Chavez : quand un vigoureux changement de cap politique débouche sur une démocratisation réelle de l’éducation

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Enseignants progressistes confrontés quotidiennement à la misère de l’Ecole, à ses inégalités, à sa marchandisation de plus en plus cynique, nous nous posons LA question : comment inverser la tendance, comment faire avancer le schmilblick d’une Ecole vraiment démocratique ? Et si la voie la plus pertinente passait d’abord par un changement de cap politique ? Par une vraie rupture. L’actualité récente nous offre à cet égard une bonne nouvelle et une leçon d’histoire : Hugo Chavez vient d’être réélu président du Venezuela, pour un 4e mandat d’affilée. Sa popularité est exceptionnellement durable. Parce qu’il dédie les richesses nationales – dont le pétrole – à des programmes sociaux ambitieux. Avec des résultats à la clé. Quelques chiffres dans le seul secteur de l’enseignement : un triplement de la part du PIB consacrée à l’éducation, une augmentation remarquable du nombre d’enfants scolarisés (+ 70 %), un analphabétisme complètement éradiqué, près de 300 000 instituteurs en plus, des cantines scolaires accessibles à 4 millions d’enfants, etc. Ah ! Quand des socialistes accèdent au pouvoir et y font du… socialisme, avec détermination…

Bref historique

La gauche latino-américaine du tournant des 20e et 21e siècles se revendique volontiers d’une lutte pour une « deuxième indépendance » du continent. En effet, si la génération des Simon Bolivar et autres Antonio José de Sucre et José Marti avait combattu la métropole ibérique, leurs héritiers, les Chavez, Correa, Morales, Castro… luttent contre une néo-colonisation. L’Amérique latine sort progressivement de ce que Correa appelle « la longue et triste nuit néolibérale », ces trente années où elle se vit imposer les recettes désastreuses du FMI et de la Banque Mondiale, ces trente années où elle était devenue la zone la plus inégalitaire au monde.

Depuis 1998, le Venezuela joue un rôle central dans cette reconquête. En termes de décolonisation, d’éradication de la pauvreté et de conservation d’un écosystème qui constitue un poumon pour la planète entière. Petite chronologie des événements. En 1989, le pays connaît une révolte sociale, que l’armée toute puissante réprime dans le sang, en profitant au passage pour suspendre les libertés constitutionnelles. Mais au sein de l’armée, une fraction de gauche condamne ces barbaries. Cette fraction mène en 1992 deux tentatives de coup d’Etat. Toutes deux échouent. Chavez, qui avait organisé l’une d’elles, passe par la case prison. Le FMI continue d’imposer sa loi au pays, le chômage et l’extrême pauvreté explosent. En 1996, Hugo Chavez est libéré. Il crée le Parti Cinquième République, qui prône une assemblée constituante, s’oppose à l’oligarchie et se veut au service des pauvres. C’est sur ce programme qu’il est élu président en 1998. L’assemblée constituante écrit une nouvelle Constitution, adoptée en 1999. Immédiatement, certains services publics sont « sanctuarisés » : la santé, l’éducation et l’aménagement du territoire.

L’éducation comme priorité

Dans la nouvelle Constitution, on peut lire : « L’éducation est un droit de l’Homme et un devoir social fondamental, elle est démocratique, gratuite et obligatoire. L’Etat l’assumera comme fonction obligatoire et de grand intérêt à tous les niveaux et modes. » (art. 102)

Mais plus qu’une simple déclaration d’intention, cette volonté d’incarne dans la réalité. En comptant les élèves de la maternelle à l’université, et en prenant en compte les différentes « missions » visant à rendre accessible l’éducation pour les plus démunis, et ceci, quel que soit leur âge, on obtient le chiffre suivant : en 2009, sur les 29 millions de Vénézuéliens, plus de 14 millions étaient scolarisés, en formation ou poursuivaient des études, soit presque 50 % de la population.

Quelques chiffres clés :

– de 50 % d’enfants scolarisés en 1998, on est passé à 85 % en 2008 (soit une progression de 70%) ;
– l’analphabétisme, de 9 % en 1998, a été éradiqué en 2005, selon l’UNESCO ;
– le nombre d’étudiants a été multiplié par 3 en 10 ans (1999-2009).

Pour garantir l’éducation pour tou-te-s, le gouvernement s’est donné les moyens d’une politique publique :

– la part du PIB consacrée à l’éducation a triplé en dix ans (passant de 1,5 à 4,5 %) ;
– création d’écoles maternelles (Plan Simoncito) ;
– suppression des droits d’inscription aux écoles publiques ;
– le nombre d’instituteurs dans les écoles publiques a été multiplié par 5 en 10 ans, passant de 65 000 à 343 000 ;
– le nombre d’enfants ayant accès aux cantines scolaires a été multiplié par 16 en 10 ans (1998-2008). Il est passé de 250 000 à 4 millions.

1,3 million de Vénézuéliens étudient également grâce aux missions à destination des plus démunis :

– la « mission Robinson » pour l’alphabétisation ;
– la « mission Ribas » pour la poursuite de l’enseignement scolaire (plus de 100 000 bourses attribuées à des personnes souhaitant finir leur baccalauréat, mais n’ayant pas les moyens de le faire) ;
– la « mission Sucre », l’équivalent de Ribas pour le supérieur.

Une démocratisation de l’école dans une société plus démocratique

C’est une des convictions les plus ancrées dans une association comme la nôtre : l’éducation est un puissant facteur de démocratisation de la société, autant qu’une société en voie de démocratisation est le meilleur contexte pour favoriser l’éducation. Le Venezuela en fournit une illustration. L’effort fourni dans l’enseignement porte des fruits démocratiques (l’analphabétisme a disparu, le niveau d’instruction de la population monte, les enfants sont assurés de trouver à se nourrir à la cantine scolaire, des centaines de milliers d’emplois ont été créés dans l’enseignement, etc.). Il est tout aussi vrai que le contexte d’une société plus démocratique favorise l’épanouissement des enfants et de l’éducation (les familles mieux logées, plus sûres de leurs lendemains, plus impliquées dans la politique de leur nation, envoient davantage leurs enfants à l’école). Il n’est pas inutile ici de brosser à grands traits les principales avancées socio-économiques dues à la révolution bolivarienne.

C’est que l’Etat vénézuélien ose depuis bientôt 15 ans la rupture avec un ordre néolibéral que trop de monde a encore tendance à considérer comme immuable. La marge de manœuvre ainsi retrouvée lui permet de donner la priorité aux dépenses sociales, à la création d’emplois, à la réduction des inégalités. L’exploitation de la manne pétrolière (la PVDSA, pour Petroleos de Venezuela SA, entreprise publique autonome, est contrôlée par le gouvernement depuis 2002), les nationalisations (télécoms, banques, électricité, acier… et certaines petites entreprises), les expropriations, des dépenses militaires réduites (1,3 % du PIB à peine) et la création de compagnies publiques sont autant de leviers pour des programmes sociaux ambitieux.

Citons la « mission Logement », avec ses 200 000 logements sociaux depuis 2011 ; la révision du Code du travail, avec quelques grandes avancées ; la lutte contre la pauvreté, avec par exemple l’incitation à l’installation de nouveaux agriculteurs sur des terres d’Etat improductives ou des terres privées expropriées, ou les compagnies publiques distribuant des produits de première nécessité ; la santé, avec la construction de centaines de centres de santé supplémentaires.

Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), diffusant son Indice de développement humain 2011 (IDH), note d’ailleurs que le Venezuela figure parmi les pays qui ont le plus progressé, un fait d’autant plus remarquable que les Etats-Unis régressent, à cause de l’inégalité des revenus et des carences en matière de santé publique. [[Cuba, Venezuela, Chili et Brésil : progrès de l’IDH, blog « América Latina » du site du Monde, 3/11/2011 : http://america-latina.blog.lemonde.fr/2011/11/03/cuba-venezuela-chili-et-bresil-progres-de-lidh/]]

Les démocrates noteront, à côté des progrès matériels, l’implication du peuple dans les affaires publiques au travers de diverses formes de référendums et des conseils communaux. Ainsi que le souci constant de construire des solidarités internationales : le Venezuela coopère avec ses pays voisins les plus pauvres, il est un moteur dans des alliances comme l’ALBA (qui réunit les pays les plus à gauche de la région), la CELAC (Communauté des Etats Latino-Américains et des Caraïbes), l’UNASUR (Banque du Sud), etc.

C’est un peu de notre avenir qui se joue en Amérique latine

A son tour, le Nord est soumis aux recettes mortifères du FMI, de la BM et consorts. Pensons au sort des populations grecque, espagnole, portugaise, irlandaise… si proches de nous. Et bien avant cette énième « crise » économique, la doxa néolibérale nous a imposé dès le tournant des années 1980 une austérité dont nous mesurons les ravages au quotidien dans nos écoles. Même dans un pays comme le nôtre, qui n’a pas (encore ?) basculé dans une crise économique comparable à celles de la Grèce ou de l’Espagne, plus d’une personne sur sept vit sous le seuil de pauvreté. Et le gouvernement nous annonce qu’il faudra encore plus « nous serrer la ceinture » aujourd’hui… pour un avenir meilleur, toujours remis à plus tard. Quelques Etats du Sud tâchent de sortir de cette « fatalité ». Alors, même si, c’est vrai, tout n’y est pas rose – au Venezuela, une criminalité record persiste, l’économie reste trop dépendante des exportations de pétrole, des questions se posent sur un pouvoir concentré autour d’un Chavez qui n’est pas immortel, la révolution bolivarienne reste fragile, menacée qu’elle est par une droite revancharde [[Les réponses de la droite sont connues et ne varient guère. Pendant un de ses déplacements de campagne, M. Capriles, le concurrent malheureux de Chavez, confiait au journal Le Monde ce qu’il attendait de la compagnie pétrolière vénézuélienne : « PDVSA doit produire du pétrole, c’est tout. Pas des poulets ni des HLM » (Marie DELCAS, La manne du pétrole, enjeu de la présidentielle au Venezuela, Le Monde.fr 05.10.2012). Son programme : « Faire de PDVSA une entreprise efficace et bien gérée. » Même projet pour la Banque Centrale du Venezuela qu’il souhaitait redéfinir comme une entreprise à but commercial, et non plus comme servant à financer des dépenses publiques. Nous sommes là au cœur du débat : à qui doivent profiter les richesses produites dans le pays ?]] et des tentatives de déstabilisation téléguidées de l’étranger [[On se souviendra de la tentative de coup d’Etat de 2002, qui aurait réussi sans un sursaut du peuple, descendu en masse dans les rues dès l’annonce de la destitution de Chavez. Cf. Maurice LEMOINE, Coup d’État au Venezuela. Hugo Chávez sauvé par le peuple, dans le Monde diplomatique, mai 2002.]], disqualifiée et caricaturée dans les médias de masse [[Ces médias, dans leur écrasante majorité, appartiennent à des groupes financiers et industriels qui voient d’un très mauvais œil l’expérience chaviste. « Ici, on dit qu’il est possible d’employer l’argent du pétrole de façon intelligente et utile. Pas comme à Dubaï où on construit des hôtels à vingt mille euros la nuit au milieu d’un monde arabe sous-développé. Pas comme au Nigeria où la faim tue alors que ce pays est un des plus gros exportateurs mondiaux. Au Venezuela, un homme affirme qu’il est possible de résister aux multinationales et de vaincre la pauvreté. On l’accuse de tous les péchés : ‘populiste’, ‘dictateur’, ‘antisémite’… », souligne M. Collon. ]] -, nous ne bouderons pas notre plaisir et continuerons de soutenir l’expérience en cours. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : « Quel type d’économie peut vaincre la pauvreté ? Une véritable démocratie est-elle possible ? Ces enjeux concernent toute l’Amérique latine, mais aussi le Moyen-Orient, l’Afrique et même l’Europe… » [[Michel COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Investig’Action – Couleur Livres, 2009, 20€, 408 pages, ISBN: 2-87003-530-6]].

Sources

« Kit Venezuela », publié par le Parti de Gauche (membre du Front de Gauche français), document téléchargeable au format pdf : http://www.lepartidegauche.fr/militer/kit/elections-venezueliennes-pourquoi-la-victoire-chavez-est-aussi-la-notrenbsp-17055

Steve ELLNER, Au Venezuela, un chavisme sans Chavez ? L’avenir du « socialisme bolivarien », au-delà de l’élection présidentielle d’octobre. Dans le Monde diplomatique de septembre 2012