académie même s’il est timide et tardif. Une langue inutilement compliquée ne donne pas envie de l’apprendre. Je regrette qu’elle n’ait pas été plus loin en rapprochant d’avantage la langue écrite de la prononciation, comme l’ont fait notamment l’italien ou le hongrois, plutôt que de continuer à s’inspirer de l’étymologie.
Remplacer les anglicismes par des mots comportant plus de syllabes, voire par de ridicules périphrases, me parait un choix désastreux qui ne peut qu’alourdir la langue.

Le comble du ridicule fut atteint lorsqu’on imposa « bogue » pour remplacer « bug » qui désigne l’erreur de programmation informatique (un champ sémantique parfaitement clair, précis et sans confusion possible). Comme quasi à chaque fois, le mot imposé comporte une syllabe de plus. Pis, il est homonyme en botanique, en zoologie, en métallurgie et en génie civil. Ne serait-il pas plus avisé d’accepter le mot anglais en en francisant phonétiquement l’orthographe, afin de rapprocher l’écrit du parlé ? Pourquoi pas un « beug », qui dans son expression comporte même une nuance péjorative parfaitement bienvenue dans le contexte ?

Je rêve que l’Académie Française prenne pour règle de base d’accepter les néologismes choisis par le peuple s’ils sont sans homonyme ni synonymes courts et précis préexistants, en se contentant d’en rendre l’orthographe phonétique. On évitera ainsi de transformer progressivement la langue écrite en un galimatias presque sans aucun rapport avec la langue parlée, à l’image de l’anglais.

L’usage de la langue comme outil nationaliste, en Belgique, nous connaissons. J’aime la langue française et je déplore qu’on continue, 200 ans après Napoléon, à l’instrumentaliser plutôt que de la faire évoluer vers une certaine efficacité. Non, une langue n’est pas belle par sa complexité et le nombre de ses exceptions. Elle est belle par l’étendue de son vocabulaire, la restriction du champ sémantique de ses mots et la précision des idées qu’elle permet d’exprimer avec simplicité et concision. Hélas, pauvre langue française, à moins d’un sursaut de tes usagers et de tes académiciens, tu peux oublier toute prétention durable d’universalité et tu as bien du souci à te faire pour ton avenir.

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