Sciences Economiques et Sociales et pédagogie invisible

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« Le charme discret des savoirs implicites et des pédagogies invisibles est, en un sens, le charme discret de la bourgeoisie. » (Bernard Lahire[1]). Depuis de nombreuses années, un débat assez vif sur l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES) se déroule en France… Si on laisse de côté les critiques de nature plutôt idéologique qui émanent de certains milieux patronaux ou de cercles libertariens, ce débat oppose des professeurs de SES qui, bien qu’étant tous attachés à l’enseignement d’une discipline scolaire qui forme les élèves aux sciences de la société, divergent quant aux contenus de la formation (programmes scolaires, nature des savoirs savants) et quant au démarches pédagogiques et didactiques à mettre en œuvre (inductivisme pédagogique, méthodes actives, etc.). Le présent texte entend contribuer à ce débat d’une part en mobilisant des références théoriques peu utilisées jusqu’ici, d’autre part en analysant deux documents pédagogiques afin de mettre en pratique la problématique retenue.

Cet article a été initialement publié dans L’École démocratique, n°48, décembre 2011 (pp. 12-21).

La « pédagogie des SES » : un malentendu fondateur

Les sciences économiques et sociales, comme discipline scolaire, sont nées dans l’enseignement secondaire en France dans la deuxième moitié des années 1960. Il s’agit d’une période (Mai 68 aidant) au cours de laquelle les pédagogies dites traditionnelles vont progressivement être remises en cause. Les pédagogies nouvelles, jusque-là développées dans des mouvements pédagogiques ou des écoles privées, vont progressivement devenir le discours dominant de l’éducation nationale : critique du cours magistral, mise en avant des pédagogies actives, transformation du contenu et du rôle des manuels scolaires, modification des rapports entre les élèves et les enseignants. Ce « discours modernisateur » ne va pas cesser, jusqu’à aujourd’hui, de structurer le discours des responsables de l’éducation nationale, même si, de temps à autre, le discours conservateur fait son retour[2], à travers quelques livres à succès et des articles vengeurs dans des organes de presse dont l’orientation conservatrice est assumée (Le Figaro Magazine, Valeurs actuelles, notamment).

Les spécialistes de l’enseignement s’accordent très largement aujourd’hui sur le caractère peu formateur des pédagogies dites « frontales » qui supposent notamment que les élèves adhèrent à l’ordre scolaire. En ce sens, les « pédagogies nouvelles » ont joué un rôle positif dans l’histoire de l’éducation et le « discours de restauration » (Antoine Prost) est une impasse. Mais l’éducation nouvelle a son tour s’est heurtée à des difficultés, elle a donné lieu à des dérives (notamment une certaine relativisation de l’importance des savoirs). Le débat sur l’éducation n’est donc pas terminé et la fameuse opposition entre « républicains » et « pédagogues » ne fait guère avancer les choses. Il faut donc reprendre sur de nouvelles bases la question de la démocratisation de l’accès au savoir en adoptant une attitude critique à l’égard des pédagogies traditionnelles comme à l’égard de certains aspects des pédagogies nouvelles. Il faut notamment mettre au centre de la réflexion les savoirs et le sens de ces savoirs pour les élèves.

Les sciences économiques et sociales ont, été dès leur naissance, un lieu particulièrement dynamique de remise en cause de la pédagogie traditionnelle. Ce que l’on nomme le « projet fondateur des SES » repose en effet, sur l’activité de l’élève, le travail sur documents, le refus d’un enseignement inspiré du modèle universitaire, etc.[3]. Portée par des enseignants clairement situés du côté de la critique sociale[4], cette activité pédagogique se réclame d’un idéal de démocratisation de l’accès au savoir. La conviction largement partagée à l’époque était que la pédagogie traditionnelle est adaptée aux héritiers, mais que la hausse des taux de scolarisation imposait de transformer les méthodes pédagogiques. Un des acteurs de cette période, Henri Lanta, écrit : « La priorité était « d’accueillir » les dizaines de milliers d’élèves qui, sans la section B, n’auraient pas connu l’enseignement général, ce qui, au passage, fournit quelques renseignements sur leur origine sociale »[5]. Soulignant qu’il faut pour cela faire parler les élèves et travailler sur documents, il ajoute : « La méthode inductive, on ne l’a pas vraiment choisie, elle s’est imposée parce que « ça marche »[6].

Cette interprétation est aussi celle d’Elisabeth Chatel[7] dans son HDR (décembre 2005). Elle y ajoute une référence théorique à l’œuvre de Basil Bernstein : « Le projet de 1966 était celui d’un enseignement pluridisciplinaire, ouvert sur le monde, refusant d’enseigner des modèles trop théoriques, faisant travailler les élèves sur des dossiers de documents, développant leur autonomie, avec des programmes construits autour d’objets problèmes, selon la méthode des Annales. Cette esquisse montre des traits qui campent, pour Bernstein, le modèle d’une pédagogie invisible aux codes intégrés »[8]. L’auteure approuve le « projet de 1966 » et ses caractéristiques pédagogiques et la référence à la « pédagogie invisible » est considérée comme positive. Ce passage est une bonne illustration de ce qui constitue le malentendu fondateur des SES[9]. En pensant adopter une pédagogie favorable aux classes populaires, les défenseurs du « projet de 1966 » ont en fait favorisé avant tout les enfants des classes moyennes[10]. En effet, pour Bernstein, l’influence croissante de la pédagogie invisible est liée aux attentes des nouvelles classes moyennes. Dans cette « pédagogie invisible » « l’accent n’est plus mis sur la transmission des savoirs, mais sur le développement et l’épanouissement de l’enfant, l’apprentissage étant conçu comme un processus tacite, proprement invisible »[11]. Basil Bernstein lui-même explique très clairement dans un texte paru en 1975 en quoi cette pédagogie est défavorable aux classes populaires: avec la pédagogie invisible, « la mère peut moins facilement diagnostiquer les progrès de l’enfant et, par conséquent, elle ne peut pas lui assurer un soutien éducatif particulier. Elle ne pourrait le faire qu’en lui offrant à la maison une atmosphère générale favorable à son éducation, ce qui suppose l’intériorisation complète des bases de la pédagogie invisible. Comme nous l’avons souligné ci-dessus ces conditions ont moins de chance d’être réalisées chez les parents de la classe ouvrière »[12]. Dès lors, la question centrale est celle qui est posée à propos des pédagogies actives par J. Deauvieau et J.P. Terrail : « pourquoi, alors que ces pédagogies ont été portées par des courants de pensée progressistes et des militants de la démocratisation scolaire, elles n’ont en rien contribué à réduire les inégalités de scolarisation »[13].

On connait désormais un certain nombre d’éléments de réponse à cette question. Les pédagogies invisibles accordent une place considérable à l’implicite afin de rompre avec le côté magistral et prescriptif des pédagogies traditionnelles. Pour surmonter les difficultés qui résultent du caractère implicite des apprentissages à réaliser, certains élèves disposent de ressources extérieures à l’école (les parents, les organismes de soutien scolaire…) et plus largement de la socialisation familiale (le rapport au langage, le rapport à l’écrit, la familiarité avec la culture savante, l’incitation à des postures réflexives, etc.). Par contre, les élèves qui ne trouvent pas en dehors de l’école ces ressources cognitives se retrouvent en situation de difficulté[14].

Stéphane Bonnery en donne un bon exemple à propos d’une activité en géographie à l’école primaire. Bonnery montre qu’il existe un malentendu entre l’enseignante pour qui il y a un objet de savoir en jeu (comprendre l’importance de la légende et du code couleur pour représenter les différences d’altitude) et les élèves qui contournent l’enjeu cognitif en appliquant les consignes de façon mécanique (on colorie telle zone en marron). Bonnery affirme que dans ce contexte il n’y a pas construction de savoir (« ils n’apprennent rien » affirme-t-il). Sa conclusion est importante : « Ce type de dispositif est à interroger, car s’il peut apparaitre pertinent de conduire les élèves à comparer les raisons pour lesquelles on colorie des zones de couleur identique ou différente, car il y a là une activité intellectuelle potentielle à faire conduire, il reste que le cadrage de la tâche de coloriage proposé par le dispositif ne permet pas d’attirer l’attention de l’élève sur l’objet de savoir. On a là une disjonction entre l’objectif d’enseignement et ce vers quoi la tâche conduit »[15]. Ce que montre cet exemple, c’est que les pédagogies actives ont tendance à se focaliser sur les tâches et les activités des élèves et à laisser dans l’implicite les enjeux cognitifs et les apprentissages à réaliser. L’effet pervers de cet implicite est d’autant plus grand que l’on cherche à favoriser l’approche « concrète » des questions à étudier. J.Y. Rochex en donne un exemple éclairant : « Tous les élèves ne parviennent pas à repérer les incessants changements de registre, par exemple, entre «  le hamster «  particulier de la classe, objet ludique et affectif, et «  le hamster «  générique, objet d’étude à construire à partir du premier, sans qu’on leur apprenne toujours comment faire, ni même que c’est à faire »[16]. Pour généraliser cette remarque, on peut, à la suite notamment des travaux d’Elisabeth Bautier[17], mettre l’accent sur l’importance du « genre second » dans les apprentissages scolaires. Cette dernière souligne en effet l’importance des pratiques langagières pour l’entrée dans la culture écrite, celle précisément à laquelle l’école devrait faire accéder tous les élèves. Le « genre second » consiste dans un usage réflexif du langage, une mise à distance de l’expérience immédiate. La réussite des apprentissages scolaires suppose que les élèves entrent dans une activité de secondarisation[18]. E. Bautier et R . Goigoux précisent : « Cette notion de «secondarisation » des activités scolaires, qui implique simultanément décontextualisation et adoption d’une autre finalité, nous semble en mesure de rendre raison de l’origine d’une bonne partie des difficultés des élèves de milieux populaires. La centration de la plupart d’entre eux sur le sens ordinaire, quotidien, des tâches, des objets ou des mots semble les empêcher de construire ces objets dans leur dimension scolaire seconde. Ils ont tendance à considérer les objets et les supports dans leur existence et leur usage non scolaires alors qu’en classe, ceux-ci sont systématiquement des enjeux de questionnements : ils convoquent des univers de savoirs, ils sont des objets d’étude et pour l’étude, ils sont aussi des ressources d’apprentissage, des objets d’analyses et de commentaires »[19].

Si on utilise cette approche pour réfléchir à l’enseignement des SES, on ne peut qu’être frappé par le fait que, dans le cadre de « l’activisme langagier » décrit par J. Deauvieau, le risque est très grand que les élèves en restent à un genre premier où l’expérience de la vie sociale joue un rôle central. Il y a là un enjeu épistémologique majeur que souligne J. Deauvieau. Certains élèves vont en rester à leur expérience du monde social ce qui les pousse à remettre en cause la vérité des savoirs scolaires[20]. Cela va alimenter de nombreux malentendus qui résultent du fait que l’enseignant se situe dans le genre second alors que les élèves en restent au genre premier. Ces malentendus constituent un obstacle majeur aux apprentissages.

Or, le « projet fondateur » des SES qui met l’accent sur la nécessité de partir des préoccupations immédiates des élèves, sur le concret et le vécu, sur la continuité entre le débat social et le discours scolaire est une formidable source de malentendus pour les élèves (notamment ceux qui sont issus des milieux populaires) qui ont l’impression qu’en SES on « discute des problèmes de société » sans percevoir, quand bien même ce serait l’intention du professeur, qu’il y a des apprentissages à réaliser[21]. Par ailleurs, lorsque la démarcation n’est pas clairement marquée entre le domaine de l’expérience immédiate et de l’opinion et le domaine des savoirs scientifiques, il y a un risque pour que les élèves retraduisent les apports théoriques dans les termes du sens commun : par exemple, la théorie néo-classique du « chômage volontaire » sera retraduite par les élèves sur la base du discours qui dénonce les chômeurs comme des « assistés » qui refusent de travailler[22].

La pédagogie invisible en action : deux études de cas

Pour illustrer notre analyse sur la pédagogie invisible en SES nous avons retenu deux exemples. Bien évidemment, ces deux exemples n’ont qu’une vertu d’illustration. Il faudrait un travail considérable de collecte de données (par des observations en classe notamment) pour préciser l’ampleur de la pratique de la pédagogie invisible. Nous ne prétendons donc pas (faute d’enquête suffisante) que les deux démarches étudiées sont représentatives. Nous voulons seulement montrer que de telles pratiques (qui existent dans une proportion indéterminée) présentent les travers de la pédagogie invisible.
Le premier exemple est un cours d’introduction au programme de première trouvé sur internet[23]. Le programme en vigueur jusqu’à l’année scolaire 2010-2011 prévoit en effet une introduction générale intitulée « Lien social, lien marchand, lien politique ». Conformément à la tradition en SES, le professeur auteur du cours n’a pas traité la question sous un angle conceptuel, il est parti d’un exemple « concret » : le tatouage[24]. Toujours en conformité avec la tradition des SES, le dossier remis aux élèves comporte des documents (essentiellement des textes, mais aussi trois photos) ainsi qu’un certain nombre de questions qui définissent les activités que les élèves doivent conduire.

L’ensemble documentaire est structuré en 3 parties. La première (3 documents), après plusieurs questions d’élucidation des textes, se termine par une question rédigée ainsi : « Montrez que le tatouage est une pratique régulée par des normes évolutives ». C’est donc la partie consacrée au « lien social », mais le terme n’est pas utilisé. La seconde partie est consacrée au thème « tatouage et relations marchandes ». Elle comporte plusieurs textes descriptifs sur le tatouage et une photo d’un marin tatoué tiré d’une publicité d’un parfum de J.P. Gaultier. La seule question relative à cet ensemble documentaire est la suivante : « Construire un schéma représentant le marché du travail avec ses différents acteurs, les facteurs qui peuvent expliquer leurs comportements respectifs et les relations qu’ils nouent sur ce marché ». La dernière partie intitulée « Les pouvoirs publics et la régulation des pratiques de tatouage » comporte un texte du syndicat des artistes tatoueurs, une question écrite d’un député et des recommandations du Conseil de l’Europe. Une seule question est posée aux élèves : « Comment la question du tatouage est-elle devenue une question politique ? Quelle est la réponse politique à cette question politique ? »[25].

Il importe d’abord de souligner que les concepteurs du programme avaient un objectif précis en prévoyant une introduction associant les trois termes « lien social », « lien marchand » et « lien politique ». Cet objectif est explicité dans le préambule du programme : « Le programme de la classe de première invite les élèves à poursuivre une réflexion consacrée à une question centrale : comment la société est- elle possible ? Comment la vie sociale ne débouche-t-elle pas sur la guerre de tous contre tous ? Si la société se produit elle-même, quels sont les dispositifs qui permettent d’assurer la cohésion sociale ? Cette réflexion est articulée autour de l’analyse de trois liens : le lien marchand, le lien social, le lien politique »[26]. Ce qui est donc attendu, c’est une mise en perspective de l’ensemble du programme de première centré sur l’organisation sociale (la cohésion sociale) et c’est une première définition de trois grands concepts qui permettent de comprendre les modalités de cette cohésion sociale : le concept de lien social (qu’il aurait été préférable d’appeler « lien communautaire »), le concept de lien marchand et le concept de lien politique. Cela impliquait notamment que l’on définisse les trois concepts de communauté (par exemple à partir de l’exemple des relations familiales étudiées en seconde ou en introduisant l’exemple des communautés religieuses), de marché (à partir de la régulation par les prix de décisions décentralisées) et de politique (à partir de l’idée de hiérarchie, de pouvoir, de contrainte). Il ne pouvait s’agir, dans une introduction, que d’une première approche de questions qui ont vocation à être reprises dans la suite du programme. Or, dans les documents étudiés, aucune esquisse de définition ou de problématisation n’existe. Les termes « marchand », « politique et « social » (« approche sociale ») sont utilisés, mais aucun document, aucune activité de recherche prescrite aux élèves, ne conduit à la moindre définition de ces termes. On suppose donc que les élèves connaissent déjà le sens de ces mots. Et il est probable en effet que ces termes disent vaguement quelque chose aux élèves. Mais aucune consigne ne pousse les élèves à passer du genre premier au genre second à propos de ce vocabulaire. On suppose donc que le sens (plus ou moins précis) que les élèves donnent à ces termes suffit. Ce faisant, on passe à côté de l’objectif d’apprentissage fixé par le programme. A l’issue de l’introduction, les élèves devraient être capables de définir avec précision chacun des trois liens et il faudrait donc que les activités proposées les conduisent à construire ces définitions. On constate sans peine qu’il n’en est rien. Aucun travail d’explicitation des concepts n’est esquissé. Si on entre plus en détail dans les activités proposées aux élèves, d’autres problèmes surgissent.

Sur la première partie (le « social »), la question posée utilise le concept de norme. Là encore aucune explicitation. On suppose que le sens de ce mot va de soi pour les élèves[27]. Mais plus problématique encore, il est évident que le professeur, en utilisant ce terme, a en tête la définition du social donnée par Durkheim dans « Les règles de la méthode sociologique »[28]. Mais l’idée selon laquelle est social ce qui relève des normes n’est pas explicitée. On demande aux élèves de montrer que les normes relatives au tatouage sont évolutives. Et le texte de David Le Breton montre qu’en effet le tatouage a d’abord été utilisé pour marquer les marginaux, puis que les aristocrates anglais l’ont utilisé ce qui en change la signification sociale. Mais aucune question précise n’est posée aux élèves qui permettrait de monter en généralité, de conceptualiser et d’en arriver au concept de lien social. Quitte à être inductif, puisque c’est la posture revendiquée par les tenants du « projet fondateur », on aurait pu demander aux élèves comment le tatouage contribue au lien social, mais rien de cela n’est proposé, ni même esquissé. On reste dans l’implicite et il y a fort à parier, malentendu majeur, que les élèves s’intéressent au tatouage bien plus qu’au lien social. Il faudrait proposer des activités pour pousser les élèves à passer au genre second, à adopter une posture réflexive par rapport aux exemples spectaculaires (bagnards, mendiants, galériens, prostituées, chanteur Eminem). Il faudrait expliciter le fait que l’exemple du tatouage n’est un prétexte pour conceptualiser et parvenir à l’idée de lien social. Sans doute peut-on supposer que le professeur a fait cela à l’oral ou ultérieurement. Mais pourquoi distribuer aux élèves un ensemble de documents et de questions de 4 pages et ne pas y faire figurer les consignes conduisant à de véritables apprentissages ? Pourquoi concevoir un document écrit qui ne comporte aucun élément d’explicitation des apprentissages visés ?

Sur la seconde partie, les choses sont encore plus problématiques. Evidemment, aucun document ou aucune question ne permet de définir le concept de lien marchand. Mais surtout, la seule question posée aux élèves est sans aucun rapport avec les documents. Elle porte sur le marché du travail alors que les documents portent sur le tatouage. Aucune question ne conduit les élèves à établir un lien entre tatouage et lien marchand. Quant à l’unique question, elle porte sur le marché du travail… dont il n’est absolument pas question dans les documents. Comment les élèves peuvent-ils répondre à cette question ? Ceux qui ont fait des SES en seconde peuvent peut-être mobiliser leurs souvenirs (mais tous n’ont sans doute pas étudié le marché du travail). La question est complexe puisqu’elle porte sur les acteurs du marché du travail et les déterminants de leurs comportements. Comme aucun élément de réponse ne se trouve dans les documents, on suppose donc que les élèves ont la science infuse et bien évidemment la capacité à répondre à une telle question est fortement liée à la position sociale des élèves. Supposons qu’on leur demande (comme c’est souvent le cas) de préparer à la maison avant la séance de cours, les réponses aux questions. On voit bien que certains élèves pourront faire appel à leurs parents, à la documentation familiale, à un usage éclairé d’internet…et d’autres ne le pourront pas. Le caractère inégalitaire de cette pédagogie invisible est manifeste. En effet, on demande aux élèves de répondre à une question sans leur donner, dans le cadre scolaire, aucun moyen d’y parvenir : on favorise les favorisés et on défavorise les défavorisés. On notera au passage que le fameux « travail sur documents », emblématique (nous dit-on) des SES[29], est ici un leurre complet puisqu’il est impossible, à partir des documents proposés d’induire la moindre proposition de portée générale sur les concepts dont l’apprentissage est, en principe, visé.

Quant à la troisième partie, elle devrait conduire les élèves à définir le concept de politique (pour comprendre le concept de lien politique). Mais là encore aucune définition dans les documents, aucune question permettant aux élèves de construire la définition. Par contre, le mot « politique » est utilisé deux fois dans la seule question posée aux élèves. On suppose donc qu’ils connaissent déjà le sens du mot. Mais même cette connaissance supposée des élèves (qui est sans doute très éloignée du sens du mot « politique » pour les sociologues ou les politistes) reste implicite. En quoi le texte des tatoueurs, la question du député et les recommandations du Conseil de l’Europe peuvent-ils « induire » une définition du concept de « lien politique » ? On propose donc aux élèves une mission impossible.
Au total, les documents utilisés et les consignes données aux élèves n’ont aucune chance de conduire les élèves à la réalisation des apprentissages prévus par le programme. Cela crée inévitablement des inégalités d’apprentissages et ces inégalités ne s’expliquent donc pas principalement par des facteurs extérieurs à l’école, mais par les choix pédagogiques et didactiques de l’enseignant dont la démarche pédagogique ne permet ni une définition explicite des savoirs pertinents, ni un cadrage permettant aux élèves de savoir quelles sont les performances qui sont attendues d’eux. Plus grave encore, on donne aux élèves des consignes et des tâches à accomplir, sans leur donner les moyens cognitifs de les réaliser.

Au-delà de ces points spécifiques, un problème plus général apparait. Dans le discours dominant en SES, on affirme haut et fort que les savoirs disciplinaires ne doivent pas être étudiés pour eux-mêmes, mais qu’ils doivent surgir progressivement à partir de l’étude d’objets problèmes. Ici l’objet problème est le tatouage. Comme on l’a vu, si le thème du tatouage est omniprésent dans les documents, les concepts qu’il s’agit de construire (lien social, lien marchand, lien politique) sont absents des documents comme des consignes données aux élèves. En définitive, on part de l’objet problème et on reste à l’objet problème. Jamais, le travail de conceptualisation n’est explicitement visé, ni par des documents, ni par des questions posées aux élèves. L’objet problème n’est donc pas un détour pédagogique, un point de départ destiné à susciter l’intérêt de l’élève et à le conduire à la conceptualisation. Il devient une fin en soi et la conceptualisation disparait.
Sans doute, le concepteur de cette séquence de cours considère-t-il, avec raison, qu’il a respecté les normes dominantes dans la profession. Pas de cours magistral, pas de théorie, pas de concept abstrait, un travail inductif à partir d’un « objet problème » (le tatouage), un travail sur documents. Mais c’est là justement que les difficultés apparaissent en pleine lumière. La séquence proposée ne permet pas aux élèves de s’approprier explicitement les savoirs qui figurent au programme et les activités des élèves ne sont pas étayées par des ressources documentaires leur permettant de construire leur propre savoir. Les seuls élèves qui peuvent accéder au travail conceptuel visé sont ceux qui disposent hors de l’école de ressources permettant d’expliciter ce qui reste implicite au sein de l’école.

Le second exemple est une activité conçue par un professeur et diffusée sur la liste professionnelle « Inter ES ». Il s’agit d’une activité liée à l’étude du thème du marché en classe de première ES. On trouvera ci-dessous en annexe la version corrigée par le professeur (les questions remises aux élèves sont en caractères gras, le corrigé du professeur en italique).

Les élèves doivent pendant une heure faire des recherches sur internet. Le fait d’utiliser les TICE est très valorisé aujourd’hui dans le système éducatif. L’élève est supposé être « actif » dans la recherche de l’information. L’activité proposée est donc emblématique de la « pédagogie des SES » : étude d’un marché concret, absence de toute référence théorique, pédagogie active, etc.
Notons tout d’abord que rien dans le document distribué aux élèves ne permet de faire explicitement le lien entre l’activité demandée aux élèves (par exemple, trouver le groupe industriel producteur de telle ou telle marque) et les savoirs qu’il s’agit de s’approprier. On peut supposer en effet que savoir que la lessive « Le chat » est produite par le groupe Henkel n’est pas une fin en soi (ce n’est pas le savoir que les élèves doivent s’approprier). Il s’agit sans doute, dans l’esprit du professeur, de relativiser le modèle de la concurrence parfaite en mettant en évidence le fait que la pluralité des produits offerts dissimule un petit nombre d’offreurs (situation d’oligopole et non de concurrence parfaite). On peut penser aussi qu’il s’agit de conduire les élèves à l’idée de différenciation des produits et donc de concurrence monopolistique. On peut supposer enfin que l’étude des marques de distributeur permet d’introduire le concept de discrimination par les prix ou celui de marché contestable. Mais à aucun moment ces concepts ou cette problématisation ne sont évoqués : ni en amont (l’activité serait alors une illustration d’une étude antérieure des limites du marché concurrentiel) ni en aval (le travail à partir d’exemples conduirait à mobiliser des références théoriques). On est bien dans une pédagogie invisible où les savoirs visés par l’activité ne sont pas précisés, sans doute parce qu’ils sont considérés comme allant de soi. Le risque est grand, comme pour le tatouage, que l’intérêt des élèves se focalise sur l’objet choisi comme exemple (le tatouage ou la lessive), c’est-à-dire sur ce qui est explicite dans les documents et pas sur ce qu’ils devraient apprendre (les savoirs formels et problématisés).

Ce second exemple permet de mettre en évidence d’autres problèmes. Le premier est le risque d’une approche normative de la question étudiée. Dans le document distribué aux élèves, il est question de publicités « agressives et accrocheuses », de la qualité « moyenne » des marques de distributeur. Bref, outre que les élèves risquent de ne pas percevoir la différence entre le savoir scolaire et le discours de la vie courante, ils risquent aussi de se situer sur le mode de l’indignation (les consommateurs se font avoir), du jugement de valeur, plutôt que sur le plan de la connaissance positive. Le second problème porte sur le recours aux TICE. Si le professeur avait distribué aux élèves un tableau présentant pour chaque marque de lessive le groupe producteur en quoi l’apprentissage aurait-il été différent ? N’aurait-il pas été possible, grâce à l’économie du temps de recherche sur internet de laisser plus de place à la conceptualisation ? Peut-être l’objectif est-il en fait l’apprentissage du savoir-faire (ou de la compétence) « rechercher des informations sur internet ». L’acquisition de savoirs en SES deviendrait donc dans cela secondaire, un simple prétexte à la formation à une compétence transversale ?

La troisième question porte sur la gestion du temps didactique. L’activité proposée est coûteuse en temps et en organisation (utiliser une salle informatique, etc.) pour des acquisitions cognitives qui se révèlent très limitées (on en reste une approche très descriptive du marché de la lessive). Or la question du temps est décisive. Beaucoup de professeurs se plaignent de la lourdeur des programmes, de l’horaire insuffisant accordé à leur discipline, du manque de temps pour mettre en œuvre une « pédagogie active ». Mais si les activités proposées aux élèves ne conduisent pas (ou très insuffisamment) à des acquisitions cognitives, il y a manifestement un usage sous optimal du temps disponible. Le problème réside sans doute dans la définition insuffisamment précise des objectifs (quels sont les apprentissages auxquels on veut conduire les élèves ?) et surtout dans le fait que les élèves risquent de se concentrer sur l’outil (le caractère plus ou moins ludique de la recherche internet) plutôt que sur les concepts économiques qui figurent au programme (portée et limite de la régulation marchande). Là encore, l’essentiel reste implicite (les savoirs disciplinaires) et il y a un risque majeur de malentendu : les élèves qui font bien leur « métier d’élève » en répondant aux questions et en suivant les consignes ne réalisent pas les apprentissages conceptuels qui pourraient enrichir leur savoir et servir de base à des apprentissages ultérieurs.

Conclusion

On l’a vu au début de ce texte, les défenseurs de « la pédagogie des SES » ont mobilisé la référence à la « pédagogie invisible » de B. Bernstein pour cautionner les pratiques préconisées par le « projet fondateur » des SES. Ce faisant, ils en appellent à un sociologue prestigieux et à un homme dont l’engagement progressiste est bien connu. Mais comme nous l’avons montré, ils font ainsi un contresens total. Loin de faire l’apologie de la pédagogie invisible, Bernstein « plaide pour une pédagogie susceptible d’affaiblir le lien entre classes sociales et performances scolaires ». J. Bourne parle à ce propos de « pédagogie visible radicale »[30]. Les sciences économiques et sociales sont donc confrontées à un dilemme douloureux. D’une part, les représentants associatifs et syndicaux de la discipline affirment défendre la démocratisation scolaire et affectent de se préoccuper en premier lieu de ceux des élèves qui ne sont pas des héritiers, mais d’autre part ils préconisent et défendent avec beaucoup de détermination une pédagogie invisible, une critique de la vérité des savoirs scolaires, dont on sait désormais qu’elles ont pour effet d’amplifier les inégalités d’apprentissage. Le refus de reconnaître cette contradiction, d’accepter une refondation de l’identité didactique de la discipline a des effets très négatifs sur les élèves comme sur les enseignants. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui déplorent la passivité des élèves, la demande de cours magistral, la difficulté croissante de mettre en œuvre la « pédagogie des SES ». Mais ils refusent d’envisager la mise en œuvre d’une « pédagogie visible radicale ». Dès lors, face à l’impossibilité, pour de nombreux élèves, de réaliser les apprentissages attendus, diverses stratégies de contournement apparaissent. L’une d’elles est le recours à des publications parascolaires se multiplient et fournissent aux élèves des éléments de savoirs systématiques et organisés qui restent en classe à l’état implicite. Au-delà des difficultés pédagogiques et didactiques vécues par les élèves et les enseignants, une autre difficulté s’aggrave. En effet, en sciences sociales comme dans les sciences de la nature, le savoir est cumulatif et la compréhension du monde visée par les enseignants de SES suppose la mobilisation de savoirs de plus en plus complexes et théoriques. Par exemple, la compréhension de la crise financière de 2007-2009 et de ses conséquences suppose de connaître ce que sont les produits financiers dérivés, le risque de système, le rôle de prêteur en dernier ressort de la banque centrale, la typologie des risques financiers, le paradoxe de la tranquillité de Minsky, les prophéties autoréalisatrices, etc. La maîtrise de ces concepts est évidemment très consommatrice de temps et sans doute impossible dans le cadre d’une « pédagogie inductive ». Les tenants du « projet fondateur » sont dès lors confrontés à un dilemme, ou bien il faut renoncer à traiter de questions qui sont au cœur de l’actualité économique et sociale, ou bien il faut les traiter sous la forme du débat d’opinion, sans apprentissage systématique des savoirs indispensables à une analyse sérieuse. Il est possible d’ailleurs de susciter par une telle approche l’intérêt des élèves qui commenteront peut-être volontiers tel ou tel article de presse ou débattront de questions polémiques. Mais au bout du compte, certains élèves ne réaliseront jamais l’appropriation des savoirs qui leur sont pourtant indispensables à la fois pour devenir des citoyens éclairés et pour poursuivre leurs études avec de plus grandes chances de succès. Et les élèves les moins dotés en capital social et culturel seront les victimes privilégiées de cette pédagogie invisible.

Ce qui devait être à l’ordre du jour, pour celles et ceux qui sont toujours attachés à la démocratisation de l’accès au savoir, c’est la mise en œuvre de ce que P. Bourdieu appelait une pédagogie rationnelle, c’est-à-dire une pédagogie « qui, ne s’accordant rien au départ, ne tenant pas pour acquis ce que quelques-uns seulement ont hérité, s’obligerait à tout en faveur de tous et s’organiserait méthodiquement par référence à la fin explicite de donner à tous les moyens d’acquérir ce qui n’est donné, sous l’apparence du don naturel, qu’aux enfants de la classe cultivée »[31]. Mais pour s’engager dans cette voie, il faudrait que le corps professionnel des professeurs de SES s’engage dans une refondation remettant en cause les idées jusqu’ici dominantes qui conduisent notamment à revendiquer la pédagogie invisible.

  1. B. Lahire (2000/2007), Savoirs et techniques intellectuelles à l’école primaire, in Deauvieau J. et Terrail J.P., Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, La dispute, 2007 (p. 84)
  2. Pendant le passage au ministère de Xavier Darcos à propos de l’apprentissage de la lecture par exemple.
  3. Pour une défense et illustration de ce projet fondateur on peut se reporter à Janine Brémond et Henri Lanta, La pédagogie des sciences économiques et sociales : mythe fondateur ou réalité ?, in Pascal Combemale (dir.), Les sciences économiques et sociales, Hachette/CNDP, 1995.
  4. Pour un témoignage récent sur le climat politique au sein des premières générations de professeurs de SES, voir la contribution de Stéphane Beaud dans D. Naudier et M. Simonet (2011), Des sociologues sans qualité ?, La Découverte.
  5. Intervention lors d’un colloque organisé par l’APSES à l’Université de Paris-Dauphine en 2007. http://www.apses.org/initiatives-actions/archives-des-evenements-passes/colloque-du-17-novembre-2007-la/les-actes-du-colloque/article/intervention-d-henri-lanta
  6. Idem.
  7. Professeur de SES, puis maîtresse de conférence en science économique, Elisabeth Chatel a joué un rôle important dans l’histoire des SES en créant et en animant pendant plusieurs années un groupe de recherche sur l’enseignement des SES au sein de l’INRP. Elle a notamment dirigé la publication d’un ouvrage consacré à l’histoire des SES : Enseigner les sciences économiques et sociales, le projet et son histoire, INRP, 1993. Le texte est disponible en version intégrale sur le site de l’ENS de Lyon http://ses.ens-lyon.fr/pdf/ses/chatel.pdf
  8. http://www.stef.ens-cachan.fr/manifs/desdt/chatel_hdr_chap_4_extraits.pdf
  9. Ce malentendu n’est pas propre aux SES. Dans un article paru en 2010 en Belgique, on trouve une défense de la pédagogie invisible au nom de l’idéal d’une école inclusive et du respect de la particularité de chaque enfant : http://www.fundp.ac.be/asbl/interfaces/revues/inclure
  10. « Tous les résultats sont convergents. Ce sont les pédagogies qui définissent le plus explicitement les savoirs pertinents (classification) et qui font connaître le plus explicitement les performances attendues de l’élève (cadrage) qui permettent aux enfants des classes défavorisées de réussir ». Roger Establet, La présence très actuelle de Basil Bernstein dans la sociologie française de l’éducation, in D. Frandji et Ph. Vitale (2008), Actualité de Basil Bernstein. Savoir, pédagogie et société, Presses universitaires de Rennes, Collection Le sens social, (p. 48)
  11. Deauvieau J. et Terrail J.P., Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, La dispute, 2007 (p. 252)
  12. B. Bernstein, Classe et pédagogies : visibles et invisibles, (1975), reproduit dans J. Deauvieau et J.P. Terrail, Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, La dispute, 2007 (p. 102)
  13. J. Deauvieau et J.P. Terrail, Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, La dispute, 2007 (p. 252)
  14. J. Deauvieau y insiste à propos des SES : « le « cours dialogué » et les « méthodes actives », souvent présentés comme des remèdes pédagogiques à la difficulté scolaire, sont précisément particulièrement difficiles à mettre en place… dans ces classes faibles. Ces méthodes d’enseignement conduisent à un affaiblissement des pratiques « explicites » de l’enseignement au profit d’une pédagogie plus « invisible » (Bernstein, 1975). Or, dans les classes où les élèves sont en difficulté scolaire, l’invisibilisation des pratiques pédagogiques passe mal. Le fait par exemple de devoir « trouver » le cours à partir d’exercices et de noter de manière autonome les résultats peut provoquer une grande incompréhension de la part des élèves des classes faibles », Observer et comprendre les pratiques enseignantes, Sociologie du travail, 2007, n° 49 (p. 103).
  15. S. Bonnery : « L’individualisation dans la classe, dans l’école, dans la société », 4 novembre 2009, http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article59 . Il ne s’agit là que de l’un des nombreux exemples donnés par S. Bonnery. Il montre par exemple comment, à l’occasion d’un travail de groupe en géométrie, certains élèves seulement ont une activité cognitive de classification et de conceptualisation, alors que d’autres se contentent d’appliquer les consignes de celui ou celle de leur camarade qui a compris que la tâche correspondait à un apprentissage.
  16. Interview accordée à « Fenêtre sur cour » Organe du SNUIPP-FSU, 4 février 2004 (http://www-old.snuipp.fr/spip.php?article1514)
  17. Au sein d’une production très riche, on peut signaler l’article d’E. Bautier et R. Goigoux, Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle, Revue française de pédagogie, n° 148, Juillet, août, septembre 2004. Dans cet article les auteurs précisent : « Les genres premiers peuvent ici être décrits comme relevant d’une production spontanée, immédiate, liée au contexte qui la suscite et n’existant que par lui, dans l’oubli d’un quelconque apprentissage ou travail sous-jacent » (p. 91) « Les genres sont seconds, lorsque, fondés sur les premiers, ils les travaillent, les ressaisissent dans une finalité qui évacue la conjoncturalité de leur production, ils supposent une production discursive qui signifie bien au-delà de l’interaction dans laquelle elle peut conjoncturellement se situer » (p. 91).
  18. Pour éviter tout malentendu, précisons que la secondarisation, en ce sens, s’impose aussi bien à l’école qu’au collège, au lycée et dans l’enseignement supérieur.
  19. E. Bautier et R. Goigoux, article cité, p. 91
  20. « Reconnaître la « vérité » des savoirs scolaires d’un point de vue épistémologique est le préalable à tout apprentissage, et, partant, à toute critique de ces savoirs sur un plan intellectuel et scriptural. Les travaux sur l’apprentissage montrent que le rapport aux savoirs des élèves en difficulté scolaire tend à relativiser les savoirs scolaires au nom d’une « vérité » de l’expérience et que cette attitude empêche précisément d’entrer dans une posture d’apprentissage » J. Deauvieau, article cité, (p. 108).
  21. Ces malentendus se manifestent notamment dans l’usage du vocabulaire. Il n’est pas évident que le remboursement d’une dette soit une composante de l’épargne ou qu’une entreprise puisse avoir un but non lucratif. Il est plus complexe encore de s’approprier les différents sens du mont « capital » (qui sont tous très éloignés du sens courant). Quand on en reste à l’activisme langagier décrit par J. Deauvieau, il y a fort à parier que l’apprentissage du vocabulaire propre aux sciences sociales ne se réalisera que très difficilement.
  22. Ce risque de retraduction sera plus fort si le professeur, au nom de l’esprit critique, dénonce les analyses néo-classiques et les assimile aux « politiques néolibérales ».
  23. http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/03/02/87/cours-de-1-re/Introduction-regard-socio-eco-et-pol-sur-le-tatouage.pdf. Le nom du professeur auteur de ce support de cours ne figurait pas sur le site consulté. En tout état de cause, il semble nécessaire de conserver l’anonymat des professeurs auteurs des documents étudiés (même si ces documents sont publics du fait de leur diffusion sur internet.
  24. Une des normes implicites que l’on peut repérer dans les manuels consiste à prendre des exemples dont on pense qu’ils sont susceptibles d’intéresser les élèves (le sport, la musique, etc.).
  25. Cette question est extrêmement complexe et ambitieuse. Bien qu’elle porte sur un objet « concret », le tatouage, on ne peut y répondre que grâce à un haut niveau d’abstraction. Or à ce stade de l’année et compte tenu des documents proposés, les élèves ne peuvent pas détenir, sur la base de leurs activités scolaires, la familiarité avec le concept de politique qui seule permettrait de répondre à la question. Il y a fort à parier que pour la majorité des élèves la politique est assimilée à la politique politicienne. On a encore un exemple de malentendu : le professeur utilise un concept alors que les élèves font référence au sens courant du mot et rien n’est fait pour conduire les élèves à passer de ce sen s lié à l’expérience (genre premier) au sens conceptuel (genre second).
  26. Ce programme est paru au Journal Officiel du 30 juin 2001.
  27. Rappelons que cette activité d’introduction est proposée dans les premières heures de cours de l’année et que certains des élèves n’ont même pas suivi l’enseignement optionnel de SES de seconde.
  28. Cela pose le problème que nous ne traiterons pas ici de la confusion entre le social et le sociologique. Voir à ce propos l’article que nous avons écrit avec C. Dollo et C. Rodrigues : http://www.eloge-des-ses.fr/textes-en-ligne/intro-seconde-_definitif-ab-cd-cr-2008.pdf
  29. Mais qui est aujourd’hui très utilisé dans l’ensemble des disciplines scolaires.
  30. J.Y. Rochex, L’œuvre de Bernstein : une sociologie non déterministe, parce que non sociologiste, in D. Frandji et Ph. Vitale (2008), Actualité de Basil Bernstein. Savoir, pédagogie et société, Presses universitaires de Rennes, Collection Le sens social, (p. 109)
  31. P. Bourdieu (1966), L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture, Revue française de sociologie – vol. 7 n° 3, p. 325-347