La RTBF, service public ? Le cas de l’éducation

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Rétroactes : l’année 2012 était l’année d’élaboration d’un nouveau contrat de gestion de la RTBF. Soit un texte stipulant les obligations du service public de l’audiovisuel pour la période 2013-2017. Tout au long de l’année, des citoyens, des associations, les mondes culturel et politique ont multiplié les propositions, recommandations et revendications pour que le service public soit davantage fidèle à ses missions … de service public.

L’éducation est l’une de ces missions. Tout le monde s’accorde même à proclamer qu’il s’agit de « la priorité des priorités » (relisez les programmes électoraux). Or, à la RTBF, les questions d’éducation n’avaient jamais eu droit à un traitement fouillé dans des magazines réguliers. Dès lors rien d’étonnant de voir 150 personnalités signer en mai 2012 un appel : « RTBF : place à l’éducation, svp ! » (1). Issus des univers académiques, culturels, associatifs, de l’école, de la petite enfance, des mouvements de jeunesse, … ils demandaient que le contrat de gestion introduise une nouvelle obligation : « tant en radio qu’en TV, la programmation de magazines réguliers consacrés aux questions d’éducation (au sens large), à des heures de grande écoute, sur la Une en TV, sur La Première et Vivacité en radio ».

Accueil glacial de la part de la hiérarchie de la RTBF, réactions diverses du monde politique. Rien de très prometteur. Multiplication des rencontres, plaidoyers et courriers. Tous azimuts. Enfin, heureuse surprise, fin décembre 2012, l’article 28.3 du nouveau contrat prévoit : « à partir de 2014, un programme télévisé, diffusé aux heures de grande écoute, au moins dix fois par an ….visant à décrypter et analyser les grandes questions de société et d’éducation ». Des émissions de service public !

2013-2014

Les naïfs imaginaient que le directeur de la télévision allait lancer un appel à projets et mettre une de ses meilleures équipes au travail. En fait, il faudra attendre plus d’un an (mai 2014) pour qu’une « commande » soit adressée à une équipe. Sans moyens et dans des délais très courts (programmer 10 émissions entre septembre et décembre 2014). Une commande qui ne devait pas s’attacher au cœur de l’article 28.3 (« décrypter et analyser ») puisqu’elle déboucha sur l’émission « Voisins, voisines » (sur La TROIS). Un projet certes pertinent et présenté à juste titre dans la conférence de presse de rentrée comme le « magazine des quartiers » !

Rien à voir donc avec l’appel de 2012 et les attentes du monde éducatif. Même si on peut se réjouir que des vidéos réalisées par des associations et illustrant des initiatives intéressantes soient reprises par La TROIS. Mais, dans le même temps, on est en droit de s’indigner que la RTBF trouve des moyens considérables pour lancer ou poursuivre des programmes de divertissement choyés par des créneaux horaire à grande audience sur les deux chaines amirales (Duels en cuisine, 69 minutes sans chichis, les télécrochets et autre C’est du belge, par exemple) … et rien pour l’éducation ! Nous devrions aussi évoquer les coûts liés à des gros contrats sportifs passés avec des organismes plus que douteux (voir la Fifa et le Qatar) ou avec des maffieux avérés du style Ecclestone (la Formule 1) condamné récemment pour corruption . Tout et n’importe qui, mais pas l’éducation.

Service public ?

Si nous revenons sur ce dossier, c’est parce qu’il est révélateur, à plus d’un titre, du fonctionnement de la RTBF, de la dilution de ses missions de service public et de la résistance aux demandes des citoyens soucieux de voir ces missions remplies et respectées. On devrait aussi évoquer d’autres dossiers comme la présence d’une publicité toujours plus prégnante, les interruptions des films et documentaires par des inserts pub, l’autorisation de la pub pour les médicaments de comptoirs,……

Au nom de sa sacro-sainte indépendance, la hiérarchie de la RTBF refuse d’appliquer certaines obligations fixées par son pouvoir de tutelle et subsidiant. Elle semble oublier que c’est l’impôt des citoyens qui contribue pour près de 80% à son budget ! Parmi les citoyens, très nombreux sont les parents, grands-parents, enseignants, animateurs qui attendent des émissions traitant tant des grands enjeux éducatifs que des questions qui les préoccupent au quotidien comme l’éducation à la santé, au vivre ensemble, à la sexualité, à la consommation, à l’interculturalité, à la solidarité, … Ou encore, quelles attitudes adopter face aux assuétudes, aux TIC, aux discriminations, aux jeux et sports violents, … ? Que de passionnantes émissions en perspective pour présenter des expériences novatrices qui tentent de répondre à l’objectif d’éduquer de jeunes citoyens, acteurs, responsables et créatifs.

Nous en appelons donc au respect des citoyens et à la fidélité aux missions de service public. Au respect du contrat passé avec le gouvernement qui est très clair : « décrypter et analyser ». Il y a des commissaires du gouvernement au CA de la RTBF. Il y a 13 administrateurs. Il y a des parlementaires en charge des médias. Il y a le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). A eux de faire respecter le contrat.

A nous citoyens, de nous organiser, de nous exprimer, de solliciter nos représentants politiques pour mettre un terme aux dérives qui nous privent d’un outil de service public que nous finançons tous … pas pour qu’il investisse massivement dans des divertissements en tous genres et néglige des questions cruciales en démocratie.

(1) La Libre, 12 mai 2012

Les signataires :

Philippe Béague, Patrick Binot (directeur général Ligue des familles), Jacques Cornet (Helmo, Liège), Marcel Crahay (ULg et Genève), Bernard Delvaux (UCL), Noëlle De Smet (Changements pour l’égalité-CGé), Sabine de Ville (présidente Culture et Démocratie), Vincent Dupriez (UCL), Vincent Engel (écrivain), Bernard Hennebert (Consoloisirs), Nico Hirtt (Appel pour une école démocratique -APED), Patrick Hullebroeck (Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente-LEEP), Armel Job (écrivain), Jean-Pierre Kerckhofs (APED), Henry Landroit (Education populaire), Hélène Lenoir (présidente CGé), Jacques Liesenborghs, Luc Malghem (Librex), Véronique Marissal (Ecoles de devoirs), Anne Morelli (ULB), Danielle Mouraux (sociologue), Roland Perceval (président LEEP), Bernard Rey (ULB), Rudy Wattiez (sous-directeur ENCBW), Vincent Wertz (UCL)