Manifeste pour des universités à la hauteur de leurs missions

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Fin janvier 2012, Annick Stevens, enseignante-chercheuse à l’ULg, publiait une lettre ouverte : « Pourquoi je quitte l’université après dix ans d’enseignement ». Les échos qu’elle a suscités se traduisent maintenant en un Manifeste. A lire. Et à signer…

Fin janvier 2012, une enseignante-chercheuse de l’Université de Liège remettait sa démission et rendait publiques au sein de l’université les raisons de celle-ci, dénonçant la dégradation des universités européennes et en particulier le productivisme et l’arrivisme ambiants, devenus insoutenables. La publication du texte et ses échos dans la presse et la société belges provoquèrent une vague de soutien inattendue, des dizaines de collègues se reconnaissant dans le diagnostic et désirant y trouver des remèdes. Très vite des universitaires français et espagnols se joignirent au mouvement, confirmant le caractère européen de la tendance dénoncée.

Après divers échanges et réunions de réflexion, un site web fut créé et un manifeste rédigé afin d’entamer un large mouvement d’actions et de débat autour de l’avenir de nos universités.

C’est ce manifeste que nous vous proposons de signer, non comme on signe une simple pétition à destination d’un tiers, mais aussi comme un engagement à résister au processus de délitement et à agir personnellement en vue de retrouver une université à la hauteur de ses missions.

Les universités subventionnées par des fonds publics ont trois missions, l’enseignement, la recherche et le service à la société, qui se caractérisent par leur imbrication et leurs finalités.

Pour les signataires de ce manifeste, ces missions ont pour finalités :

  • de conserver les savoirs acquis au cours de l’histoire, de produire de nouveaux savoirs et de transmettre les uns et les autres au plus grand nombre avec les controverses dont ils ont été ou sont l’objet ;
  • de former les étudiants aux méthodologies de recherche et à l’analyse critique des enjeux et effets sociétaux des questions, pratiques et résultats du champ scientifique, à l’exercice d’une pensée dégagée de tout dogme dans la quête du bien commun et à celui d’une activité professionnelle experte et responsable ;
  • d’alimenter la réflexion des sociétés sur elles-mêmes, en particulier sur leur modèle de développement.

Les modes de gouvernance actuels des universités vont à l’encontre de cette vision de l’institution universitaire.

Ces modes prennent pour maîtres mots efficacité, rentabilité et compétitivité. Le projet proposé aux universités est celui de devenir des instances d’un maximum de production en un minimum de temps, de chercheurs et professionnels adaptés aux exigences du marché, flexibles et concurrentiels – le progrès de l’humanité se mesurant en termes de croissance économique et d’avancées techniques et celui des universités, en termes de « masses critiques ».

Ainsi, et avec des conséquences emboîtées :

Les universités sont soumises à des évaluations et audits internationaux de plus en plus nombreux, qui mesurent leur productivité respective et permettent de les situer dans des rankings.

Sans nier l’intérêt de l’évaluation des pratiques des universités et de leurs effets, on doit constater que les évaluations actuelles opèrent selon des critères étroits, le plus souvent formels et calibrés sur des pratiques standardisées ; que la compétition qu’elles renforcent entre universités entretient une course aux publications dont le nombre peut prévaloir sur l’intérêt intrinsèque ; que leurs procédures sont d’une encombrante bureaucratie et que le message qu’elles véhiculent rappelle en permanence aux universités que la logique à laquelle elles doivent se rendre est celle du marché et de la normalisation mondiale.

Hors dotation de base des universités, la sélection des recherches éligibles pour un financement est largement déterminée par des appels d’offre et la taille ou la réputation des équipes qui répondent à ces appels.

Cet état des choses met à mal l’identité de la recherche universitaire, en principe curieuse de tout et ouverte à l’innovation dont peuvent aussi être porteurs les petites équipes de chercheurs et les jeunes chercheurs sans réputation assise. Il entraîne à la course au projet bien cadré et bien présenté plutôt qu’à celui qui importerait du point de vue de l’avancée des connaissances.

Quant à l’enseignement, les crédits alloués aux universités dépendent le plus souvent du nombre de leurs étudiants.

Dans le cas d’une enveloppe fermée, ceci conduit à une « chasse aux étudiants » qui fait courir le risque d’une diminution de la qualité des formations offertes et celui de voir disparaître des disciplines importantes mais peu fréquentées.

Les enseignements universitaires sont appelés à spécifier les compétences professionnalisantes qu’ils sont censés développer chez les étudiants.

Si doter les étudiants des compétences nécessaires à leurs futures activités professionnelles est indispensable, la mise en relief de ces compétences expose les enseignements universitaires à privilégier les savoirs utilitaristes et « vendables » aux dépens des sciences fondamentales et des savoirs de portée humaniste, critiques et réflexifs.

Les services de gestion interne et de représentations dus par les personnels universitaires à leur institution se multiplient et prennent le pas sur les services dus à la société.

Les éléments qui viennent d’être évoqués concourent à rendre le travail des personnels universitaires répétitif et de moins en moins innovant, accentuent le stress au travail de nombre d’entre eux – le chercheur et l’enseignant passionnés risquent d’y perdre leurs idéaux.

Les signataires de ce manifeste appellent, pour promouvoir leur vision de l’institution universitaire :

  • à garantir à la recherche universitaire la liberté d’exploration nécessaire à toute découverte, le droit à l’hésitation et le droit à l’échec ;
  • à rééquilibrer les parts respectives des savoirs critiques et opérationnels, des compétences générales et professionnalisantes dans les formations offertes par les universités ;
  • à promouvoir les services à la société ;

à juguler l’inflation bureaucratique, la course contre la montre et autres facteurs de stress qui empêchent les personnels des universités de bien faire leur travail ;

  • à évaluer les pratiques des universités et leurs effets au regard des finalités de l’institution universitaire et non pas à celui des attentes du marché.

A leurs yeux, rencontrer ces nécessités passe notamment par :

  • l’affirmation des finalités de l’institution universitaire telles que définies plus haut ;
  • le refinancement global de l’enseignement supérieur ;
  • l’utilisation de critères d’attribution des fonds publics qui encouragent la diversité de la recherche et qui protègent la qualité et la pluralité des formations offertes par les universités.

Ils appellent :

  • les pouvoirs publics et les autorités académiques des universités, à reconnaître aux universités des finalités conformes à leur identité et à leur fonction sociale et à leur donner les moyens de rencontrer ces finalités ;
  • les personnels des universités, à résister aux mesures et pratiques allant en sens opposé à celui des positions de ce manifeste ; à ouvrir des espaces d’expression et d’analyse approfondie du malaise des universitaires, de ses causes et de ses pistes de solution ; à se mobiliser dans des actions concrètes – à déterminer selon les contextes – pour faire valoir leurs positions et propositions en tout lieu utile ; à soutenir les mouvements et actions hors universités en quête du bien commun.

Signez le Manifeste :

http://www.univendebat.eu/signez-le-manifeste/