D’une législature à l’autre

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Exit Christian Dupont. Voici venir Marie-Dominique Simonet. L’occasion, pour l’Aped, de faire le bilan de la législature sortante. Le projet de l’Aped “vers l’école commune” a été couché sur papier en 2006. L’action des gouvernements sortants nous a-t-elle rapproché de l’école démocratique tant désirée ? Nous sommes loin du compte et, avouons le, peu enclins à croire que le changement de têtes dirigeantes suffira à changer la donne…

1. Quelle formation commune ? Jusqu’à quel âge ?

Le programme de l’Aped préconise la mise en oeuvre d’une école commune, donc sans filières qualifiantes et sans options spécialisées, jusqu’au seuil de l’âge de 16 ans (donc jusqu’à l’actuelle 4e secondaire, comprise). Ce choix repose sur deux grands arguments : notre vision du rôle de l’enseignement obligatoire et la quête d’équité sociale.

La première mission de l’école est — ou plutôt: devrait être — d’apporter aux futurs citoyens les outils qui leur permettront de prendre intelligemment leur place dans la société. Ils devront d’une part être dotés des connaissances qui assureront leur participation à cette société, en matière de soins de santé, d’éducation des enfants, de services administratifs, de sécurité routière, de droits sociaux, de rapports avec la Justice, de sauvegarde de l’environnement, et bien sûr de production de richesses (l’employabilité, pour le dire avec les termes à la mode). Mais d’autre part, ils devront posséder les connaissances permettant de s’abstraire de cette société, de la juger, de la critiquer et, si nécessaire, de la combattre. L’enfant doit donc être à la fois socialisé et acquérir une citoyenneté critique.

Socialisation et citoyenneté critique ?

La complexité des choix qui attendent ces jeunes, que ce soit dans leur vie privée, dans leur vie professionnelle ou dans leur vie de citoyens, est de plus en plus grande. La globalisation du monde a fait en sorte que nos actes quotidiens comme nos choix politiques ont des implications économiques, environnementales, culturelles et sociales de plus en plus vastes. Les connaissances nécessaires pour maîtriser ces enjeux sont devenues énormes. Nul ne devrait donc sortir de l’enseignement obligatoire sans avoir acquis un sérieux bagage de connaissances en économie, en technologie, en géographie, en histoire, en sciences; nul ne devrait en sortir sans avoir appris à apprécier la diversité des cultures et des formes d’expression artistique. Telle est, en résumé, notre ambition d’une formation générale et polytechnique pour tous.
Seulement voilà : aujourd’hui, la spécialisation précoce des filières et des options empêche les élèves d’accéder à cet universalisme. Les uns sont gavés de maçonnerie, les autres de sciences sociales, les uns de bureautique, les autres de mathématique. Mais les uns et les autres demeurent analphabètes dans les domaines qui échappent à leur spécialisation. L’enquête sur les « savoirs citoyens critiques », réalisée l’an dernier par l’Aped auprès des élèves de 5e et 6e année de l’enseignement secondaire, fut tristement révélatrice à cet égard.

Sélection scolaire et sociale

Notre deuxième motivation en faveur d’une prolongation du tronc commun, c’est que la sélection scolaire qui alimente les filières d’enseignement dès l’âge de 12 ans est, pour l’essentiel, une sélection sociale. En Communauté française comme en Communauté flamande, un enfant du décile socio-économique supérieur a environ dix fois plus de chance de fréquenter l’enseignement général à 15 ans qu’un enfant du décile inférieur. Aussi l’orientation précoce est-elle devenue l’une des plus importantes instances de reproduction des classes sociales.
Cette idée avait gagné pas mal de terrain au cours des dernières décennies, du moins dans les milieux académiques et dans les milieux politiques progressistes.

En Communauté française : vers l’abandon de l’idéal d’une école commune

En Communauté française, depuis plus de vingt ans, on assiste à une succession de tentatives en vue de prolonger le tronc commun de l’enseignement primaire en y incluant le premier degré de l’enseignement secondaire et en reportant donc le premier palier d’orientation vers l’âge de 14 ans.

Malheureusement, ces tentatives ne sont guère couronnées de succès, et ce pour deux raisons principales.

Premièrement, elles ne sont pas accompagnées de dispositions radicales capables d’éliminer les écarts entre les niveaux de performances des élèves à la sortie des six années d’enseignement primaire : à défaut de mesures contre la ségrégation sociale engendrée par les marchés scolaires, à défaut de taux d’encadrement suffisants dans les premières années d’école, à défaut d’une régulation plus stricte des programmes d’enseignement, les élèves continuent de terminer l’école primaire avec de telles différences d’acquis qu’il est quasiment impossible de poursuivre un véritable tronc commun sans imposer un nivellement du niveau d’enseignement. Et donc une réaction de rejet de la part des professeurs du secondaire.

Deuxièmement, le premier degré commun reste organisé dans des établissements secondaires qui, eux, n’ont rien de commun ! Certains se spécialisent dès la 3e année dans l’enseignement de transition, d’autres dans l’enseignement de qualification. Et même à l’intérieur de chaque filière, on observe d’énormes différences d’exigences et de publics. En d’autres mots, on n’a un tronc commun que sur papier.

Face à ces échecs répétés, la tendance actuelle chez les décideurs politiques est plutôt d’abandonner l’idéal d’une école commune de plus longue durée, pour se rabattre sur une «revalorisation» de l’enseignement professionnel. Nous ne rejetons pas cette piste a priori : elle pourrait constituer une stratégie acceptable temporairement, en attendant qu’une lutte contre les inégalités scolaires à l’école primaire porte ses fruits. Encore faut-il voir ce que l’on entend par «revalorisation». Trop souvent, dans le chef des ministres de l’Education, celle-ci est exclusivement entendue comme une meilleure adaptation des formations qualifiantes aux attentes du marché du travail. Certes, cela ne signifie pas forcément davantage de formation technique ou pratique. De plus en plus, les employeurs (surtout dans les secteurs de pointe) privilégient l’adaptabilité de la main d’oeuvre sur leur qualification technique. Ils réclament des «compétences générales» désormais bien connues : communication dans la langue maternelle et dans une langue étrangère, savoir calculer, un peu de culture scientifique, un minimum d’alphabétisation numérique, de l’esprit d’entreprise et de la flexibilité. Telles sont les compétences réclamées depuis quinze ans par l’OCDE, la Banque Mondiale, les lobbies patronaux et la Commission européenne.

Et c’est bien à ces compétences-là que tendent à se restreindre les programmes de l’enseignement, aussi bien dans le qualifiant que dans le général. Le problème, c’est que cette tendance se réalise une fois de plus au détriment des autres pans de la formation générale. C’est ainsi que l’on voit un élève sur deux sortir de l’enseignement professionnel sans savoir que le Congo fut une colonie belge. C’est ainsi que l’on voit un élève sur deux sortir de l’enseignement général en croyant que le niveau de vie des Chinois est supérieur à celui des Belges. C’est ainsi qu’un futur citoyen sur deux pense que la moitié de notre électricité est d’origine renouvelable…

Il est temps que l’on sorte de l’alternative équité ou qualité. Un enseignement exigeant pour tous : voilà notre ambition. Voilà ce qui motive l’école commune de 6 à 16 ans.

En Flandre : quelques initiatives sans effet sur le terrain ?

En Communauté flamande, le premier degré est, en principe, commun et l’orientation vers le général, le technique, le professionnel ou l’artistique ne devrait se faire qu’à partir du deuxième degré. En pratique, par contre, le premier degré se tourne déjà vers les options d’orientation du deuxième degré. On assiste à plusieurs initiatives pour reporter cette orientation jusqu’à l’âge de 14 ans. Dans l’enseignement libre, plus que 50 écoles se sont réunies en un « Studiegroep Authentieke Middenscholen » (St.A.M. pour Groupe d’Etude Ecoles Moyennes Authentiques).

Le ministre Frank Vandenbroucke a lancé certaines initiatives « bottom-up », dont quelques-unes ont pour but d’abattre des murs entre le général, le technique et le professionnel. Certaines essaient une structure de 4 ans pour le primaire, 4 ans pour l’école moyenne et 4 ans pour le secondaire (au lieu de 6 ans pour le primaire et 6 ans pour le secondaire). Ainsi la rupture avec le primaire devrait être moins brusque et l’orientation reportée au deuxième degré actuel.

Pour clore son mandat de ministre de l’enseignement, Frank Vandenbroucke a assigné à un groupe de spécialistes en matière d’enseignement la tâche d’élaborer une vision pour l’enseignement flamand du futur. Fin avril 2009, la Commission Monard a présenté ses idées : « Qualité et possibilités pour chaque élève ». En 2020, l’enseignement secondaire serait organisé d’une façon complètement différente de maintenant. Les filières générale, technique, professionnelle et artistique feraient place à quatre « terrains d’intérêt », chacun offrant une branche qui prépare à la profession et une autre aux études supérieures : 1) Santé, bien-être et société ; 2) Administration, commerce et économie ; 3) Nature, technique et sciences ; 4) Langues, art et culture. Dans le premier degré, les élèves devraient faire connaissance avec les quatre « terrains ». On peut se demander si ce projet verra bien le jour. De plus, la filière professionnelle du premier degré y est maintenue comme transition pour les élèves qui ont un retard considérable depuis l’école primaire.

2. Affectation des élèves aux écoles : La saga des inscriptions

Voilà un domaine où la majorité sortante a tenté de faire quelque chose. Incontestablement. Les inégalités criantes qui caractérisent notre système éducatif peuvent être corrélées au quasi marché qui règne chez nous. Nous avons en effet établi il y a quelques années déjà (1) qu’il existait un lien évident entre le caractère plus ou moins libéral d’un système éducatif et son degré d’iniquité. Car, comme dans tous les marchés, il y a des vainqueurs et des perdants. Tout simplement parce que les parents ne disposent pas tous des mêmes atouts. Ceux qui appartiennent aux milieux sociaux les plus favorisés, et connaissent donc mieux les règles du jeu, réservent très tôt des places pour leurs enfants dans les écoles « réputées ». A l’autre extrémité de l’échelle sociale, d’autres découvrent, au moment d’opérer leur « choix », qu’en réalité ils n’ont quasiment pas de marge de manœuvre. Que la sacro-sainte liberté de choix est, pour eux, un slogan creux.

C’est pour s’attaquer à ce scandale que le gouvernement décida de légiférer sur les inscriptions. Dans un premier temps, Marie Arena décréta que plus personne ne pouvait s’inscrire pour la première année de l’enseignement secondaire avant une certaine date. En l’occurrence le 30 novembre 2007, pour la rentrée 2008/2009. On sait ce qu’il en advint : des files deux jours plus tôt devant certaines écoles. Des parents souvent issus de milieux privilégiés n’hésitèrent pas à passer la nuit dans des conditions précaires (quand ils ne payèrent pas des étudiants pour le faire à leur place !) pour être sûrs de pouvoir inscrire leur enfant dans telle école d’élite. Ça faisait mauvais genre. Marie Arena fut alors « promue » au gouvernement fédéral. Christian Dupont prit la relève. Il décida d’abolir le principe du « premier arrivé, premier servi ». Parmi les critères envisagés pour départager les candidats aux écoles surnuméraires, figurait le tirage au sort. Là aussi, on connaît le destin du décret. Sous l’action de deux asbl d’inspiration droitière, de nombreux parents prirent peur. C’est ainsi qu’apparut le phénomène des inscriptions multiples. Pour augmenter leurs chances, certains parents n’hésitèrent pas à inscrire leurs enfants dans une dizaine d’écoles différentes, voire plus. Et ce qui devait arriver arriva. Cette stratégie qui pouvait paraître intelligente en raisonnant à l’échelle individuelle s’avéra catastrophique d’un point de vue collectif. A l’heure où nous écrivons ces lignes, quelques enfants malchanceux n’ont toujours pas d’école pour la rentrée 2009.

Que conclure des avatars des décrets « inscriptions » ?

A en croire le silence assourdissant de la plupart des partis réputés progressistes sur cette question, la réponse est simple : la régulation des inscriptions, ça ne marcherait pas. Le MR, lui, ne se prive pas d’être explicite sur ce point.
Et pourtant, nos conclusions sont tout autres. Le marché scolaire a-t-il vraiment été remis en question ? Pas le moins du monde. La seule préoccupation des deux ministres concernés aura été de rendre la compétition plus claire. Tout le monde connaissait le jour du départ dans le premier cas. Et tous les ex æquo étaient tirés au sort équitablement dans le deuxième. Mais la compétition restait. Or, c’est elle qui est la source de la dualisation du système. Parmi les parents bourgeois, quelques imprévoyants dans le premier cas, quelques malchanceux dans le deuxième risquaient de rater le coche. C’est ce qui déclencha leur hystérie. Mais il n’y avait aucune chance que ces décrets produisent plus de mixité sociale. Car les différences entre parents, dans leur connaissance du système, n’étaient évidemment pas gommées. Aussi parce que les écoles restaient typées en fonction des filières qu’elles organisent dans la suite du cursus. Enfin parce que ne s’attaquer qu’aux inscriptions en première secondaire laisse entier le problème de l’affectation des élèves dans le fondamental et dans les autres degrés du secondaire. Or, les différences de niveau au sortir du primaire sont telles qu’elles rendent précisément difficiles la mixité au niveau secondaire.

Et demain ?

La pire des choses qui pourrait arriver serait que ces deux expériences malheureuses réservent un enterrement de première classe à toute tentative de régulation. Voilà pourquoi nous ne pouvons que rappeler notre proposition en la matière. Proposition à laquelle se sont jointes récemment quatre autres associations (2). Il s’agit d’abord de découper le territoire en bassins scolaires comme le proposent les auteurs d’une étude inter-universitaire. Dans chaque bassin, une instance dépendant de l’administration serait chargée de la gestion des inscriptions. Une gestion centralisée donc. Cette gestion centralisée aurait pour vertu d’éviter des dérives du style inscriptions multiples. Mais aussi d’avoir une vue plus globale sur le système. L’instance serait chargée de proposer une école à chaque enfant. Cette proposition se ferait sur base de critères à la fois géographiques et socio-économiques. Ceci avec la volonté délibérée de favoriser la mixité sociale. En proposant donc dans chaque école un certain pourcentage d’enfants issus des milieux favorisés, des classes moyennes et des milieux populaires. Les parents auraient la possibilité de refuser ce choix. Il suffirait qu’ils le déclarent avant une certaine date. Dans ce cas, ils devraient effectuer un choix de trois écoles par ordre de préférence. L’instance attribuerait alors une école en tenant compte au maximum du choix des parents. Nous faisons néanmoins le pari que peu de parents useraient de ce droit. Tout simplement parce qu’avec ce système, les écoles socialement homogènes disparaissent. Plus d’écoles « poubelles ». Plus d’écoles « d’élite » non plus. Or que veulent la très grande majorité des parents ? Une école de qualité proche de leur domicile. Et pour beaucoup, la recherche d’une telle école est à la fois angoissante et insécurisante. Gageons que nombre d’entre eux seraient bien contents d’être débarrassés de cette corvée. Actuellement, c’est l’existence d’écoles de niveaux tellement différents qui alimente la volonté farouche de pouvoir choisir « librement ». Si des mesures de régulation sérieuses parviennent à persuader les parents que les écoles se valent toutes peu ou prou, cette volonté disparaîtra. Car, ne nous y trompons pas, c’est la concentration dans certains établissements d’élèves éprouvant des difficultés qui creuse les écarts. Les difficultés s’accumulent au lieu de permettre à ces élèves de profiter de l’émulation due à la présence d’autres élèves.

3. Vers un réseau unique et public ? Rien à signaler …

Le quatrième point de notre programme prévoit la fusion des réseaux actuels en un seul réseau public. Ceci pour deux raisons. D’abord, même si notre proposition d’affectation des élèves aux écoles n’est pas incompatible avec les réseaux, il est évident que ceux-ci ne font que rajouter une couche au marché scolaire. En effet, la concurrence entre établissements se double d’une concurrence entre réseaux. La récente attitude de la majorité des PO du libre, refusant de fournir leurs listes d’inscriptions afin de dégonfler la « bulle » des enfants « sans école », ne fait que nous conforter dans notre opinion. Pour certains, la mainmise sur leur pré carré et la concurrence qui en résulte valent mieux que l’intérêt général.
Par ailleurs, il ne nous semble pas très sain de séparer les élèves sur base des convictions philosophiques de leurs parents. Voilà qui ne peut que renforcer les communautarismes à une époque où on n’en a vraiment pas besoin.
Sur ce plan, lors de la législature écoulée : RAS. Aucune personnalité politique n’a eu le courage de (ne fût-ce que) suggérer quoi que ce soit à ce propos.

5. Un encadrement suffisant pour zéro décrochage ?

Le point 5 de notre programme propose une augmentation conséquente du taux d’encadrement des élèves. La diminution du nombre d’élèves par classe serait surtout effective dans les trois premières années (de 6 à 9 ans), avec des classes de 15 enfants maximum à ce niveau et pas plus 20 pour les années suivantes. L’augmentation du taux d’encadrement permettrait également la mise sur pied de diverses stratégies de soutien, telles que des guidances individuelles, des cours de langue pour les élèves issus de l’immigration, des cours de rattrapage…

Présentés comme l’une des 10 priorités à mettre en oeuvre de toute urgence pour améliorer la qualité de notre système éducatif, dans le Contrat pour l’Ecole adopté par le Gouvernement de la Communauté Française le 31 mai 2005, les normes et taux d’encadrement ont fait l’objet de différentes adaptations tout au long de la législature. L’amélioration de l’encadrement des élèves dans les deux premières années de l’enseignement primaire, dans l’enseignement maternel, dans les écoles de petite taille et pour favoriser l’adaptation à la langue de l’enseignement (ALE) a, par exemple, permis un accroissement de 1138 équivalents temps plein sur les années 2006-2007 (l’augmentation de l’encadrement en première et deuxième primaire a permis l’engagement de 540 équivalents temps plein instituteurs).
Pour les années 2008-2009, l’encadrement dans le premier degré du secondaire fut (légèrement) renforcé, le remplacement plus rapide des instituteurs absents instauré, et le décret enseignement différencié voté.
Ces mesures vont indiscutablement dans le bon sens. Cependant, leur impact réel sur le terrain est tellement faible par rapport aux besoins qu’elles en deviennent plus révélatrices d’un manque de moyens (et/ou de volonté politique) de la CF, qu’un gage de réussite et d’engagement sérieux pour l’amélioration de notre enseignement.
On ne peut évidemment dissocier la problématique de l’encadrement de celle du financement et des 7% du PNB à consacrer à l’enseignement, de la pénurie des enseignants (et donc du manque d’attractivité du métier), et de la politique d’inscriptions qui assurerait une place pour chaque enfant, dans notre système scolaire. Problèmes cruciaux qui ne sont toujours pas réglés…

6. Une école ouverte ?

Pour réconcilier les enfants avec l’école, et surtout ceux des milieux défavorisés, il faut que celle-ci soit accueillante et fasse partie intégrante de leur vie. Elle ne doit plus être seulement un lieu de travail et d’étude, symbole de vexations, d’échecs et de rejets pour certains, fermé le soir, le week-end et pendant les congés scolaires, mais bien un espace ouvert, vivant, accessible, agréable et engageant: un centre citoyen, culturel, sportif, familial et convivial où l’instruction et l’éducation se développent en relation privilégiée avec la vie sociale du quartier.
Il n’y a pas eu, lors de la dernière législature, de grandes avancées dans cette direction. Il ne semble pas que rendre à la collectivité la jouissance de toutes ces infrastructures scolaires, souvent payées et entretenues par le denier public fasse partie des priorités du monde politique.
Si des structures (et les décrets qui les organisent) ont bien vu le jour ces dernières années – le conseil de participation, par exemple -, on peut se montrer très circonspect quant aux progrès réels qu’elles peuvent engendrer. Dans un contexte de concurrence généralisée entre les écoles, avec des populations socialement et culturellement très inégales, la participation conduit souvent à creuser encore les écarts entre « bonnes écoles » et « écoles poubelles ». En effet, il est bien plus aisé d’organiser des activités – et, par voie de conséquence, d’entretenir une réputation d’école dynamique pour drainer une population privilégiée – avec des publics nantis – financièrement comme culturellement – qu’avec des publics plongés dans les difficultés quotidiennes.
Par ailleurs, ces structures de participation restent de modestes organes consultatifs sans réel pouvoir face aux Pouvoirs Organisateurs et autres directions.

7. Et la pédagogie ?

Des programmes rigoureux, lisibles et cohérents. Une grande liberté pédagogique pour les enseignants, à condition qu’ils rencontrent les objectifs communs strictement définis et contrôlés. Contrôlés par une évaluation centralisée, non pas au service d’une concurrence entre établissements, mais bien pour lutter contre les inégalités de résultats entre jeunes. Tels sont les contours du volet pédagogique du programme de l’APED, « Vers l’école commune ».
Au terme de cette législature, où en sommes-nous ?

La coalition sortante s’est clairement inscrite dans la continuité du décret “Missions” et du “Contrat pour l’école”. L’approche par les compétences est incontestablement restée l’alpha et l’oméga des pilotes du système scolaire, de telle sorte qu’à l’heure du bilan, nous ne pouvons que tirer la sonnette d’alarme. Une fois de plus.

De l’approche par les compétences

Au niveau des principes énoncés par ses pères, la pédagogie des compétences présente quelques points de similitude avec les pédagogies progressistes, les pédagogies constructivistes, pour lesquelles l’accès réel au savoir nécessite de faire participer l’apprenant au processus de construction des savoirs. La quête de sens, la volonté de mettre les élèves “en situation de recherche” sur des “chantiers de problèmes”, est commune aux pédagogies constructivistes et aux pédagogies “par compétences”. Mais la ressemblance s’arrête là. Dans l’approche par compétences, l’accès au savoir tend à ne plus être le but de la démarche pédagogique, mais seulement un moyen pour atteindre au but réel: la compétence. Une dérive “instrumentaliste” qui colle bien avec les attentes des employeurs.

Pourtant, la critique principale à l’égard de l’approche par compétences porte sur la façon dont cette doctrine pédagogique a été mise en application, particulièrement en Belgique francophone, et qui peut se résumer ainsi : dogmatisme pédagogique (fondé sur une définition abusive de la compétence) et dérégulation des contenus cognitifs. Ce qui aurait dû être un souffle d’innovation et d’expérimentation s’est transformé en une application, bureaucratique et ennuyeuse, de recettes méthodologiques rigides. Les nouveaux programmes sont d’une lourdeur incroyable sur le plan des directives pédagogiques. En revanche, ils créent un flou, bien peu artistique, quant aux contenus à enseigner. Ils encouragent ainsi la dualisation d’un système, où les écoles d’élite et les écoles “poubelles” ont beau jeu d’interpréter les programmes à leur façon, c’est-à-dire en adaptant leur contenu au “destin social” de leur public.

Au point qu’un des initiateurs de cette approche, le Professeur Crahay, en est venu à écrire rien moins que ceci (3) : « il nous paraît urgent de plaider en faveur d’une restauration du disciplinaire. (…) Le concept (de compétence) ne résiste pas à une analyse scientifique sérieuse. (…) Car, mis à part l’écoute, la parole, la lecture et peut-être l’écriture, existe-t-il des capacités dont l’adéquation traverse la quasi-totalité des situations ? »

Des programmes manquant d’ambition, de précision, d’exigence … et de lisibilité

Autre pièce à verser au dossier de l’approche par les compétences, l’étude « Pourquoi les performances PISA 
des élèves francophones et flamands 
sont-elles si différentes ? », publiée en 2008 et disponible sur notre site (4). Après avoir ramené à leur juste proportion les causes socio-économiques, Nico Hirtt concentrait son attention sur le pédagogique, et plus précisément les différences de programmes. Il concluait : « Face au déficit de moyens budgétaires, […] la Communauté française a pratiqué une sorte de fuite en avant dans des réformes pédagogiques et programmatiques peu fondées, profondément dérégulatrices et vouées à l’échec en raison des mauvaises conditions matérielles (budgets, encadrement…) où elles ont été imposées. Un examen minutieux des socles de compétence et des programmes de mathématique en Communauté française montre en effet qu’ils sont moins ambitieux, mais surtout beaucoup moins précis et moins exigeants que leurs homologues flamands. Ils négligent l’importance des savoirs structurés et manquent cruellement de lisibilité. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de voir les modestes politiques de prolongation du tronc commun et de réduction des taux de redoublement vouées à l’échec. Elles ne pouvaient conduire qu’à un abaissement et un étirement des performances, apportant ainsi de l’eau au moulin de ceux qui craignent — bien à tort — que toute politique de démocratisation de l’école conduise fatalement à un « nivellement par le bas ».

Pour une révision urgente des programmes

Une révision urgente des socles de compétences et des programmes s’impose donc, à nos yeux, en Communauté française. Le flou « artistique » et le jargon pédagogique abscons qui prévalent actuellement ont clairement prouvé leurs ravages. Il faut absolument viser une plus grande clarté, une meilleure lisibilité, un niveau d’exigences plus élevé et, surtout, plus strict. Il faut une énumération cohérente et une formulation claire des attentes en termes de connaissances et de compétences disciplinaires, en lieu et place des vagues compétences transversales, généralement dénuées de tout fondement scientifique, qui dominent trop souvent la rédaction des programmes actuels.

Former et soutenir les enseignants

Le ministre Dupont, à l’heure de l’évaluation de sa propre politique, a émis le souhait de voir se renforcer et s’allonger la formation initiale des instituteurs et des régents. Nous pensons aussi que la formation actuelle s’avère trop légère. Mais entendons-nous bien : le renforcement ne doit pas ouvrir un champ plus grand encore aux divagations du “tout à la compétence” ou du “tout au psycho-affectif”, tendances lourdes de l’air du temps. A nos yeux, il s’agirait avant tout de renforcer les savoirs et connaissances disciplinaires (qu’un prof. de français soit fort en grammaire, en rédaction et en littérature, par exemple, ne serait pas un luxe). Ou encore de donner à tous les candidats enseignants les savoirs et savoir-faire leur permettant de s’inscrire activement dans la philosophie d’une “école commune” (par exemple : étude comparative des systèmes d’enseignement, aptitude au travail en équipe, etc.)
Et en cours de carrière ? On ne sait trop s’il y a lieu de se réjouir de quelques évolutions encourageantes – en principe – ou de déplorer le bilan mi-figue mi-raisin de celles-ci à l’épreuve de la réalité. La formation continuée s’est bel et bien institutionnalisée, offrant à tous l’opportunité de se renforcer au contact de collègues d’autres établissements, y compris en inter-réseaux. Mais, c’est un euphémisme, à quelques heureuses exceptions près, les échos de ces formations ne sont pas enthousiastes. On y est trop souvent confronté aux tendances actuelles, dénoncées plus haut : un dogmatisme pédagogique (toujours ces fumeuses compétences et le jargon hermétique qui les accompagne invariablement), un flou, voire une vacuité vertigineuse, au niveau des contenus disciplinaires (on n’y apprend rien, les formateurs n’osent pas faire un exposé théorique), un relativisme mêlé d’une bonne dose de psycho-affectif (toutes les idées se vaudraient, l’essentiel étant dans la relation …), le tout débouchant sur un sentiment de frustration et une attitude de plus en plus marquée de rejet envers toute forme de formation continuée. L’apparition d’un tel rejet, particulièrement dans l’enseignement, dont le rôle est jsutement d’instruire, est très grave.
« En appui des programmes, les enseignants doivent disposer gratuitement de manuels, référentiels, recueils de documents, matériel audio-visuel, logiciels, listes de sites internet … », écrivions-nous en 2006. A ce rayon, on peut noter la qualité du site internet “Enseignement.be”, qui conduit à une quantité non négligeable d’outils de référence, notamment disciplinaires. Et l’arrivée dans nos boîtes aux lettres du trimestriel “PROF”, le “magazine des professionnels de l’enseignement”. A l’APED, nous avons à maintes reprises regretté l’absence d’un équivalent francophone du journal Klasse, distribué à tous les enseignants flamands. Reste à voir si son contenu sera assez critique et réservera au moins un peu de place à l’expression d’idées sortant du discours convenu. La tonalité du premier numéro nous fait craindre une revue trop positive et consensuelle pour être honnête, en tout cas. Au total, on est encore bien loin des attentes légitimes des enseignants. Où restent les manuels, référentiels, logiciels et recueils de documents gratuits qui –réellement- nous aideraient dans notre tâche quotidienne … et auraient le mérite de conduire plus sûrement le plus grand nombre de jeunes vers une égalité de résultats.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Le point 9 de notre programme en appelle à une évaluation centralisée pour mieux piloter l’école. En effet, disions-nous en 2006, « notre système scolaire manque cruellement de données statistiques. Nous préconisons des épreuves centralisées régulières. Non pour juger les élèves (ces épreuves ne seraient pas certificatives) ou classer les écoles, mais pour évaluer et garantir les niveaux des acquis, les pratiques pédagogiques et le système dans son entièreté. L’analyse de ces données guiderait les établissements et les enseignants. »
Trois ans plus tard, force est de constater que le gouvernement a fait du chemin dans ce domaine. Il a notablement renforcé l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire. Il est question d’une évaluation certificative externe commune pour le CEB et d’un test d’enseignement secondaire supérieur (TESS).
Parallèlement à cette dynamique, le gouvernement a massivement renforcé son corps d’inspection. Officiellement pour tendre vers plus de convergence entre les différentes écoles, donc garantir plus d’égalité, ce qui ne pourrait que nous réjouir. Hélas, sur le terrain, de source syndicale, trop d’inspections d’écoles se sont muées en inspections abusives de membres du personnel. Des inspecteurs zélés et des chefs d’établissement opportunistes ont dû être « recadrés » suite à des excès. Ce renforcement de l’inspection peut avoir des effets pervers très dommageables : ressenti par les enseignants comme une pression, une menace supplémentaire, il peut les conduire à une normalisation frileuse de leurs pratiques, soit le contraire de la créativité pédagogique que nous appelons de nos vœux.

Le problème de fond, avec ce renforcement de l’inspection et de l’évaluation externe, c’est qu’il n’accompagne aucune réforme en profondeur de notre système scolaire : sans véritable courage politique, la coalition sortante n’a (quasiment) rien fait pour créer une école commune, socialement mixte, sans sélection précoce en filières hiérarchisées. Dès lors, l’inspection et les évaluations vont plus que vraisemblablement vérifier ce que l’on savait déjà : que notre école est et reste l’une des plus inéquitables du monde industrialisé. Quand seront publiés les prochains résultats de PISA, il est fort à parier que le ministre en place ne pourra plus se vanter, comme son prédécesseur, de voir concrétisés 91% des engagements pris dans le Contrat pour l’Ecole pour 2013. Il faudra bien, alors, reconnaître que ce Contrat manquait singulièrement d’ambition !

8. Refinancement : Embellie très relative, nettement insuffisante … et en péril

Le dernier point de notre programme, c’est « 7 % du PIB pour l’enseignement ». Ce chiffre ne sort pas de nulle part. Au début des années 80, c’était la part de la richesse nationale que notre pays consacrait à son enseignement.

Peut-on dire aujourd’hui que la tâche des enseignants est plus simple qu’à cette époque ? Au contraire, l’augmentation des inégalités, la dégradation de la situation internationale, par exemple en ce qui concerne les problèmes écologiques, et bien d’autres facteurs rendent le travail des enseignants bien plus ardu et aussi plus important en terme d’enjeux. Pourquoi devraient-ils dès lors disposer de moins de moyens que leurs prédécesseurs relativement à la richesse nationale ? La revendication du retour à 7 % ne relève donc pas du fétichisme, mais bien de la plus totale légitimité. Nous savons aussi que l’ensemble de notre programme est ambitieux. Même si certains éléments permettront des économies, d’autres augmenteront sensiblement les coûts (encadrement, école ouverte, etc.) Pas de raison par conséquent de mettre cette revendication en poche.

Où en est-on ? Pas très loin

En 2001, les accords dits de la Saint Polycarpe ont abouti à un plan de refinancement des Communautés par l’Etat fédéral s’étendant sur dix ans (de 2003 à 2012). Ce plan est donc toujours en cours d’exécution. Il a rapporté 149 millions d’euros en 2004, 372 millions supplémentaires en 2005 et encore 124 millions en plus en 2006. Depuis 2007 et jusqu’en 2011, 24,7millions d’euros supplémentaires sont rajoutés chaque année. Depuis 2007 également, l’ensemble de la dotation est lié à la croissance.
A l’époque où la majorité des observateurs parlaient d’une manne céleste pour l’Ecole, nous avions nettement tempéré leur enthousiasme. Sur base des prévisions de croissance et d’un certain nombre de données budgétaires, nous prédisions que pendant la première décennie du 21ème siècle, la dotation tournerait aux alentours de 5 % du PIB malgré ces mesures. Si on regarde les chiffes fournis par l’OCDE, celui-ci parle de 6 % en ce qui concerne la Belgique. Deux remarques s’imposent tout de même. Premièrement, l’OCDE tient compte du financement des retraites des enseignants dans son calcul. Il le fait bien sûr pour tous les pays. Ses éléments de comparaisons internationales sont donc corrects. Mais le chiffre du début des années 80 ne tenait pas compte de ces retraites. Les 6 % mentionnés par l’OCDE aujourd’hui ne sont donc pas comparables aux 7 % dont nous parlions alors. Deuxièmement, même avec 1 % d’écart, on est loin de compte. Il suffit de se rappeler que le PIB belge de 2008 correspond à 280 milliards d’euros. 1 % vaut donc 2,8 milliards de manque à gagner ! Et comme nous le disions, c’est en réalité bien plus.
Nous parlons évidemment ici de l’ensemble de la Belgique. Si on se focalise sur la seule Communauté Française, la situation y est bien plus défavorable qu’en Flandre. Pour deux raisons. La première, c’est que la clé de répartition du refinancement (pas de la dotation de base) évolue progressivement vers la clé de répartition de l’IPP (Impôt des Personnes Physiques). La logique est donc : on donne plus aux riches ! Comme la Flandre est plus riche, elle profite davantage des moyens supplémentaires. Par ailleurs, toujours parce qu’elle est plus riche, la Flandre peut se permettre d’injecter des fonds propres supplémentaires pour combler les insuffisances. La Communauté Française n’a quasiment pas de marge de manœuvre en ce domaine. D’une part parce qu’elle est plus pauvre. D’autre part parce que l’enseignement représente 80 % de son budget. La Flandre, elle, a fusionné Communauté et Région, ce qui lui donne plus de souplesse pour des transferts d’un secteur à l’autre.
Bref, la situation est loin d’être bonne, surtout du côté francophone. Nous n’avons d’ailleurs évoqué que des mesures décidées en 2001. Rien d’autre n’a été décidé dans la législature écoulée.

Quelles perspectives ?

Un dernier point. Si la liaison à la croissance était une grande revendication de ceux (dont l’Aped) qui constataient un accroissement de l’écart entre la richesse nationale et les moyens alloués à l’enseignement, il faut bien constater que sur ce point, nous jouons de malchance. Peu après la mise en place de ce mécanisme en 2007, nous entrons en récession fin 2008 ! Et voilà comment la crise financière et économique mondiale pourrait avoir des effets dévastateurs sur le financement de l’enseignement puisque les dotations devraient diminuer ! Avec les montants supplémentaires reçus ces dernières années, la Communauté Française a tout de même augmenté les salaires, amélioré les taux d’encadrement, etc. Tout ça était très léger, mais bien réel. Pour l’encadrement différencié qui se met en place en septembre 2009, 40 millions d’euros ont été budgétisés. Cette réforme sera-t-elle tenable si les moyens diminuent ?

1. NICO HIRTT, Ségrégation sociale, marchés scolaires, filières, sous-financement : la catastrophe scolaire belge, APED 2003
(https://www.skolo.org/spip.php?article115&lang=fr)

2. MRAX, Infor Jeunes, FEF et Ligue des Droits de l’Enfant (https://www.skolo.org/spip.php?article1033)

3. Crahay, M. (2006). Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de la compétence. Revue française de pédagogie, 154, 97-110.

4. https://www.skolo.org/spip.php?article452&lang=fr

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.