Marx écologiste

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John Bellamy Foster, Marx écologiste, Amsterdam, 2011, 134 p.

Il y a des essayistes qui se donnent pour mission de remettre les pendules à l’heure. John Bellamy Foster (né en 1953) est professeur à l’Université de l’Oregon, marxiste de tendance écosocialiste. Dans Marx écologiste, il met toute son énergie érudite à balayer certaines idées reçues : l’écologie aurait été le point aveugle de la sociologie de Marx, le prométhéisme et le paradigme de l’exemption humaine auraient guidé une pensée totalement anthropocentriste. En réexaminant attentivement son œuvre, les preuves du contraire ne tardent en effet pas à s’accumuler. Foster la remet dans sa perspective historique pour mieux dire en quoi elle avait fait preuve de clairvoyance dans ce domaine-là, malgré l’idéologie ambiante – initiée par les capitalistes – en faveur de la science, de la technique et du progrès. Au départ, s’inspirant des travaux du chimiste bourgeois Justus von Liebig, Marx constate que l’agriculture capitaliste avait dégradé la fertilité des sols, entre 1830 et 1870. Il vient de trouver là le fondement de sa critique écologique. Il utilise alors la notion de métabolisme pour décrire l’interaction complexe entre la société humaine et la nature. La « rupture métabolique » permet de « saisir l’aliénation matérielle des êtres humains vis-à-vis des conditions naturelles de leur existence dans le capitalisme. » (p. 62). En raison de l’antagonisme entre la ville et la campagne, les fertilisants, au lieu de retourner à la terre, restent dans le milieu urbain, dès lors devenus inutiles pour l’agriculture et polluant l’eau des fleuves. À partir de là, Marx déroule le fil de la pelote pour « mettre en place les fondements d’un matérialisme historico-environnemental prenant en compte la co-évolution de la nature et de la société humaine » (p. 47), où la praxis reste sensible aux conditions naturelles, à l’évolution et à l’interaction métabolique de l’humanité et de la terre, dans un processus dialectique et contingent. Autrement dit, les crises économiques de surproduction n’expliquent pas tout. Marx reconnaissait que la nature, à côté du travail, était aussi source de richesse puisque productrice de valeurs d’usage, et que la seconde contradiction du capitalisme – après la lutte des classes – était la dégradation des conditions naturelles de production. On découvre même Marx en précurseur du « développement durable » quand il souligne la nécessité de préserver la terre pour les « générations suivantes » à l’aide d’un système agricole plus rationnel. Cependant, Marx et son ami Engels ne devaient pas s’en tenir là. Ils avaient également conscience de la déplétion des stocks de charbon, de la déforestation et de l’accumulation des déchets industriels. Ils n’étaient pas aussi scientistes qu’on le prétend puisqu’ils attendaient plus de la transformation des relations sociales que de l’innovation technologique pour trouver des solutions à ces problèmes.

Comment se fait-il alors que cette abondante critique écologique marxienne ait eu si peu d’influence dans le socialisme réellement existant ? Si Lénine, Boukharine et Kautsky y prêtaient encore attention, cette approche « conservationniste » fut écartée par Staline au fur et à mesure de l’expansion de la production. Lyssenko mena même des attaques « scientifiques » contre l’écologie. On connaît le résultat : une politique de l’environnement désastreuse qui aboutit, entre autres, à l’assèchement partiel de la mer d’Aral.

Bernard Legros