Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte, 2012, 149 p.
Suite à son copieux ouvrage Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010), le sociologue allemand Hartmut Rosa en propose cette fois une version allégée dans laquelle il reprend les grandes lignes de sa réflexion sur l’économie du temps dans la modernité tardive, et montre ici comment la forme qu’a pris cette économie temporelle devient un facteur d’aliénation et de pathologie sociale. Certes, Rosa manie cet objet philosophique qu’est le temps d’une manière plus conceptuelle qu’empirique, mais on ne peut qu’admirer une telle tentative d’analyse globale. Une nouvelle théorie critique, donc, ne pourrait plus se passer d’une critique du temps.
L’accélération sociale ressentie par chacun s’exprime de trois manières différentes : primo, par l’accélération des sciences et des techniques, qui est un phénomène intentionnel ; secundo, par l’accélération des changement sociaux ; tertio, par l’accélération des rythmes de vie, qui sont des phénomènes non intentionnels découlant du premier et rétroagissant sur lui. Ainsi, « […] le “cycle de l’accélération” est devenu un système fermé et autopropulsé » (p. 43) et « […] l’impression de changements aléatoires, épisodiques ou même frénétiques remplace la notion de progrès ou d’histoire dirigée » (p. 62). Rosa identifie le moteur de cette accélération sociale à la logique de compétition, et « […] puisque nous gagnons l’estime sociale à travers la compétition, la vitesse est essentielle à la reconnaissance dans les sociétés modernes » (p. 79). On peut aller jusqu’à voir dans le pouvoir de l’accélération une véritable force totalitaire à laquelle l’organisation politique tout entière est dévouée. Perçue dans la modernité classique (XIXème siècle) comme une force libératrice, elle est vue aujourd’hui comme une pression asservissante sur les individus et les institutions.
Cependant, il y a aussi une dialectique dans l’accélération, mais qui ne nous arrange pas vraiment : « […] les mêmes processus qui accélèrent les changements sociaux, culturels et économiques ralentissent la formation de la volonté et la prise de décision démocratiques, ce qui mène à une nette désynchronisation entre la politique, d’une part, et la vie et l’évolution socio-économique, d’autre part » (p. 97), fait remarquer l’auteur. « Il se pourrait donc bien, ajoute-t-il, que la pulsion inlassable de la société moderne vers l’innovation et la dynamisation incessantes soit la cause qui sape sa capacité à l’innovation essentielle et à l’adaptation créative. En ce sens, une forme très solide de sclérose et de blocage pourrait apparaître derrière la surface hyperdynamique des sociétés modernes tardives » (p. 99). Voilà pourquoi rien ne change vraiment en profondeur : tout change seulement en surface.
Comme l’accélération transforme notre « être-au-monde », les enseignants devront être attentifs aux changements qualitatifs dans la relation maître-élève (« […] il se pourrait bien que les mots, et même pire encore, les arguments […] soient devenus trop lents pour la vitesse du monde de la modernité tardive. », pp. 76-77). En être conscient est une chose ; inverser le processus en est une autre. Rosa rappelle que, jusqu’à présent, les forces de l’accélération l’ont à chaque fois emporté contre les forces de la décélération, que l’on trouve, entre autres, chez les objecteurs de croissance. L’avenir de la démocratie se joue certainement là aussi, dans notre volonté et notre capacité à décélérer.
Aliénation et accélération
Et bien, bon courage, Florian. Comme je l’écris « En être conscient est une chose ; inverser le processus en est une autre », mais on peut quand même essayer de résister en ralentissant le rythme chaque fois que c’est possible. A toi d’être créatif, mais pas au sens managérial du terme!
Bien cordialement,
B.L.