Au sujet des dépenses scolaires…

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Chaque année, à l’approche de la rentrée, on retrouve dans les médias des articles plus ou moins bien renseignés sur les « dépenses de la rentrée des classes ». Je les parcours toujours avec un peu d’agacement quand ils mettent en avant les nouveaux cartables, les vêtements, les classeurs, les crayons et les compas, les garderies et les cantines.
Parler de ces frais là, c’est évoquer l’arbre pour cacher la forêt.

Les cartables et les compas durent facilement plusieurs années et les vêtements ne me semblent pas être une dépense scolaire : mes filles iraient-elles nues si l’école n’existait pas ? Idem pour la cantine : il faut manger même en dehors de l’obligation scolaire. Admettons pour la garderie des petits.

Ce qui m’interpelle, ce sont les frais dont on parle moins et qui pourtant jalonnent bien le parcours scolaire des jeunes.

Obsolescence des manuels

Il y a les livres. Les dictionnaires et atlas s’utilisent d’année en année, certains livres font l’objet de prêt, s’achètent d’occasion, et/ou se revendent l’année suivante. Mais cela n’est pas la pratique la plus courante.

L’ enseignement par compétences se détache des savoirs fixes et se plie à l’interprétation qu’ en font les professeurs. Les connaissances sont faciles à fixer, à mettre en manuels alors que les compétences…

L’ école fait de moins en moins usage de livres réutilisables. La mode est aux manuels/cahiers pleins de trous à remplir, d’espaces pour écrire, qu’on ne peut donc pas revendre ou recevoir en prêt (et qui ne favorisent d’ailleurs pas l’écriture et la tenue de notes de cours). On trouve régulièrement de nouvelles éditions où les thèmes sont ré-actualisés. Des manuels de néerlandais, par exemple, parlent à présent de internet et de facebook (pour motiver !), ils sont pleins d’images et de dessins mais on n’ y apprend pas mieux la langue que dans mes vieilles méthodes démodées.

Portant un regard courroucé et critique sur l’obsolescence programmée de mon imprimante, je ne peux m’ empêcher de prolonger ce regard à ces manuels « à trous » et aux photocopies éphémères dont les établissements comptabilisent les frais aux parents. Une grammaire néerlandaise, par exemple, s’utilisera sur plusieurs années et contient tous les verbes irréguliers : pourquoi donc donner chaque année la liste des verbes en photocopie ? Et ne me dites pas qu’il faut parfois changer, ils sont toujours pareils à ceux que j’ai étudiés il y a 40 ans.

Bien sûr, si on créait des manuels durables, cela ne ferait peut être pas l’affaire des éditeurs. Le problème est justement là : combien d’ entreprises privées réalisent des profits sur l’ enseignement ? Obligatoire jusqu’à l’ âge de 18 ans, il devrait pourtant être gratuit et les écoles devraient idéalement être en mesure de fournir des manuels réutilisables durant plusieurs années !!!

Les frais qui accentuent la fracture sociale

J’en arrive aux dépenses qui accentuent véritablement la fracture sociale. Ce sont les frais auxquels les parents consentent par nécessité ou par choix parce que l’école abandonne la partie. Par exemple, une école de devoirs, du « coaching » ou des cours particuliers. Le phénomène prend de l’ampleur et n’est pas seulement un problème d’ élèves qui ne travaillent pas bien. Un élève peut avoir été malade ou passagèrement perturbé. Un élève peut ne pas avoir eu cours de math ou de langues pendant plusieurs semaines parce que son école ne trouve plus de professeurs… Et là, soit l’élève continuera son chemin dans une école moins exigeante (c’est aussi le choix du technique et professionnel par dépit, suite à un échec) ; soit il perdra une année (ce qui coûte cher à tout le monde, on l’aura déjà compris). De plus en plus de parents ont un budget « cours particuliers ». Je ne jette pas la pierre à tous mes collègues professeurs : ils répondent volontiers à une demande d’explications complémentaires. Des re-médiations sont organisées. N’empêche que l’échec et/ou les cours payants restent fréquents. Le phénomène n’ est pas tout neuf mais en pleine expansion. Il ne s’agit plus de demander à un étudiant un coup de main ponctuel afin d’aider un plus jeune. Les parents déboursent pour de vrais programmes de remise à niveau… du moins lorsqu’ils en ont les moyens !!!

Le marché de l’échec scolaire

Des entreprises privées s’organisent afin de fournir une offre ciblée aux élèves en difficulté. Elles trouvent dans l’échec scolaire leur part de marché. Je prends un exemple. A l’époque de sa cinquième secondaire, ma fille avait trouvé sa vocation : elle voulait devenir traductrice et apprendre les langues. Mais son apprentissage de secondaire (même avec « anglais 5h », un excellent prof et une élève motivée) ne lui permettait pas d’avoir dans cette langue un niveau qui la mènerait à une réussite assurée en première année de bac. Le choix était donc le suivant : passer une année à étudier les langues (cours accélérés et programmes langues pas trop chers), étaler sa première en deux années, s’offrir un séjour linguistique (plus de 400 euros la semaine) ou un cours privé intensif (minimum 340 euros la semaine). Ces solutions sont toutes très couteuses. Car « perdre » une année a aussi son coût.

Il y aura bientôt un domaine qui accentuera encore plus les différences sociales face à l’enseignement : celui de l’informatique et des techniques de communication. Je suis optimiste en mettant ma phrase au futur. J’ose espérer qu’au fondamental et en secondaire, ce n’est pas encore trop le cas. Je constate pourtant que des professeurs laissent leur adresse mail ou des notes de cours sous forme de fichiers à disposition des élèves… Ce qui est certain, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de se passer d’ordinateur et d’internet. C’est carrément impossible lorsqu’on poursuit des études supérieures. Des bibliothèques équipées, accessibles en soirée, mises à disposition des étudiants existent dans les universités et hautes écoles. C’est plus rare dans une école professionnelle secondaire, dans les quartiers défavorisés…

Des études supérieures discriminantes

Nos voisins européens réclament souvent des minervals nettement plus élevés que les nôtres. Nous assistons au déferlement d’étudiants français en Belgique, pas seulement pour des raisons économiques, d’ailleurs. Ce problème se règlera-t-il par un accès limité aux non-belges ou par un alignement de nos tarifs ? Beaucoup d’étudiants hors de nos frontières s’ endettent pour pouvoir poursuivre leurs études supérieures, des prêts spéciaux existent : les banques pensent à tout !!!

Je terminerai en soulignant qu’il est très inquiétant qu’un économiste, chargé de cours dans nos universités, ayant travaillé au FMI et dans nos cabinets ministériels, déclare :

«Il n’est pas juste que la collectivité, en ce compris des gens qui ne gagnent pas bien leur vie1Les « gens qui ne gagnent pas bien leur vie  » ne paient que peu ou pas d’impôts directs…, voit ses impôts financer des formations qui ne serviront à rien. Il faudrait reposer la question de l’emploi convenable, et de la formation. On pourrait imaginer que les filières en pénurie fassent l’objet d’un minerval réduit et celles en sureffectif d’un minerval majoré». Etienne de Callataÿ (La libre Belgique – mars 2013)

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