L’enfer des bonnes intentions

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Au départ, la Ministre avait tout bon. A l’arrivée, elle a tout mauvais. Encore une fois sans doute, l’arbitrage des intérêts des différents appareils en place a transformé une politique généreuse en termes de finalités (les compétences des enseignants) en une politique tatillonne de contrôle et de normalisation des moyens (la matière à étudier et comment l’étudier). Parce qu’elle n’est pas capable d’exiger ce qu’elle veut, la Ministre contrôle ce qu’elle peut et les résultats en seront, encore une fois, désastreux.

Encore une fois en CFWB, cela devient systématique, une réforme de l’enseignement, légitime et nécessaire tant dans ses motivations que dans ses objectifs, se transforme en machine à démobiliser les enseignants et à casser les projets en place. Le seul résultat concret qui s’impose dans les arrêtés d’application, ce sont des injonctions aux enseignants. Et cela, alors que toutes les recherches prouvent la totale inefficacité de toute injonction dans ce domaine.

 

La Ministre avait tout bon

La Ministre voulait agir vite, à partir de ce qui se faisait déjà dans les écoles, en misant sur les acteurs. Elle voulait décider avec un certain volontarisme. Elle voulait imposer des buts et non des moyens, en centrant son action sur la pratique professionnelle réelle. Elle voulait revaloriser la formation. Elle avait donc tout bon.

Elle voulait agir vite, car, en effet, il y a urgence : dans les 10 ans qui viennent, on va en prendre pour 40 ans. Les enseignants qu’on va former à partir de maintenant constitueront dans une douzaine d’années quasi la moitié des enseignants en place ! C’est la démographie qui l’impose. La réforme est donc urgente, mais c’est aussi une raison pour ne pas la faire dans la précipitation. Une mauvaise réforme, et on en prend le chemin, aurait des répercussions terribles sur l’avenir. En 2030, la moitié des jeunes adultes auraient été formés par des enseignants mal formés.

La Ministre a largement consulté, elle s’est longuement informée de qui se faisait déjà dans les écoles, en voulant miser sur les acteurs. A moins de changer d’acteurs, c’est en effet la seule voie possible, miser sur les projets existants, les encourager, les diffuser, tout faire pour mettre les acteurs en projets, en misant sur leur intelligence, leur créativité, leur sincérité à poursuivre des objectifs qu’on peut imposer au nom des valeurs démocratiques. Mais imposer aux uns les projets des autres, c’est oublier les objectifs pour imposer des méthodes et c’est détruire les projets, c’est démobiliser les uns et les autres.

La Ministre voulait faire preuve de volontarisme : elle voulait s’informer, puis décider vite et fort en fonction des objectifs poursuivis. En effet, c’est indispensable. Des recherches en histoire de l’éducation ont montré qu’en Europe occidentale, toute négociation en matière de politique éducative n’engendrait que des décisions conservatrices. Trop de micro-intérêts contradictoires entrent en jeu, trop d’appareils en place (partis, pouvoirs organisateurs, syndicats d’enseignants, associations de parents, …) protègent leurs acquis et c’est toujours la loi du ppcm (Plus Petit Commun Multiple) qui prévaut. Pour définir et mener une politique éducative progressiste, il faut une volonté politique forte et ferme. Mais malgré la volonté de la Ministre (otage d’un de ces appareils ?), la loi du ppcm est encore en train de frapper.

La Ministre voulait imposer des buts et non des moyens, en centrant son action sur la pratique professionnelle réelle. En effet, finalement peu importe les moyens pour y arriver, la seule chose qui compte en matière de formation des enseignants, c’est que dans la classe, ils soient capables de mener à bien les Missions de l’école. Il était donc logique de définir les compétences professionnelles nécessaires à cet exercice en relation directe avec la réalité professionnelle actuelle. Mais à partir de là, toute injonction pour dire comment il faut professionnaliser les enseignants équivaut évidemment à une déprofes-sionnalisation des formateurs, une désap-propriation de leur expertise professionnelle. Et des formateurs déprofessionalisés contribueront difficilement à la professionnalisation de ceux qu’ils doivent former !

La Ministre voulait revaloriser la formation. C’est en effet indispensable. Toutes les recherches montrent que l’efficacité pédagogique dépend fortement de la légitimité des pratiques aux yeux des apprenants et de leur famille. La confiance des élèves et des familles en l’enseignant et en l’école est certainement un des facteurs de réussite les plus importants. Malheureusement, la valeur d’une formation ne dépend en rien des injonctions concernant son contenu. La valeur d’une formation dépend quasi uniquement de sa place dans la hiérarchie symbolique et arbitraire des filières d’études, en relation avec le degré de désirabilité de la profession à laquelle elle conduit et la place de cette profession dans la hiérarchie sociale. Elle dépend aussi du recrutement des étudiants lié à cette place, du recrutement des formateurs lié à leur statut et à leurs conditions de travail et du financement réel de cette formation comparativement aux autres. La valeur de cette formation est donc aujourd’hui au plus bas et la Ministre avait raison de vouloir la revaloriser. Malheureusement, elle n’en fait rien.

La situation actuelle et la réforme

Quelle est la situation actuelle de l’enseignement supérieur pédagogique en CFWB ? C’est d’une part un modèle pédagogique hérité du passé des écoles normales, attirant un public particulier en évolution et d’autre part une nouvelle structure définie par le décret des Hautes Ecoles.

L’enseignement supérieur pédagogique par rapport aux autres enseignements supérieurs (universitaire et de type long) a quelques spécificités assez simples et évidentes. Il est forcément plus court (trois ans au lieu de quatre ou cinq). Il propose d’entrée une forte identité professionnelle en étant en lien direct avec une pratique professionnelle ; il propose par les stages une immersion dans le métier rapide et renouvelée fréquemment au cours des études. Et enfin, il propose une formation de proximité qui maintient le plus souvent la structure en groupes – classes du fondamental et du secondaire.

Il est donc en adéquation directe avec les représentations des jeunes qui estiment avoir la vocation pour travailler avec des enfants et/ou il propose une image rassurante à ceux qui craignent d’entamer des études supérieures longues ou qui ont déjà connu un échec dans cet enseignement. Ces jeunes ont donc un profil psychosocial particulier (tout enseignement ayant un recrutement sociologique spécifique) en adéquation avec le modèle de formation actuel qui leur propose ainsi une certaine forme d’ascension sociale liée au capital culturel et symbolique de l’enseignant et/ou une seconde et dernière chance de réussite sociale par l’enseignement supérieur.

Ce profil psychosocial des étudiants a tendance à se durcir depuis plusieurs années en liaison avec la dévalorisation symbolique du métier d’enseignant et de la filière d’études qui y conduit. Ce qui renforce logiquement l’adéquation entre le public recruté et le modèle pédagogique proposé : court, pratique, en groupes – classes, proche géographiquement, psychologiquement et socialement. La réaction des étudiants est à cet égard significative : leurs revendications portent bien sur la pratique (les stages) et sur les groupes (les cours A).

L’enseignement supérieur pédagogique est aussi organisé en Hautes Ecoles depuis le décret du même nom. Cette nouvelle organisation, malgré l’ouverture théorique à de nouvelles missions, n’a fait qu’apporter de nouvelles rigidités : une autonomie de gestion dans un cadre budgétaire terriblement restreint (le financement le plus faible d’Europe et de loin), un organigramme délirant de complexité condamnant au conservatisme par l’immobilisme, une situation et un statut du personnel insatisfaisants autant pour l’employeur que pour l’employé, ce qui est quand même assez rare.

Face à cette situation, que propose la réforme ? Elle ne change rien à la structure, et la sachant rigide, en appelle à ses capacités d’adaptation et d’innovations (modalités de regroupement, accords de coopération, …). Elle maintient la durée des études, ce qui est déterminant pour le type de recrutement, mais connaissant ce recrutement, elle change ce qui a le plus de sens pour le public recruté : le rapport à la pratique (les stages) et les groupes d’étudiants (des cours en auditoires et des ateliers en séminaires). Elle annonce de nouvelles finalités, les compétences professionnelles, et, connaissant les difficultés budgétaires des Hautes Ecoles et leur rigidité en matière de gestion du personnel, n’octroie aucun moyen supplémentaire et impose des conformités formelles en termes de contenus de cours.

Les changements proposés

Les véritables changements que la réforme introduit sont : une autre articulation théorie – pratique, un travail explicite sur l’identité professionnelle, une autre organisation des groupes – classes, une formation socio-politique (diversité culturelle, sociologie de l’éducation, politique de l’éducation) et une plus grande homogénéisation des offres de formation. Cela apporte peu et cela risque de détruire beaucoup.

Les recherches concernant la formation des maîtres sont unanimes. En dehors de la maîtrise des disciplines enseignées (et encore !), le rapport à la pratique professionnelle est déterminant. Ce n’est qu’à partir de situations problématiques vécues, qu’à partir de questions didactiques réelles que se modifient profondément et durablement les représentations du métier et que se construisent de nouvelles pratiques pédagogiques. C’est en pratiquant le métier que le métier s’apprend, à condition de prendre le temps d’interroger la pratique, de la problématiser et de théoriser à partir d’elle. La volonté de la Ministre de rapprocher la formation du terrain et d’engager des maîtres de formation pratiques était donc fondée, mais qu’en reste-t-il, confrontée aux moyens disponibles ?

Le temps de ces ateliers professionnels est pris sur les stages actifs qui sont ainsi diminués en 2e et 3e années et qui disparaissent en tant que tels de la première année. Ces stages remplissent pourtant deux fonctions importantes autant en 1e année que dans les autres : l’identification au métier et la construction de l’identité professionnelle et un vécu mobilisant et réel qui fonde le travail didactique et pédagogique ultérieur. On va perdre ainsi une partie de ce qui permet ce travail, et pour que gagner ?

Les ateliers de formation professionnelle proposés apporteront peu. Les deux tiers du temps de ces ateliers respectivement consacrés au pédagogue et au didacticien existaient déjà avant ; on ne gagne rien. Et le tiers restant (60 heures années, la seule chose en plus) sera consacrée à quel travail avec ce maître de formation pratique qui ne pourra confronter que son expérience à une expérience de stage réduite pour les étudiants et qu’il n’aura pas plus partagé que les maîtres de formation théorique. La rupture entre pratique et théorie risque fort d’être renforcée par ces nouvelles juxtapositions alors qu’on espérait l’atténuer avec l’intervention de ce nouvel acteur.

Les activités de construction de l’identité professionnelle (qui sont en fait des cours B, c’est-à-dire en groupes de section) risquent alors de tourner à vide puisque les matériaux pour construire cette identité seront moins nombreux qu’avant. On perd ce qu’on a voulu gagner et le travail implicite sur l’identité professionnelle qu’on réalisait avant était sans doute plus efficace que le travail explicite prévu !

Les rapports de plus en plus difficiles entre la société et son école, la massification de cette école et la diversité croissante des publics scolaires justifient amplement l’introduction d’une formation socio-politique peu présente actuellement. Mais à nouveau, ce projet qu’en reste-t-il, confronté aux moyens disponibles ? Il en reste sur trois ans 90 heures de formation théorique en auditoire. C’est beaucoup moins que ce qu’il était possible (mais pas obligatoire) de faire dans l’ancien cours de formation générale. C’est de plus distribué de manière délirante. Ainsi diversité culturelle et sociologie de l’éducation sont donnés en 1e à un moment où les étudiants ne se posent et ne peuvent se poser aucune question à ce propos, ne ressentent et ne peuvent ressentir aucun besoin en ce domaine.

Prenons l’exemple du rapport au savoir qui concerne autant l’un que l’autre (diversité culturelle et sociologie de l’éducation). Pour travailler de manière efficace ce concept, il est nécessaire que les étudiants aient été confrontés à des rapports au savoir différents de ceux portés par la culture scolaire dominante et il est nécessaire de travailler sur soi, sur son propre rapport au savoir. Deux conditions que ne remplit en aucune manière le cours magistral en 1e année. Au contraire, même, le paradoxe serait amusant s’il n’était dramatique, mais c’est bien parce que ce type de cours théorique heurte de front le rapport au savoir le plus fréquent en 1e année qu’il deviendra excluant pour de nombreux étudiants que la formation actuelle amène à devenir de bons enseignants !

Reste le faux problème de l’autonomie des écoles et la volonté d’homogénéisation des formations. La Ministre a bien raison de vouloir réduire l’autonomie des écoles et d’homogénéiser les formations, à condition que ce soit dans le sens des finalités, à condition d’homogénéiser le produit et pas le processus. Et dans ce sens, c’est le contraire de ce qui est fait qu’il faudrait faire : à savoir beaucoup moins de dirigisme et de contrôle sur les méthodes employées, les cours proposés et la manière de les organiser et beaucoup plus d’autorité et de contrôle sur le résultat final, les compétences des maîtres diplômés.

Ici aussi, l’hypocrisie scolaire est généralisée. Parce qu’on n’a ni le courage politique, ni les moyens administratifs de contrôler le produit, on contrôle les actes des producteurs et les aspects les plus formels du processus mis en place. Et tant pis si on sait bien que c’est inefficace pour la qualité du produit et que les effets pervers sont dramatiques. Tout le monde sait qu’une pédagogie d’Etat est impossible, sauf celle de Pavlov. Tout le monde sait que l’acte éducatif est par essence imprescriptible et incontrôlable dans son processus. Mais les fantasmes de contrôle au nom des passerelles sont les plus forts et on prescrit à l’éducateur le geste éducatif qu’il devrait poser.

On impose des intitulés de cours, leur forme et leur table des matières et on croit ainsi avoir garanti l’équivalence. Par exemple, tous les étudiants auront reçu 15 heures d’approche théorique de la diversité culturelle. Ils auront donc reçu la même chose puisque sous le même intitulé et les mêmes titres de chapitres, ils auront pu avoir une approche culturaliste qui favorise l’ethnicisation des problèmes ou une approche socio-politique qui dénonce cette ethnicisation au profit d’une analyse politique des problèmes en termes de domination ! On peut donc parfaitement prescrire l’équivalence des contraires.

Pour une véritable
revalorisation

Si on veut un enseignement supérieur pédagogique efficace dans le sens des compétences définies, il faut un enseignement supérieur pédagogique fort, dynamique, créatif, ouvert, … qui pratique lui-même les compétences en questions. Et aucune injonction ni aucun contrôle sur les méthodes et les projets ne permettront d’avancer dans ce sens. Il faut au contraire encourager les écoles à devenir des pôles d’excellence pédagogique, c’est-à-dire des écoles qui ne se contentent pas d’appliquer les injonctions et de donner les cours qu’on leur dit de donner et de comment les donner, mais des écoles qui prennent des initiatives de recherche appliquée en éducation et des initiatives de formation continuée pour les enseignants en place à travers des accords de coopération avec des établissements d’enseignement fondamental et secondaire, avec des établissements d’autres enseignements supérieurs et avec d’autres associations de terrain.

En CFWB, les principaux opérateurs de formation initiale des enseignants (les écoles normales) ne mènent effectivement aucune recherche en éducation et les principaux opérateurs de recherche en éducation (les facultés de pédagogie) ne mènent effectivement aucune activité de formation des enseignants. Si on veut former des enseignants qui soient tous des praticiens – chercheurs, c’est au cœur même de la formation qu’il faut insuffler cette dynamique.

Formation initiale, recherche appliquée, formation continuée et service à la société (les quatre missions officielles des Hautes Ecoles) se nourriraient ainsi l’une l’autre, leur articulation atténuerait la rupture entre les théoriciens qui rêvent et les praticiens qui galérent, insufflerait une autre dynamique à tous les niveaux d’enseignement. Des projets pourraient associer tous les acteurs (formateurs, enseignants, étudiants) qui bénéficieraient ainsi des apports de tous dans un autre rapport à l’apprentissage, à la formation, à l’articulation théorie / pratique. Les projets constitueraient ainsi un véritable processus de (trans)formation des différents acteurs.

Et puisque utiles à différents niveaux d’enseignement et pour différents acteurs, rendant ainsi entre autres possibles une véritable formation continuée structurelle si on le voulait, ces centres de formations et de recherches pédagogiques pourraient être financés par d’autres sources en fonction des projets menés (autres niveaux d’enseignement, autres niveaux institutionnels). Cela permettrait d’ailleurs une bien meilleure utilisation des ressources humaines du système basée sur l’incitation et la confiance.

Mais cela supposerait évidemment de changer de représentations à propos de l’école et de l’enseignant et de changer de préoccupations en terme de gestion du système. Car qu’est-ce qui importe finalement pour les différents acteurs scolaires, Ministres en tête ? Est-ce la réalisation des Missions de l’école, l’épanouissement des personnes, la qualité de la formation, la démocratisation de la société et donc un contrôle des objectifs ou est-ce la conservation des acquis de l’appareil scolaire particulier dont on est l’otage et donc un contrôle des activités de chacun ?

Jacques CORNET,
militant pédagogique au sein de la CGE