Et si le système éducatif, c’était bien plus que l’école ?

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Toutes les réformes menées jusqu’ici pour améliorer notre enseignement ont échoué … sans vraiment rien changer. Et s’il n’était pas possible de changer le système éducatif uniquement par l’école, en ignorant les transformations profondes qu’a connues la société ?

Décret « Missions », loi sur la prolongation de l’obligation scolaire, décret « discriminations positives », décret « École de la réussite », décret « Inscriptions », Contrat pour l’école , et maintenant, Pacte pour un enseignement d’excellence. Autant de tentatives, tant pédagogiques que structurelles, ambitionnant de transformer le système éducatif, de le rendre à la fois plus efficace et plus juste socialement. Autant de grands chantiers qui, jusqu’à présent, se sont soldés par des échecs. Et il est malheureusement plus que prévisible que le Pacte pour un enseignement d’excellence suive le même chemin.

Je vais essayer de proposer – sinon une réponse définitive, ce serait bien présomptueux – du moins quelques éléments de réflexion à ce sujet.

La recherche des causes réelles de ces échecs répétés

Le système éducatif d’un pays, ce n’est pas que son école. Jusqu’à présent, les volontés de réforme du système éducatif se sont presque uniquement focalisées sur une transformation de l’école. Or, la population scolaire s’est radicalement modifiée. Il serait illusoire de postuler que les élèves et les parents d’aujourd’hui ont la même attitude à l’égard de l’école qu’il y a une cinquantaine d’années. Pourtant, les tentatives de réformes qui se sont succédé ne se sont intéressées de près qu’à la seule école, considérant implicitement que, pour le reste, il n’y avait pas grand-chose à changer.

Le modèle socio-culturel hégémonique imposé par les classes aisées continue de dicter la norme scolaire. A aucun moment, la démocratisation de l’enseignement, ou plutôt la massification du public soumis à l’obligation scolaire, n’a suscité un vrai débat sur un élargissement des références sociales et culturelles au sein de l’école. Cela ne pose évidemment pas de problème aux enfants des milieux aisés. Les autres n’ont qu’à s’y adapter. Mais il ne suffit pas de le dire.

La prolongation de l’obligation scolaire. La loi du 29 juin 1983 a porté l’obligation scolaire de 6 à 18 ans. Bien sûr, rares étaient encore les élèves qui, à ce moment, quittaient l’école à 14 ans. Mais il y en avait. Et il était prévisible que ces jeunes, forcés de rester quatre ans de plus à l’école, risquaient de poser problème. Le Législateur l’avait bien compris. C’est pourquoi, la loi prévoyait l’organisation d’un enseignement à horaire réduit que les élèves pouvaient fréquenter de 15 ou 16 ans, selon les cas, jusqu’à 18 ans.

Ainsi, le jeune suivait des cours à raison de 15 périodes de 50 minutes par semaine dans un centre d’enseignement à horaire réduit (C.E.H.R.). Pour le reste, il POUVAIT travailler en entreprise dans le cadre d’une formation alternance.

En tant que telle, la formule plaisait aux patrons. En revanche, la typologie des jeunes apprentis ne leur convenait pas : arrivées tardives, absences injustifiées, refus de travail, comportements inacceptables,… De fait, la grande majorité des ruptures de contrats était fondée sur le non respect des règles.

Les patrons demandèrent donc que le modèle de formation en alternance soit conservé mais qu’il s’adresse à des jeunes ayant plus de maturité … et de formation scolaire. C’est ainsi qu’en 1987, les arrêtés royaux 482 et 495 ont permis d’engager dans des formations en alternance des élèves sortis de l’obligation scolaire.

L’enseignement à horaire réduit, prévu uniquement pour les élèves de 15/16 à 18 ans au départ, faisait ainsi place à la formation en alternance, les C.E.H.R. devenant des C.E.F.A. (Centres d’Éducation et de Formation en Alternance). Ce qu’entérina, en 1991, le décret sur la formation en alternance et l’organisation des C.E.F.A.

Le contexte socio-économique a changé. La première crise économique de 1973 avait annoncé une modification profonde de notre système socio-économique.

A partir du début des années 80, l’ultralibéralisme va accélérer le dualisme social. L’accroissement du chômage, l’augmentation de la dette publique, le déficit croissant de la Sécurité sociale vont installer un phénomène de paupérisation qui va toucher de plus en plus de gens, jusqu’à créer une nouvelle classe sociale : celle des travailleurs pauvres.

C’est donc dans ce contexte peu favorable que survient la prolongation de l’obligation scolaire.

Les décrets successifs ne tiennent pas compte de la diversité des jeunes. Toujours, ces décrets visent l’amélioration d’une école que l’on voudrait plus efficace, plus juste. Mais ils reposent sur une sorte de pensée magique : celle d’un élève lambda, par définition capable et ayant envie de tout faire, et pareil en tout aux autres élèves. Un élève qui, une fois à l’école, retire tout ce qu’il vit à l’extérieur en même temps que son manteau.

Les parents qui ont plusieurs enfants trouvent normal que l’un marche plus vite mais arrive à parler plus lentement que l’autre. Ils n’en font pas un drame. Mais à l’école, tout change. C’est l’application stricte des règles du théâtre classique : unité de lieu, de temps et d’action. Toute la classe apprend la même chose, dans le même local et à la même heure. Si certains n’y arrivent pas, c’est qu’il y a des dysfonctionnements chez eux. Commence alors la stigmatisation : la différence devient une déficience.

Pourtant, l’école ne peut être soupçonnée d’injustice : elle met tous les élèves sur un pied d’égalité (du moins est-elle censée le faire). Et c’est justement là que se trouve l’injustice : il n’y a rien de plus injuste que de traiter de la même manière des personnes différentes. Le principe qui devrait prédominer est celui d’équité et non d’égalité. L’équité, c’est proposer à chaque jeune l’opportunité de trouver la clé de tous les possibles qui s’ouvrent à lui en tenant compte de sa façon d’apprendre, de sa personnalité et de son vécu.

Mais comment y parvenir ?

Proposition de pistes alternatives

Considérer l’élève dans toutes les composantes de sa personnalité. Un jeune n’est pas qu’un élève. C’est une personnalité complexe avec des caractéristiques physiques et psychologiques particulières, aux nombreuses appartenances, une personnalité qui a une histoire. Ne le voir que dans son existence à l’école, c’est en faire un être chimérique.

Dans les diverses composantes de son être et de son entourage, l’élève peut vivre des difficultés qui font obstacle à sa bonne scolarité. Précarité pécuniaire de la famille, assuétudes, santé déficiente, maltraitance,… Autant de situations qui peuvent entraver gravement sa réussite. Et que l’école ne peut résoudre seule.

Seule une approche systémique peut répondre à des réalités complexes. Si l’école ne peut tout prendre en charge, que faire et comment ? La considérer comme un élément du système éducatif organisé par la société. En ce sens, le décret Missions avait pour but essentiel de définir ce que la société devait attendre de l’école. Il aurait été tout aussi utile de s’entendre sur ce que l’école est en droit d’attendre de la société.

Que pourrait faire la société ?

Un premier pas : la création des S.A.S. (Services d’Accrochage Scolaire). Le décret « Discriminations positives » de 1998 contient deux articles permettant d’ouvrir des S.A.S., petites structures accueillant des jeunes en difficultés scolaires :

– L’article 30 : concerne les jeunes exclus définitivement d’un établissement scolaire et qui ont besoin d’être « remis en selle » avant d’être réinscrits dans une nouvelle école.

– L’article 31 : concerne les élèves qui ne sont pas encore exclus mais qu’il est préférable d’écarter momentanément pour qu’ils retrouvent un comportement acceptable à l’école.

Plus tard viendra s’ajouter un article 31 bis destiné aux jeunes qui ne fréquentent plus depuis longtemps une école et qui, avant réintégration, ont besoin de retrouver des comportements plus conformes à la norme scolaire.

Les premiers S .A.S. se sont créés au début des années 2000. Ils étaient pour la plupart organisés en A.S.B.L. co-subventionnées par l’Enseignement et l’Aide à la Jeunesse.

Deux problèmes sont apparus assez vite :

– Les actions menées à l’égard des jeunes portaient prioritairement sur les comportements. Mais il ne fallait pas oublier les apprentissages sans lesquels le retour à l’école aurait été très difficile, accentuant les effets de décrochage. Pour remédier à cela, il fallait qu’à côté des éducateurs spécialisés, constituant l’essentiel du personnel d’accompagnement, soient recrutés des enseignants (si possible chevronnés). De plus, il s’avérait indispensable de créer des liens forts entre les S.A.S. et les écoles dans lesquelles retourneraient les élèves. C’est ainsi que commencèrent à se conclure des conventions. Les écoles s’engageaient à fournir les supports et consignes nécessaires aux apprentissages tandis que les S.A.S. devaient rentrer régulièrement les travaux accomplis par les jeunes.

– Les S.A.S. étaient relativement peu nombreux. Ainsi, sur le territoire de la province de Liège, on en comptait deux. Un à Liège centre et l’autre à Tihange. De ce fait, le manque de proximité géographique ne permettait pas à beaucoup de jeunes de bénéficier de ces structures d’accueil.

L’action menée par le Pouvoir organisateur provincial liégeois. Le PO Province de Liège a décidé de conclure des conventions de partenariat avec des A.S.B.L. reconnues. Les S.A.S., tout en conservant leur appellation en lien avec leur A.S.B.L. (Aux Sources, Rebonds et Compas Format) ont été regroupés sous l’appellation générique provinciale « Espace Tremplin ».

Cela a permis de passer des deux implantations citées plus haut à sept implantations sur l’ensemble du territoire provincial : Liège Centre, Liège Est , Seraing, Verviers, Huy, Hannut et Waremme. La recherche d’une meilleure proximité géographique était ainsi mieux rencontrée.

En outre, en détachant à plein temps des enseignants et en allouant des subsides de fonctionnement complémentaires, le PO provincial liégeois accroissait considérablement les moyens accordés par les départements Enseignement et Aide à la Jeunesse de la Communauté française.

Des résultats positifs mais relativement coûteux. Les résultats obtenus par les S.A.S. de l’Espace Tremplin sont très favorables, surtout si l’on tient compte de la typologie des jeunes accueillis. Globalement, 80 % des jeunes connaissent un retour positif à l’école. Par estimation, 70 % poursuivent leur scolarité dans de bonnes conditions de réussite. Par estimation, parce que la législation interdit de suivre les jeunes à l’issue de leur prise en charge.

Il n’empêche qu’une chose est certaine : un jeune accueilli dans un Espace Tremplin coûte plus cher qu’un élève de l’enseignement ordinaire.

Mais il faut prendre en compte le fait que certains de ces adolescents, indépendamment de leurs problèmes scolaires, sont en train de passer de l’aide acceptée (Aide à la Jeunesse) à l’aide contrainte (Service de protection), donc à une judiciarisation de leur dossier. Sans l’accompagnement de l’Espace Tremplin, beaucoup verseraient dans la délinquance avec pour horizon un milieu carcéral bien plus coûteux à tout point de vue.

Renseignements pris, un élève coûte en moyenne 7000 euros par an à la collectivité. Un élève de S.A.S., sur base moyenne des prises en charge, environ le double. Quant à une personne incarcérée : environ 58 400 euros par an (information donnée par un gardien-chef de prison). Alors, tous comptes faits.

L’Espace Tremplin, une solution efficace mais pas à tous les problèmes. Si les services d’accrochage scolaire interviennent efficacement pour recadrer les comportements des jeunes à l’école, ils ne sont pas compétents pour faire face à d’autres problématiques évoquées plus haut : précarité pécuniaire de la famille, assuétudes, santé déficiente, maltraitance,…

C’est pourquoi d’autres modes d’intervention ont été recherchés. Avec deux critères essentiels :

– Il faut repérer les problèmes et agir rapidement avant que la situation ne dégénère irrémédiablement.

– Personne ne peut tout faire mais chacun a un rôle à jouer grâce à une action coordonnée.

Repérer les problèmes et intervenir rapidement. L’école, où l’élève passe une bonne partie de son temps, est un lieu tout indiqué pour repérer les problèmes vécus par certains jeunes. Et particulièrement ceux qui entravent leur scolarité.

Tout le personnel (d’enseignement, d’éducation, technicien, d’entretien et de cuisine) est partie prenante d’un processus de détection de ces problèmes. Cela peut paraître étonnant mais les anecdotes reprises en annexe à ce document montrent l’importance de ce point.

Cela dit, il est évident que ces différentes personnes ne sont pas habilitées à intervenir pour résoudre les situations problématiques rencontrées.

Comprendre le(s) problème(s) vécus(s) par l’élève et déterminer qui peut agir efficacement. La personne qui a repéré une difficulté vécue par un élève en réfère à l’éducateur dont relève cet élève. Celui-ci transmet l’information au centre psycho-médico-social (C.P.M.S.). Le C.P.M.S. rencontre l’élève (éventuellement avec ses parents selon les cas). Après avoir diagnostiqué la cause (ou les causes) de difficulté, il oriente le jeune vers les intervenants les plus appropriés.

Encore faut-il connaître ces intervenants et harmoniser les contacts. C’est ici qu’apparaît le rôle du maillage social.

La création d’un maillage social pour venir en aide aux élèves et aux familles en difficultés. Devant les difficultés toujours plus nombreuses et diverses rencontrées par les élèves de tous les réseaux, la province de Liège, les Services de l’Aide à la Jeunesse et les Centres publics d’Action sociale (C.P.A.S.) situés sur le territoire provincial ont signé une convention de collaboration en vue de créer un maillage social.

C’est-à-dire un réseau pluridisciplinaire d’aide aux élèves et à leurs familles.

Comment est constitué ce réseau ? Il regroupe les écoles et les C.P.M.S./P.S.E. = Promotion de la Santé à l’École) de toutes les écoles d’une zone, les Services de l’Aide à la Jeunesse (A.M.O. = Aide en milieu ouvert, et autres), les C.P.A.S., les Centres de guidance, les Maisons médicales, … Bref, tout organisme, toute association susceptible d’améliorer la situation d’un jeune et, éventuellement, de sa famille.

Une première expérience a été lancée à Seraing à partir de 2004. Depuis, chaque année, entre 100 et 150 cas sont traités. L’action s’étend de plus en plus et commence à s’officialiser avant, du moins l’espère-t-on, de se généraliser. Mais ce n’est pas toujours facile.

Des difficultés malgré les bonnes volontés. Lors de la première phase de création du maillage, les initiateurs ont été soulagés par un constat positif : tous les intervenants potentiels sollicités étaient présents dès les premières réunions. Mais les problèmes sont vite apparus.

Il a d’abord fallu apaiser la méfiance que chacun ressentait à l’égard des autres. N’allaient-ils pas marcher sur leurs plates-bandes ? Voire pomper leurs subsides ? Puis il a été nécessaire que chaque intervenant explique aux autres sa manière de fonctionner, les règlements qui l’organisent, ses codes et son vocabulaire spécifique.

Un des plus gros problèmes rencontrés : la différence des codes de déontologie et la notion de « partage du secret ». En effet, les enseignants sont considérés comme des confidents occasionnels. Il peut arriver que des élèves les interpellent pour leur confier un problème. Mais ce n’est pas un élément essentiel de leur métier. En revanche, certaines professions font de ceux qui l’exercent des confidents fonctionnels : médecins, membres des C.P.M.S./P.S.E., avocats, prêtres, etc .

Les réglementations entre les deux catégories de confidents sont très différentes, de même que les sanctions encourues en cas de trahison du secret professionnel. Il a donc fallu se montrer très prudent dans les modalités de transmission des informations entre les différents intervenants afin d’éviter tout dérapage. L’expérience menée à partir de 2004 a été émaillée des inévitables maladresses et bévues, parfois comiques mais aussi parfois dures, de toute action naissante.

En conclusion

Continuer à mener des réformes prétendument systémiques mais qui, dans les faits, ne s’attaquent qu’à une seule composante du système éducatif, l’école, n’aboutira à aucun résultat positif et ne fera qu’accroître toujours davantage la perte de confiance des enseignants. La société a changé. Ignorer les écarts toujours plus grands entre les classes (devenues quasiment des castes) sociales ne permettra jamais de rendre l’école plus juste pour tous. L’école appartient au système éducatif global, ce n’est pas le système éducatif.

Il y a quelques années, on nous disait que, chez nous, un enfant sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté. Aujourd’hui, c’est un sur quatre. Nous ne pouvons ignorer cette réalité.

Les anecdotes reprises aux pages suivantes décrivent certains épisodes vécus dans la mise en application du maillage social et concrétisent le type d’interventions que l’on peut rencontrer.

Parfois, cela peut prêter à sourire mais le plus souvent, même si c’est le cas, la situation est dramatique.

En tout cas, la pratique de ces actions est difficile. On est souvent à la limite du respect de la vie privée. Certains parents refusent une aide qu’ils perçoivent comme un contrôle social. Par exemple, ils ont le droit de refuser l’intervention du C.P.M.S. Évidemment, ce refus met la puce à l’oreille quand il y a déjà soupçon de problèmes dans la famille. Mais ces problèmes mettent-ils les enfants en danger ? Dans ces cas-là, on est sur la corde raide. Comment évaluer les risques réels quand on n’a connaissance que de certains épiphénomènes ?

Quelques cas traités dans le cadre du maillage social

Les prénoms donnés aux jeunes sont bien entendu fictifs.

Le resquilleur

Restaurant self service d’une école. Les élèves passent au comptoir et se servent. Quand ils ont terminé leur repas, ils déposent leur plateau sur une desserte. Ils ont le droit de repasser pour se resservir.

Cela fait quelques fois qu’une dame de cuisine observe le manège d’un jeune élève, Arnaud. Il attend qu’un autre ait déposé son plateau sur la dessert, prend le plateau et va comme pour se resservir.

La dame de cuisine rapporte le fait à un éducateur qui va constater le même comportement. Il y a une anomalie. Vu le prix modique des repas, ou bien l’élève agit ainsi par bravade ou il y a une autre raison. L’éducateur passe l’information au C.P.M.S.

Arnaud est invité à se présenter. Il s’explique.

Sa famille est dans une passe financière très difficile après un malheureux concours de circonstances. Pour le moment, ses parents n’ont pas l’argent pour lui payer son repas et son trajet en bus. Alors, les jours où il pleut fort, il préfère prendre le bus et resquiller au restaurant scolaire. Il est évidemment hors de question de sanctionner.

Chacun sait que les amicales scolaires ont souvent une caisse d’entraide pour ce genre de situation. Mais les cas se sont tellement multipliés que la caisse est vide.

Par le maillage social, le C.P.A.S. de la commune où le jeune réside est sollicité.

Après vérification, le C.P.A.S. accepte de payer un abonnement scolaire à Arnaud en attendant que la famille se soit remise à flot.

 

La bonne élève qui décrochait

Jusque là, la petite Antonia (14 ans) était considérée comme une élève modèle par tous ses professeurs. Puis, brusquement, elle a changé du tout au tout.

Elle arrive en retard, s’absente sans justification, ne fait plus ses devoirs. Quand ses professeurs lui reprochent son attitude incompréhensible, elle se rebiffe, va même jusqu’à les insulter.

Le C.P.M.S., averti, invite Antonia. Elle va décrire sa situation.

Bébé, elle a été abandonnée par ses parents. C’est sa grand-maman maternelle qui l’a recueillie et élevée. Tout s’est toujours bien passé et Antonia a toujours obtenu de beaux résultats à l’école.

Jusqu’au moment où la grand-maman a été malade. Sa santé s’est fortement dégradée et elle est devenue grabataire. Désemparée, Antonia ne savait à qui demander de l’aide. Il y a alors eu inversion des rôles. Antonia considérait qu’il était temps qu’elle fasse pour sa grand-maman ce que celle-ci avait fait pour elle.

Quand les professeurs lui reprochaient son manque d’assiduité et lui demandaient de revenir régulièrement à l’école, elle interprétait cela comme une incitation à trahir sa grand-maman. D’où, ses éclats.

Le C.P.M.S. a pris contact avec le C.P.A.S. pour organiser une aide à domicile et avec la Maison médicale pour apporter régulièrement les soins nécessaires à la vieille dame.

 

L’âge clandestin

Florian arrive systématiquement en retard à l’école. Ses devoirs ne sont jamais faits et il n’étudie pas ses leçons. Très souvent, il s’assoupit sur son banc. La plupart des enseignants s’en sont fait une raison et ont cessé d’intervenir, tant que Florian n’empêche pas le bon déroulement des cours.

Seul le professeur de français ne cesse de le traquer. Pas un jour où il ne s’en prenne au gamin (Florian n’a que treize ans même s’il est déjà costaud). « Pourquoi n’as-tu pas fait tes devoirs ? », « Tu n’es qu’un fainéant », « Tu devrais être honteux quand tu vois tes copains travailler », etc.

Jusqu’au jour où Florian sort de ses gonds, empoigne le professeur et lui crache à la figure : « Espèce de gamin de m… ! Si tu ne me f… pas la paix, je te casse ta g… ».

Évidemment, les choses sont allés trop loin. Le professeur de français exige l’exclusion définitive de Florian. Au conseil de classe de discipline, ses collègues sont embarrassés. Florian ne s’est pas conduit correctement mais enfin…

Le représentant du C.P.M.S. propose, avant de prendre une décision, d’essayer d’en savoir un peu plus sur la vie de Florian. Ce n’est pas normal qu’un gamin de son âge, qui paraît même plus que son âge, arrive tout le temps aux cours complètement épuisé.

Le cas est soumis au S.A.J. Une enquête discrète est ouverte.

On apprend ainsi que la maman de Florian vit seule avec son fils et reçoit tous les soirs des messieurs pour « pouvoir finir son mois ». Durant ces visites, Florian est accueilli au café d’en face où il passe la soirée. Mais quand le café ferme vers minuit, il arrive souvent que la maman de Florian n’ait pas terminé. Alors, le gamin attend sur le seuil le départ du dernier client.

Le coup d’éclat du jeune homme s’explique alors. Tandis que le professeur de français est un célibataire d’une quarantaine d’années qui vit chez sa maman (ses collègues n’arrêtent d’ailleurs pas de le charrier), Florian vit des situations qu’un adulte ne pourrait supporter. Il y a donc, entre les deux, une inversion de l’âge officiel (celui de la carte d’identité) et de l’âge clandestin (l’âge du genre de vie).

La situation a été décodée mais il n’a pas été possible de la résoudre entièrement. Enlever Florian à la responsabilité légale de sa mère n’aurait fait qu’empirer les choses.

Il a été décidé de placer Florian à l’internat de l’école avec possibilité de rentrer chez lui le mercredi, le samedi et le dimanche après-midi.

 

Le va-nus-pied

C’est l’hiver, il neige. L’éducatrice qui surveille la récréation remarque qu’un élève a des baskets trouées aux pieds. Elle alerte le C.P.M.S. qui invite la maman.

Celle-ci se présente, un peu inquiète. Quand l’assistante sociale lui explique la raison de ce rendez-vous, la dame se met à rire.

Elle est allée avec son fils Killian chez Décathlon pour lui acheter une nouvelle paire de chaussures. Elle a finalement choisi des Nike au grand dam de Killian qui voulait des Puma à un prix inabordable. Du coup, le garçon (il a seize ans) a décidé, pour faire enrager sa mère, de ressortir une vieille paire de baskets et de les mettre pour aller à l’école.

Moment de gêne dans le bureau. On aurait quand même pu essayer d’en savoir plus avant d’organiser cette rencontre. Enfin, ce n’est pas si grave après tout.

Sauf que l’assistante sociale demande à brûle-pourpoint à la maman pourquoi elle ne se montre pas plus ferme à l’égard de son fils.

Alors, la dame éclate en sanglots. Elle explique qu’elle vit seul avec Killian. Celui-ci fait la loi chez lui. Il bat sa mère à tout propos. Même quand il n’est pas content du repas qu’elle a préparé, ajoute-telle. Et cela fait des années que ça dure. En fait, depuis que cette dame est veuve. Elle montre des traces de coups à l’assistante sociale. Elle n’en peut plus.

Le S.A.J. est alerté. Mais vu la gravité des faits, le dossier est transféré au S.P.J.

Killian a été maintenu dans son école où il ne posait aucun problème mais a été placé pendant un an dans une famille d’accueil et sous contrôle.

 

Les parents indignes

Après le cours d’éducation physique, les élèves passent à la douche. Le professeur remarque que le dos de David (douze ans) porte de nombreuses traces de brûlures.

Pas de doute, le gamin est martyrisé chez lui.

Le professeur appelle immédiatement le S.A.J. par téléphone pour dénoncer la situation. Vu la situation, le substitut du procureur pour le parquet de l’Aide à la Jeunesse envoie les gendarmes chercher David à l’école.

Pendant ce temps, deux camionnettes de la gendarmerie vont cueillir les parents sur leurs lieux de travail et les emmènent. Le père et la mère ne comprennent rien à ce qui leur arrive.

Quand tout le monde est réuni, l’interrogatoire peut commencer. Quand les parents apprennent qu’ils sont accusés de martyriser leur enfant, ils sont abasourdis. Ce n’est pas possible !

Mais tout va changer au moment où on leur dit que le dos du malheureux est rempli de traces de brûlures de cigarettes. Alors là, les parents éclatent de rire. En fait, ils ont emmené David chez le dermatologue qui a soigné des verrues que le gamin avait sur le dos avec de l’azote liquide.

Confusion du substitut et des personnes présentes. Car le mal est fait. Bien sûr, le gamin n’était pas en danger. En attendant, les parents ont été emmenés sous les yeux de leurs collègues.

C’est un des plus gros dérapages que nous ayons enregistrés. Le malheureux professeur était en larmes. Il n’avait pas respecté la démarche prescrite ; ne jamais prendre seul une initiative, surtout aussi grave.

Il n’y a pas eu de sanction, d’autant plus que l’enseignant agissait de bonne foi. Mais l’incident a donné lieu à un recadrage général.

 

Papa et Maman seront toujours là

Aurélie, depuis un petit temps, ne fait plus rien de bon à l’école. La situation devient sérieuse à tel point que la réussite de son année est fortement compromise. De plus, Aurélie est devenue infernale en classe. Il devient pratiquement impossible de faire cours quand elle est là. A tel point que les enseignants sont tout heureux quand elle sèche les cours.

Les parents arrivent au C.P.M.S. Ils expliquent qu’ils ne s’entendent plus et voudraient se séparer. Aurélie a découvert la situation et c’est depuis qu’elle a changé radicalement de comportement. Alors, la maman a cette phrase ahurissante : « Mais rassurez-vous, nous avons promis à Aurélie que tant qu’elle aurait des problèmes à l’école, son papa et moi resterons ensemble pour l’aider ».

Le C.P.M.S. a mis la famille en contact avec un psychologue familial. Aurélie n’a pas été exclue de son école mais a passé trois mois dans un Espace Tremplin pour retrouver un comportement acceptable et prendre un peu de recul.

 

Mais les choses peuvent prendre un tour plus sinistre.

Maman ne sera plus là

Depuis quelque temps, les professeurs constatent que Rudy est en constante régression dans son comportement. Il a quatorze ans mais adopte de plus en plus des attitudes de petit garçon. En outre, il ne fait plus rien de bon aux cours.

Invitée au C.P.M.S., la maman explique que depuis qu’elle a perdu son mari, elle n’a plus aucune envie de vivre. Aussi répète-t-elle chaque jour à Rudy que quand il serait grand, qu’il aurait terminé ses études et aurait un boulot, elle n’aurait plus rien à faire sur terre. Et qu’elle se suiciderait.

On comprend la réaction de Rudy qui fait tout pour reculer cette échéance fatale.

La maman a été placée, après examen psychiatrique, dans un centre de santé mentale.

Quant à Rudy, il a été inscrit à l’internat de son école en espérant que la santé de sa maman s’améliore.

 

Chez nous, on mange à la carte

Au cours, le professeur étudie l’alimentation avec ses élèves. Soudain, Cyril intervient : « Vous savez, M’sieur, chez moi on mange à la carte ».

Étonné, le professeur demande à Cyril de s’expliquer.

Et la classe apprend que, chaque jour, il n’y a que cent grammes de viande à manger. Comme ils sont six à table avec les parents, c’est impossible de partager. Alors le papa met un jeu de cartes sur la table et celui qui tire la plus grosse carte du paquet a droit à la viande.

Le professeur n’insiste pas devant la classe. Mais il est mi-figue, mi-raisin. Et si le gamin ne plaisantait pas ? Il n’a que douze ans, il est en première. Il n’oserait quand même pas…

Les parents sont invités au C.P.M.S. La maman vient seule. Elle finit par expliquer que son mari est au chômage. Il a voulu acheter une Mercédès. Une voiture d’occasion, certes, mais quand même chère. Avec le remboursement de la voiture et la location de leur habitation, il ne reste qu’un quart des allocations pour entretenir le ménage. C’est impossible. Mais le mari ne veut rien entendre et la dame laisse supposer qu’il se conduit comme une brute.

Elle voudrait bien partir avec ses enfants mais elle a peur.

Le S.A.J est contacté et transmet au S.P.J. Mais ni la femme ni les enfants ne voudront témoigner contre le père. Comme jusque là aucun élément ne permettait de dire qu’il mettait la vie des siens en danger grave, l’action est éteinte.