Quand l’école confinée plaide pour l’école ouverte…

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La fermeture prolongée des écoles suscite beaucoup d’inquiétudes et de commentaires. Certains demandent : « Pourra-t-on organiser les examens ? », « Les élèves seront-ils prêts ? ».  Pourtant, ces questions-là sont bien secondaires. Le plus important, outre bien sûr la santé de tous, ce ne sont pas les examens et épreuves d’évaluation, mais l’éducation, les apprentissages et le développement harmonieux de chacun. Voici la position de l’Aped en la matière.

Notons d’abord que les enfants ne sont pas tous logés à la même enseigne. Alors que dans les milieux aisés et dans les zones rurales beaucoup peuvent s’activer en extérieur, pour la plupart des autres c’est l’enferment entre quatre murs, avec les frères, sœurs et parents. L’impact de ce confinement sur le développement des enfants ne doit pas être sous-estimé. Il faudra y répondre par des mesures appropriées lorsque les écoles pourront rouvrir leurs portes.

D’autre part, si nous saluons les efforts de nombreux enseignants pour rester en contact avec tous leurs élèves, pour les soutenir et pour les aider au travail scolaire, la généralisation des apprentissages à distance ne va pas sans poser de problèmes. Il y a beaucoup d’élèves sans ordinateur, sans imprimante ou sans connexion Internet à la maison. Il faudrait donc prendre des mesures visant à combler tant que possible cette fracture numérique (fourniture de matériel, connexion gratuite, formation…). Et puis, la crise du COVID-19 ne devrait pas servir de Cheval de Troie à ceux qui rêvent de rationaliser et d’uniformiser l’enseignement en développant le e-learning. Cette crainte n’est pas dictée par un refus du progrès, ni par une défense corporatiste du statut et de l’emploi des professeurs. L’informatique et les techniques modernes de communication ont assurément leur place à l’école. Mais elles ne remplaceront jamais les échanges vivants entre professeurs et élèves dans une relation pédagogique visant à éduquer et à construire des savoirs.

Les inégalités entre élèves dans l’accès à ces technologies, ainsi que leur inégale capacité à bénéficier d’un soutien didactique efficace à domicile, justifient que l’on ait décidé d’interdire aux enseignants de voir « de la nouvelle matière ». Mais d’un autre côté, si le confinement devait se poursuivre longtemps, on ne pourra pas continuer de faire tourner les élèves en rond dans les mêmes travaux, les mêmes exercices. Il faudra leur proposer de véritables activités de découverte qui les amèneront vers de nouveaux savoirs : des lectures, des films, des vidéos, des spectacles, des pièces de théâtre, des cours programmés, des activités pratiques. Il est en effet essentiel de nourrir leur soif d’apprendre et leur curiosité. Cependant, il va sans dire que ces activités ne devraient en aucun cas faire l’objet d’évaluations certificatives et que l’on ne peut pas considérer la « nouvelle matière » ainsi découverte comme étant « vue ».

Comment gérer la reprise ?

Il convient aussi de réfléchir dès à présent à ce que feront les enseignants et les écoles au moment de la reprise des cours.

Tout d’abord, il ne faut pas craindre de supprimer les examens et épreuves centralisées. Ce temps précieux peut être récupéré pour laisser place aux apprentissages et à la gestion de l’après-crise avec les élèves.

Pour toutes les années d’étude jusqu’à la cinquième secondaire, nous préconisons de pratiquer le passage automatique dans la classe suivante. Cela ne signifie pas qu’on « laisse passer », qu’on s’abandonne à une forme de bienveillance laxiste, mais que les apprentissages devront être reprogrammés sur une durée de deux ans. Ainsi, les professeurs de 4ème secondaire reprendront la matière là où les professeurs de 3ème auront dû l’arrêter. L’évaluation ne serait donc pas supprimée, mais reportée. Il devrait être recommandé aux enseignants d’évaluer en début d’année les matières maîtrisées par les élèves afin d’assurer la continuité pédagogique.

Pour les élèves de sixième secondaire, nous demandons, premièrement, que les diplômes de fin d’étude soient décernés sur base de l’évaluation continue, comme en France ; et deuxièmement, que les établissements d’enseignement supérieur adaptent leurs programmes et rythmes d’apprentissage pour ne pas mettre les nouveaux étudiants en difficulté.

Au moment de la réouverture des écoles, il faudra avant tout prendre le temps de (re)construire un rapport positif à l’école en renouant le lien social entre les élèves ; entre élèves et profs ; prendre le temps de décompresser, de se retrouver, de se parler…

Ensuite il faudra développer à nouveau un rapport positif aux savoirs et au travail scolaire. Chez les plus grands, on peut même envisager de traiter pédagogiquement l’événement que nous aurons traversé : aborder la crise du Covid-19 sous l’angle de la biologie, des mathématiques (qu’est-ce qu’une croissance exponentielle ?), de l’économie (comment une économie de marché répond-elle ou ne répond-elle pas aux besoins urgents collectifs), de la géographie, de la morale et de la philosophie, de l’histoire (grippe espagnole, peste noire,…)

Enfin, on pourra petit à petit renouer avec le travail scolaire systématique, exigeant et rigoureux, requis par les programmes.

Plaidoyer pour l’école ouverte

Au 1er juillet, certains enfants vont peut-être partir en vacances (ou pas s’il subsiste des restrictions) ; certains participeront à un camp de jeunes, à des stages divers si tant est qu’ils soient organisés et organisables. Mais pour beaucoup d’autres, les deux mois de vacances signifieront un nouveau confinement de deux mois.

La crise du COVID-19 ne vient ici que révéler et renforcer un problème aussi ancien que la scolarité obligatoire. Depuis toujours, l’Aped défend l’idée d’une « école ouverte » : ouverte en dehors des heures de cours, ouverte le week-end et pendant les congés scolaires, ouverte sur son milieu, ouverte sur le monde, ouverte aux enfants et aux parents.

Si une telle école existait aujourd’hui, elle pourrait accueillir tous les élèves qui le souhaitent, durant les vacances, aux heures normales de classe. Elle organiserait des activités culturelles, scientifiques, techniques, sportives dans l’école ou à l’extérieur. Elle proposerait éventuellement aux élèves de revoir ou d’approfondir certaines matières vues cette année. Cela pourrait prendre la forme de cours en petits groupes, de travaux et exercices, d’activités de recherche, de labos, etc.

On ne peut évidemment pas improviser cette « école ouverte ». Mais face au caractère exceptionnel de la situation actuelle, on pourrait libérer des fonds afin de payer les enseignants et animateurs qui seraient prêts à tenter une telle expérience, dès cette année, durant les vacances d’été. Nous sommes certains que les volontaires ne manqueront pas.

Bureau national de l’Aped (Appel pour une école démocratique)

6 avril 2020