« Etudie, car il faut changer le monde ! »

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Ce samedi 20 octobre, plus de 200 enseignants, étudiants et autres acteurs de l’enseignement se sont réunis à Bruxelles lors des « six heures pour l’école démocratique » organisées par l’Aped. Ils y ont participé à une offre variée de promenades et d’ateliers qui, de l’avis général, ont été hautement appréciés pour leur qualité.
Lors de la séance plénière de 14h, Nico Hirtt, membre fondateur de l’Aped, a prononcé le discours suivant.

Chères amies, chers amis,

Il y a deux semaines, j’ai eu le plaisir d’assister, à Paris, à une conférence du célèbre économiste de gauche égyptien, Samir Amin. Au cours de son exposé, celui-ci a expliqué pourquoi le système financier mondial, qui constitue la colonne dorsale du marché globalisé, va très probablement s’effondrer en une succession de crises de plus en plus graves au cours des décennies à venir. « Nous allons donc, dit Samir Amin, affronter des époques de chaos et de bouleversements. La question qui se pose aux forces de progrès est de savoir si elles seront prêtes pour cet affrontement. Si elles auront la capacité de saisir cette opportunité pour changer le monde, pour le reconstruire sur des bases plus justes et plus rationnelles »

Quelques jours après cette conférence, j’ai eu un autre plaisir immense : celui de visionner le nouveau film de Michael Moore, Sicko. Je conseille vivement à tous ceux d’entre vous qui n’en ont pas encore eu l’occasion, de s’asseoir résolument sur les quelques critiques grincheuses qui jugent ce film excessif et d’aller le voir sans tarder.
C’est un réquisitoire à la fois bouleversant et plein d’humour contre la situation des soins de santé dans le plus riche pays de la terre, qui se voudrait aussi la plus grande démocratie du monde. Et ne tardez pas : comme le film est vraiment bon, il y a fort à parier qu’il ne sera plus dans les salles d’ici peu.

En sortant du cinéma, mon épouse et moi-même étions gonflés d’enthousiasme. En bons pédagogues – en maniaques de l’enseignement, diraient mes filles – nous avons très vite envisagé d’emmener nos élèves voir ce documentaire. Mais là, les doutes nous assaillirent. Vont-ils comprendre ? Le film de Michael Moore est truffé de références historiques : à Kennedy, à la Deuxième guerre mondiale, à la naissance de la sécurité sociale… Nos élèves de 5P et de 6P, et puis même les autres, pourront-ils en saisir les finesses ? Ne vont-ils pas “décrocher” rapidement ?

Je vous donne un exemple. Avec son superbe sens de la dérision, Michael Moore embarque quelques patients américains dans un hors bord, direction Guantanamo – parce que George Bush avait vanté la qualité des soins de santé dont jouissent les prisonniers du camp. Le réalisateur et ses acolytes sont bien évidemment refoulés et se retrouvent à errer dans les rues de Cuba où, finalement, ils trouveront un hôpital où les soins sont gratuits et une pharmacie où un médicament vendu 120 dollars à New-York ne leur coûtera que 5 cents.

Mais combien de mes élèves comprendront les allusions de ces passages ? Combien connaissent l’histoire des relations entre Cuba et les Etats Unis ? Combien savent que Guantanamo est un territoire cubain louée aux USA en vertu d’un contrat qui remonte à Battista ? Combien savent qui était ce dictateur que Castro a chassé et auquel Michael Moore fait référence ? Combien réalisent ce que cela signifie, pour un pays du tiers-monde, d’avoir un système de santé ou d’enseignement de bonne qualité ? Combien comprendront le lien avec cette déclaration de l’ancien président américain Ronald Reagan, entendue un peu plus tôt dans le film : « L’assurance maladie pour tous, ce serait faire comme nos pires ennemis, les communistes » ?

Le lendemain, j’ai repensé à la conférence de Samir Amin et je me suis dit : si nos jeunes de 16, 17, 18 ans ou davantage ne sont pas en mesure de voir, de comprendre et d’apprécier le film de Michael Moore, alors comment pourront-ils être prêts à affronter les époques de chaos que nous promettent l’effondrement du système financier, la fin de l’ère pétrolière, l’inéluctable afflux de réfugiés économiques et climatiques vers nos pays riches et tempérés, la montée subséquente des intégrismes religieux ou culturels et des haines xénophobes, le réchauffement climatique, l‘explosion des prix des matières premières, la raréfaction de l’eau… Comment seront-ils armés pour prendre leurs responsabilités face à de tels événements ? Ou, qui sait, face à des événements plus dramatiques encore, comme la scission de l’arrondissement BHV ou l’extension territoriale de Bruxelles.

Au début du 19è siècle, quelques bourgeois éclairés croyaient qu’il suffirait d’instruire tous les enfants de pauvres pour les arracher à leur condition. Pas d’ignorants ? Pas de prolétaires ! Pas de prolétaires ? Pas d’exploitation ni de misère !
Deux siècles d’école ont montré la vanité de cette utopie. Mais si l’enseignement ne peut pas changer les rapports sociaux et économiques qui dirigent notre monde, il peut en revanche apporter à ceux qui les subissent la capacité de comprendre ce monde et donc de participer, collectivement, à le transformer. Telle est en tout cas notre conviction, à l’Appel pour une école démocratique. Nous vivons dans un monde où le diplôme ne garantit pas un emploi et un avenir, mais seulement une plus ou moins bonne position compétitive sur un marché du travail limité et hiérarchisé.
Alors, au lieu de dire aux jeunes : « travaillez bien vos cours, étudiez soigneusement, afin de vous assurer le meilleur avenir professionnel », nous préférons leur dire : « Travaillez ! Etudiez ! Dévorez les livres ! Car tout ce que vous apprendrez aujourd’hui vous donnera force, demain, pour comprendre le monde, y participer et contribuer à le rendre meilleur ».

Au cours de ses douze années d’existence, notre association s’est efforcée d’attirer l’attention sur les deux grands problèmes de l’enseignement : celui de la ségrégation sociale et celui de la nature des savoirs.

Sur la question de l’équité, nous avons réalisé notre propre enquête dès 1996, quand personne ne parlait des inégalités sociales dans l’enseignement. Depuis 2001, nous avons largement contribué à diffuser les résultats des études PISA, qui montrent que la Belgique, toutes communautés confondues, est le pays où la détermination sociale des performances scolaires est la plus forte et qu’elle contribue donc, plus qu’ailleurs, à produire une société duale. Nous avons affiné cette analyse et avons été parmi les premiers à stigmatiser les causes principales de cette iniquité : notre système d’enseignement fondé sur un libre marché scolaire et l’âge précoce où l’on y oriente les élèves vers des filières hiérarchisées. Nous avons montré aussi que les enfants issus de l’immigration sont bien les victimes et non la cause de ces inégalités sociales dans l’enseignement.

Et puis surtout, nous avons développé, l’an dernier, un programme en dix points pour une réforme profonde de l’enseignement en Belgique. Si vous ne le connaissez pas, je vous invite à en prendre connaissance sur le stand de l’Aped ou sur notre site internet et à nous aider à le populariser. Après 130 jours de show médiatique, il est peut-être temps de ramener l’attention de nos valeureux coqs et de nos puissants lions gouvernementaux sur des questions aussi secondaires que l’enseignement. Ou faut-il croire que les jeunes ne les intéressent que lorsqu’il s’agit de les mettre en prison à 14 ans ?

Sur la question des savoirs scolaires, nous avons aussi été parmi les premiers à marquer nos réserves par rapport à certaines évolutions des programmes où, au nom d’une innovation pédagogique certes indispensable, on jetait le bébé avec l’eau du bain en y sacrifiant la cohérence et la rigueur des contenus disciplinaires. Depuis plusieurs années, nous organisons, à Bruxelles, à Liège, à Anvers, des journées d’étude comme celle-ci, où nous invitons les enseignants à réfléchir au sens politique et social des connaissances et des compétences qu’ils apportent à leurs élèves.

Dans ce cadre, nous voulons franchir une nouvelle étape. Dans les mois qui viennent, l’Aped organisera une grande enquête sur les savoirs des élèves en fin de cycle secondaire. Aujourd’hui, des enquêtes comme PISA et TIMMS permettent d’avoir une idée très précise des compétences des élèves dans le domaine des mathématiques de base et de la lecture. Mais que savons-nous de l’état des connaissances qui, comme je l’évoquais tout à l’heure, permettent de « comprendre le monde afin de participer à sa transformation » ? Pas grand chose en vérité ! Bien sûr, nous pouvons être à peu près assurés que nos élèves ne connaissent pas les paroles de la Brabançonne, ni d’ailleurs du Vlaamse Leeuw ou de la Marseillaise. Mais vous conviendrez avec moi que, n’en déplaise à certains journalistes, ce n’est pas vraiment cela l’important…

Nous avons mis au point un questionnaire portant sur divers sujets qui nous semblent réellement essentiels : des questions sur l’environnement, sur l’histoire de Belgique ou du monde, sur les rapports sociaux et économiques à l’échelle nationale ou internationale. Les questions examinent les connaissances factuelles, mais aussi la maîtrise de concepts – comme l’énergie renouvelable ou l’équité sociale – ainsi que la capacité de mobiliser ces concepts pour témoigner d’une compétence en lecture ou en mathématique – comprendre et interpréter correctement un graphique ou une statistique, par exemple. Pour finir, le questionnaire comporte aussi quelques questions sur l’origine socio-économique et culturelle des élèves.

Les questionnaires d’enquête sont presque prêts. Pour lancer l’opération, il ne manque plus qu’une seule chose : vous ! Nous avons besoin de centaines d’enseignants de toutes les filières – général, technique, professionnel – et de tous les réseaux, prêts à participer à cette enquête. Ce que nous attendons de vous :
– quand vous aurez reçu le questionnaire il faudra le photocopier pour vos élèves. Si nécessaire, nous pouvons vous rembourser les frais relatifs à ces copies. Mais évidemment, si vous avez un truc pour que ce soit gratuit, tant mieux.
– faire remplir les questionnaires par une ou plusieurs classes de 5e ou de 6e année secondaire, à votre meilleure convenance. Il faut compter à peu près 30 minutes d’après les tests que nous avons déjà effectués auprès de classes-témoins.
– encoder les réponses des élèves dans un fichier que nous vous fournirons. Il faut compter deux minutes d’encodage par élève. Un peu plus pour les premiers, histoire de s’habituer au système.
– nous renvoyer par e-mail les fichiers complétés.

Les conditions à remplir sont donc :
1) être prof en 5e ou 6e secondaire (ou connaître des profs que l’on se chargera de convaincre) 2) avoir accès à un ordinateur et à internet et 3) être prêt à consacrer environ une heure de cours et une heure de travail à domicile à cette enquête.

Si vous remplissez ces conditions, alors je vous invite à nous contacter sur aped@ecoledemocratique.org

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.

1 COMMENT

  1. « Etudie, car il faut changer le monde ! »
    salut les camarades j’etais enseignant de math au maroc maitnent je suis en stage des conseillers d’orientation je voudrais savoir des sites qui m’aide a devoiler l’injustice des systeme educatif merci

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