Halte à la Grande Régression

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Jacques Généreux, La Grande Régression, Seuil, 2010, 279 p.

L’économiste français, membre du Parti de gauche (PG), nous livre ici un nouvel essai qui rejoint la longue liste de ceux qui font le constat implacable de l’impasse politique, morale, économique et écologique dans laquelle se trouve la société occidentale, et plus largement le monde, depuis la révolution néolibérale, qu’il appelle ici « la Grande Régression ». Comme dans La dissociété (Seuil, 2006) et Le socialisme néo-moderne (Seuil, 2009), l’analyse brille d’intelligence, avec une bonne dose de conviction en sus pour faire un écrit totalement militant. Avec ce livre généreux, Généreux continue le combat contre la pensée unique, contre l’ordre social réactionnaire et liberticide et contre l’idolâtrie du Marché qu’il appelle le « marchéisme ». Il sera difficile d’extraire une idée plutôt que l’autre de ce foisonnement, mais quelques moments forts auront retenu mon attention, dont celui-ci : « […] les néolibéraux n’ont ni affaibli ni combattu le pouvoir de l’État, ils l’ont colonisé et étendu comme jamais pour le mettre au service d’intérêts très privés. » (p. 87) Comme d’habitude, des références fréquentes à l’anthropologie viennent enrichir la vision de l’auteur. Certes, celui-ci reste quelque peu nostalgique des Trente Glorieuses et en appelle toujours (naïvement?) au vote pour changer la société. Mais il a évolué par rapport à ses ouvrages précédemment cités, en faisant (enfin !) une plus grande place à la crise écologique et en s’en prenant au dogme de la croissance sous un angle original : « Les progressistes croient que leur modèle est en crise par manque de croissance, alors qu’il l’est seulement parce que la croissance les a dispensés de le penser et de l’accomplir vraiment. Leur modèle est ébranlé parce qu’ils ont profité trop longtemps d’un argent facile pour “se payer” la paix sociale, sans s’atteler à l’institution d’une véritable démocratie économique. » (p. 209). Il consacre aussi un sous-chapitre à l’enseignement, en résumant l’impossible tâche des professeurs aujourd’hui : « Quand plus rien ne semble juste et légitime dans le fonctionnement de la société, quand les parents ne savent plus instituer le respect d’une autorité légitime, quand le travail est dévalorisé par son exploitation indigne, quand la culture ambiante n’accorde de la valeur qu’à l’argent, quand le discours politique encense la compétition, alors comment les enseignants pourraient-ils, tout à la fois, se faire respecter, maintenir l’ordre, enseigner les savoirs et éduquer les enfants à la vie solidaire en société ? » (p. 223) Il plaide pour l’introduction de cours de sciences humaines qui permettraient d’abord aux élèves de démonter le discours libéral, cette « fable dangereuse », et ensuite – rêvons un peu – à l’École de devenir celle « de la rébellion contre le capitalisme et la société de marché » (p. 225). Dans sa conclusion, Généreux affirme qu’une « nouvelle renaissance » passe par une nouvelle émancipation qui sortirait de la fausse opposition individu/société : « Au lieu de chercher en vain de construire une société contractuelle grâce à la libération des individus, il convient au contraire de construire la liberté des individus grâce à la qualité et à la diversité de leurs liens sociaux. » (p. 261). Au total, une lecture passionnante de bout en bout.

Bernard Legros