Mixité sociale et éducation démocratique

Facebooktwittermail

C’est la raison d’être de l’Appel pour une Ecole démocratique : nous nous battons afin que tous les jeunes accèdent aux savoirs qui donnent force pour comprendre le monde et pour participer à sa transformation. Pour nous, école et société sont indissociablement liés.

Plus les crises qui frappent notre humanité commune sont rapprochées et profondes, plus s’impose la nécessité d’une Ecole qui forme des citoyens critiques, capables de résister aux forces contraires et de participer à la construction d’une société démocratique. Une démocratie réelle, la division entre « intellectuels » et « manuels », « décideurs » et « exécutants » étant le produit d’une société inégale et injuste. Tous les enfants doivent sortir de l’Ecole avec, dans leur bagage, les savoirs et les savoir-faire d’une pleine citoyenneté : penser, développer des stratégies, convaincre, organiser des forces, mener des luttes longues et difficiles… à l’aune de l’ampleur des défis.

Notre proposition, qui vise à instaurer la mixité sociale dans toutes les écoles, n’a pas pour seul enjeu une meilleure égalité de résultats scolaires entre enfants des différentes classes sociales. C’est aussi la réalisation et le fonctionnement de la démocratie qui sont en jeu.

Comment en effet bâtir une société démocratique au travers d’un système scolaire caractérisé par le développement séparé[1] des enfants des différentes classes sociales (et/ou origines ethniques, options philosophiques, genres, etc.) ?

Apartheid scolaire

Car l’Ecole d’aujourd’hui présente ce triste tableau : le libéralisme scolaire, fondé sur la « liberté de choix », se traduit par une ségrégation socio-culturelle des enfants, la plupart des parents choisissant d’inscrire leurs enfants là où vont ceux de leurs connaissances.

Ce jeu des affinités, mené par les classes aisées, produit d’une part de « bonnes » écoles, où les enfants de « bonnes » familles se retrouvent entre eux, baignant dans une culture élitaire, visant les belles places à prendre sur l’échiquier social, grandissant dans l’ignorance et le mépris des enfants moins bien nés qu’eux. Dans le meilleur des cas y apprend-on un humanisme bienveillant, plus rarement à interroger « l’ordre des choses ». A l’autre bout de la chaîne, on retrouve des écoles qualifiantes, rassemblant les enfants en difficulté[2]. Là, le mot d’ordre est de constituer du « capital humain » : chacun doit accepter de se soumettre pour être employable, accepter de suivre la formation qui sera en adéquation avec les attentes du marché du travail. Là, aussi, on vous dira que la culture n’est pas essentielle.

Dans l’Ecole ainsi ségréguée, les classes sociales sont comme naturalisées, presque rendues invisibles. Les uns, dans les écoles ghettos de riches, sont élevés dans l’ignorance de la vie des classes populaires. Ils trouveront naturel d’accéder aux postes à responsabilité, puisqu’ils auront réussi sans faute un parcours scolaire de haut niveau. Les autres, dans leurs écoles ghettos de pauvres, auront intégré l’idée qu’ils n’étaient pas faits pour les études, se condamnant ainsi souvent à des perspectives d’épanouissement – intellectuel, professionnel, culturel – limitées[3]. L’apartheid fonctionne d’autant plus aisément que les parents anticipent différemment le destin professionnel et social de leur enfant, selon leur classe sociale. Pour des parents des classes supérieures et intellectuelles, il est considéré comme normal que les enfants passent par l’université. Là où les parents des classes populaires envisageront parfois dès l’entrée dans le secondaire une filière professionnelle, ou se diront : « attendons de voir ce que donneront les premières années… »

L’apartheid scolaire et son vernis méritocratique remplissent ainsi une fonction idéologique utile à la perpétuation d’une société antidémocratique : faire accepter des destins sociaux contrastés aux uns (« c’est normal que je sois exploité puisque je n’ai pas fait de grandes études et n’ai pas fréquenté les bonnes écoles ») et aux autres (« c’est normal que je sois plus riche et plus respecté parce que j’ai fréquenté ce collège-là »).

La démocratie réclame une école commune

Notre proposition d’affectation des élèves aux écoles vise à rompre avec cette logique et à créer une Ecole commune, un cadre propice à l’éducation démocratique.

Primo, l’école commune permet de briser l’ignorance des diversités sociale, culturelle, philosophique, ethnique, de genre, etc. Elle rend perceptibles les divisions et les inégalités.

Secundo, l’école commune est le lieu où tous les enfants apprennent à faire société ensemble. On y apprend la démocratie en la vivant au quotidien. On y développe des capacités de dialogue, on y planifie des activités, on y prend des décisions collectives. On y apprend l’ouverture et le respect d’autrui.

Tertio, la diversité de la population de chaque école, de chaque classe, est en soi un matériau précieux pour les pédagogues que nous sommes. La variété des expériences vécues par les enfants peut donner lieu à une socio-contruction des plus fertiles. Comme le suggérait l’ACODEV[4], nous pourrons alors viser un équilibre entre savoirs (« une information sur le fonctionnement du monde au niveau politique, économique, social, environnemental; les conditions de vie des populations du reste du monde; les mécanismes par lesquels les populations du monde sont interconnectées, etc. »), savoir-être (« valeurs de justice et de solidarité, adhésion au respect des droits humains de tous les habitants de la planète, etc. ») et savoir-faire (par des « actions individuelles et collectives pour plus de justice mondiale »).

Signez pour soutenir l’initiative !

Voir tous les détails de notre proposition sur la page consacrée

Notes

  1. En Afrique du Sud, on appelait cela l’apartheid.
  2. La sélection étant essentiellement sociale, cf. point 1 de notre présentation.
  3. Comparer pour cela les volumes et les exigences respectifs de la formation commune dans le général et dans le qualifiant. Bien sûr, la culture populaire existe. En nier la richesse n’est pas notre propos. Nous voulons juste souligner qu’elle ne peut suffire pour exercer une citoyenneté effective dans la société contemporaine.
  4. En 2015, cette plate-forme réunissant une centaine d’ONG belges actives dans la coopération au développement publiait une position commune relative à l’éducation à la citoyenneté.