Redoublement efficace et nécessaire ?

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Des parents d’élèves nous envoient le courrier suivant, révélateur d’une certaine conception du redoublement trop présente chez certains collègues et, surtout, d’une conception de la relation école-parents, symptomatique du comportement de certaines directions

Le 25 juin 2009, une nouvelle circulaire (*) émise par la Direction générale
de l’enseignement obligatoire précise qu’obtenir la copie d’un examen est
un droit des élèves et des parents.

Pourquoi ces copies d’examen suscitent-elles tant d’émoi? Nous observons
qu’au plus on s’élève dans la hiérarchie administrative, au plus ce droit à
la copie d’examen est contesté. Alors que, majoritairement, les enseignants
considèrent qu’il est constructif pour l’élève que les parents puissent
consulter, copier voire photocopier une épreuve afin qu’elle soit corrigée
et travaillée à la maison, c’est au niveau de la direction de l’école et de
l’administration que les réticences sont les plus vives, même après
l’élaboration et la diffusion de la circulaire. On en déduit que plus on
grimpe dans la hiérarchie,  plus on s’éloigne du centre des préoccupations
de l’école : enseigner à des enfants. Dans ces bureaux qui sont occupés par
des adultes, il semble qu’on ait fini par oublier que ces postes, ces
commissions, ces circulaires, toute cette grande machine à décider n’existe
que grâce au fait qu’il existe aussi des élèves dans les écoles, et qu’ils
y sont pour apprendre.

L’année dernière, notre fils aîné doubla sa cinquième année secondaire
générale, alors qu’il avait jusque là toujours réussi en première session.
Possédant suffisamment d’expertise en biologie que pour en juger, j’ai
contesté immédiatement en réunion des parents l’examen « justifiant » son
redoublement. La professeur, habituée à appliquer la même constante macabre (**) depuis des années, ce qui lui permet d’accéder facilement à une
reconnaissance intellectuelle dans la salle des profs d’une école qui se
considère « élitiste », a haussé les épaules : le conseil de classe ne
revoit pas ses décisions dans cette catégorie d’établissement.
La préfète a rendu notre recours interne inopérant : entre l’intérêt de
l’enfant et l’incontestabilité de la décision du conseil de classe, elle
n’a pas hésité un instant. Elle nous a refusé la consultation de l’épreuve
contestée en conciliation, puis elle a refusé de nous en livrer une copie,
nous invitant à la demander au conseil de recours externe.
Le conseil de recours externe a refusé de nous recevoir, argumentant que
nous avions eu la possibilité d’être entendus et de consulter la copie en
conciliation interne, au sein de l’établissement. Il n’a même pas demandé
la copie de l’examen pour évaluer la légitimité de notre contestation.
Entre le risque de faire doubler injustement un élève et décider que la
parole d’un parent ne peut mettre en doute la décision de la direction
d’une école, il n’a pas hésité non plus.

Le Conseil d’Etat jugea quant à lui que, sur la forme, le conseil de
recours avait bien raison : il n’était pas obligé de nous entendre, ni de
demander la copie pour fonder sa décision, il n’est pas habilité à juger de
la régularité de la procédure au sein de l’établissement. A ce niveau, on
en oublia carrément l’élève, on ne parla que des compétences du Conseil de
recours.

Affaire classée, on ne soucia plus du tout du doubleur, ni de ses parents.
Il changea d’école.

L’injustice de la décision était évidente, obtenir la copie de cet examen
contesté était urgent, pour lui comme pour nous, ses parents : il manquait
des points sur cet examen dont les cotes avaient été raturées pour être
revues à la baisse, nous éprouvions le besoin de le vérifier et de
comprendre l’objectif du redoublement de notre fils.  Mais nos demandes
auprès de l’école, auprès de la Direction générale de l’enseignement
obligatoire, auprès du cabinet du Ministre de l’enseignement, restaient
lettres mortes.  La situation se compliqua au premier bulletin dans la
nouvelle école, lorsqu’il apparut que notre enfant, dyslexique, avait perdu
tous les mécanismes compensatoires de son trouble jusqu’alors bien contrôlé
sans assistance ! Il ne pouvait plus ni lire ni écrire, symptômes accentués
par une dépression profonde et une perte totale de confiance en lui. Dans
le cadre de la thérapie devenue incontournable pour aider notre fils,
l’obtention de ces copies revêtait un enjeu thérapeutique évident ; ne pas
en disposer nous privait de toute une partie du travail de rééducation. Sur
conseil d’autres parents, nous nous adressâmes à la CADA(***), afin de
tenter, en désespoir de cause, de les obtenir.

La CADA fut d’avis que l’école devait nous remettre ces copies, s’agissant
de documents administratifs soumis au décret relatif à la publicité de
l’administration. Elle le signifia à l’école qui classa sans suite,
l’expression bien connue dans l’administration « s’asseoir dessus » est
tout à fait appropriée ici. Il s’en suivit un véritable parcours du
combattant au terme duquel nous obtînmes toutes les copies demandées enfin le 25 mars 2009, après l’intervention du service du Médiateur de la
Communauté française et de personnalités politiques. En l’espace de six
mois, nous avions écrit et envoyé pas moins d’une cinquantaine de
courriers.

Dans une école où le parent est le bienvenu, et où l’objectif de la
rencontre avec l’enseignant est l’intérêt de l’élève, la question du droit
à l’obtention de la copie d’examen ne se pose pas : les conseils d’un
professeur sont bien plus utiles qu’une copie dont la matière est souvent
rébarbative  pour bon nombre d’entre nous. Nous n’avons jamais demandé de
copies dans le nouvel établissement fréquenté par notre fils, pourtant ses
échecs en français en début d’année étaient préoccupants, 34% ! Le
professeur a analysé l’épreuve avec nous, nous avons dégagé ensemble les
objectifs pour aider notre fils en difficulté, nous pouvions rencontrer le
professeur en cas de besoin sur simple demande. Notre fils a réussi l’année
sans échec, en première session.

A contrario, nous avons demandé la copie d’un examen de mathématiques en
juin pour notre fils cadet resté dans l’ancien établissement. La note
obtenue à l’examen 18.5/40 nous semblait trop faible pour choisir une
option « math 6h » l’année suivante. La professeur nous assurait cependant
qu’il en avait bien les compétences… Prudents, nous lui avons demandé
une copie de l’examen, afin de pouvoir l’examiner plus longuement à la
maison. La professeur nous a confié l’examen pour que nous en sollicitions
une copie auprès de la préfète. Celle-ci a refusé de considérer notre
demande, nous avons fait appel à un huissier pour qu’elle soit acceptée, et
que la copie nous soit fournie dans un délai raisonnable, dans l’intérêt de
notre enfant.

Cette dernière péripétie nous ramène trois mois plus tôt, quand
l’établissement nous a enfin remis la copie de l’examen que nous avions
contesté en procédure de recours, copie à laquelle  il manquait une
feuille. Sur notre insistance, c’est l’inspectrice de biologie qui la «
retrouva » à l’école, où « on »l’avait malencontreusement égarée. Notre
contestation était bien légitime : il manque des points à la correction, le
temps alloué à l’épreuve était bien trop court, les consignes écrites d’un
QCM ont été changées oralement en cours d’épreuve par la professeur. Après
expertise de cette copie, nous sommes aujourd’hui en mesure d’affirmer que
le redoublement de notre fils n’était ni « approprié » ni « nécessaire ».
Le droit à l’obtention de la copie de l’épreuve qui fonde la décision du
conseil de classe doit-il nous réjouir parce qu’il peut être considéré
comme un moyen de « limiter le redoublement aux seuls cas où il est
approprié et nécessaire » -page 36 du projet de déclaration de politique
communautaire 2009-2014 ?

Non. Le redoublement est une mort sociale pour l’enfant, tant à l’école
qu’en dehors de celle-ci. La santé des populations, définie par l’OMS comme
le bien-être physique, psychologique et social de l’individu, occupe une
place prépondérante dans les décisions des gouvernements qui s’accordent à
investir dans l’éducation à la santé, conscients que c’est la perte de
celle-ci qui coûte cher aux budgets de l’Etat. Avec ou sans le droit
d’obtenir la copie de l’examen, continuer à envisager le redoublement dans
un contexte éducatif en sachant qu’il nuit à la santé des élèves et qu’il
est une hérésie économique manque tout simplement de bon sens.

Ce bon sens, c’est ici celui de deux parents, sans expertise particulière,
sauf celle qui consiste à élever leurs enfants. Nous gageons que bon nombre
d’enseignants possèdent ce bon sens aussi, puisqu’ils ont choisi ce métier.
Il ne reste plus qu’à convaincre les directions d’école que leur mission
consiste à emmener et les enseignants et les élèves à la réussite, et non à
gaspiller le denier public à transformer certaines classes en lieux de
combat, où ni les uns, ni les autres ne sont heureux. Nous pourrons alors
limiter enfin nos occupations de parents d’élèves à juste faire les
tartines, préparer le sac de gym, signer le journal de classe, et passer
des fins de journées tranquilles, sans refaire l’école après l’école après
notre journée de travail, sans perdre le sommeil pour un échec scolaire
inexpliqué. Est-ce vraiment trop utopique ?

Les parents de Lio.

(*) http://www.adm.cfwb.be/upload/docs/2978_20090625150248.pdf  page 8 : « Nous rappelons également le rôle que jouent la communication des
résultats et les rencontres avec les parents dans la prévention des
demandes de conciliation (procédure interne). Par conséquent, il serait
opportun de prévoir des plages horaires d’une durée acceptable permettant à
l’élève ou aux parents de rencontrer les enseignants.
Le décret du 24 juillet 1997 précité prévoit en son article 96 que, lors
de ces rencontres, l’élève ou les parents doivent pouvoir consulter les
épreuves qui ont fondé la décision du conseil de classe. Dans le cadre de
cette consultation, d’après l’avis de la commission d’accès au documents
administratifs, l’élève ou les parents sont en droit d’obtenir copie de ces
pièces à leurs frais (comme le prévoient les articles 3 et 4 du décret du
22 décembre 1994 relatif à la publicité de l’administration et l’article 32
de la Constitution) »

(**) constante macabre : grave dysfonctionnement dénoncé par le Professeur
André Antibi : les enseignants, sous la pression de la société, se sentent
inconsciemment obligés de mettre  un certain pourcentage de mauvaises
notes, même dans les classes de bon niveau, pour ne pas passer pour des
enseignants laxistes et peu sérieux.

(***) La Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), citée dans
cette circulaire, stipule dans l’avis qu’elle nous a rendu le 27 novembre
2008 :
« Par ailleurs, le droit d’obtenir copie dudit document administratif est
essentiel pour pouvoir le contester et pour permettre l’exercice efficace
des droits de la défense »