L’enseignement de la deuxième guerre mondiale en Belgique

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Comment est traitée la deuxième guerre mondiale dans l’enseignement secondaire francophone en Belgique ? Le premier problème pour un professeur d’histoire est de trouver un contenu à enseigner et éventuellement à critiquer. En effet, si vous parcourez les programmes (1) des deux réseaux d’enseignement (officiel et catholique) à la rubrique « contenu obligatoire », vous ne trouverez pas la deuxième guerre mondiale explicitement mentionnée. Elle ne s’y trouve que comme « piste de travail possible ». Mais rassurez-vous, le « génocide » est un sujet obligatoire, nous pouvons donc l’aborder sous cet angle.

Nous avons un manuel dénommé « Construire l’histoire » (2), le seul agréé dans les deux réseaux pour le moment. Ce manuel est bourré d’illustrations et de documents, mais il y a fort peu de contenu de cours, encore moins sur la guerre : deux pages seulement. Il y a aussi deux pages sur « l’univers concentrationnaire » juste après la deuxième guerre. Bien sûr, les « camps nazis » sont traités en même temps que les « camps soviétiques ». Mais peut être tout cela est-il explicité dans la section du manuel sur l’entre deux guerres ? Pas du tout … Il n’y a rien sur la construction du socialisme en URSS, son histoire semble s’arrêter en 1921. Il n’y a que deux pages sur la « diversité et la séduction de l’autoritarisme » où l’on compare dans des constructions avares de faits les « régimes totalitaires » : vous connaissez déjà, je vous l’épargnerai. Par contre il y a deux pages sur « le racisme, fondement du nazisme ». De sorte que tout y est fait pour que les jeunes n’y comprennent que deux choses : « la cause de la guerre c’est la haine des nazis contre les juifs » et « communisme égale fascisme ».

Il existe un mythe tenace en communauté française de Belgique, il s’agit de la soi-disant « liberté pédagogique des professeurs ».
En théorie, un inspecteur ne peut presque rien dire sur le contenu de votre cours d’histoire du moment que vous abordez les camps et le génocide, mais il peut vous sanctionner si vous n’avez pas de grille d’évaluation par « compétences ». La moitié du programme s’appesantit sur des constructions pédagogiques telles que la « mobilisation des ressources en situation d’intégration », et sur le contenu : rien ! Un professeur progressiste pourrait donc se concentrer sur la résistance exemplaire des communistes belges contre l’envahisseur nazi. Mais un autre de droite pourrait très bien orienter la majorité de son cours sur le « goulag ». Ou si le sujet ne motive pas, un enseignant « a-politique » pourrait tout simplement aller chercher sur internet une séquence pédagogique toute faite ou partir d’un documentaire médiatisé qui risque fort de reproduire le discours dominant. Le dernier du genre est « Apocalypse » de Daniel Costelle, massivement diffusé par la télévision publique, la RTBF, et véhiculant un discours réactionnaire ( la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des juifs n’est pas abordée, les partis ouvriers sont tenus responsables de l’arrivée au pouvoir des nazis, la solution finale et le bombardement des villes allemandes sont juxtaposés ).

La conclusion s’impose: tout ce tapage sur la « liberté » est le plus dangereux qui soit. Les rédacteurs des programmes se cachent derrière cette pseudo-liberté en invoquant la compétence et l’esprit-critique des professeurs pour éviter un débat de fonds sur la déliquescence de l’enseignement, notamment en histoire, en communauté française. Selon l’enquête intenationale PISA, l’enseignement en Belgique francophone est l’un des plus inégaux de tout les pays développés. Pour le thème qui nous occupe aujourd’hui, cela signifie que les enfants issus des couches populaires et qui se trouvent majoritairement dans les écoles où le niveau est le plus bas, se voient dans les faits refuser l’apprentissage de vérités historiques élémentaires et essentielles pour le monde du travail : la collaboration économique durant la deuxième guerre mondiale, le rôle central de la classe ouvrière dans la résistance antifasciste. Exemple : la grève des cent milles dirigée par le dirigeant communiste Julien Lahaut à Liège en janvier 1941, les premiers déportés dans les camps de concentration nazis sont des communistes et des syndicalistes, etc.

Je sais que la Belgique est un petit pays, mais ce n’est tout de même pas une raison suffisante pour ne pas enseigner son histoire à ses jeunes.
Rien dans le programme, fort peu dans le manuel. On est heureux d’y apprendre que notre plat pays est envahi le 10 mai 1940 et que Bruxelles est libérée en septembre 1944. Pour le détail de l’occupation, on nous balance 4 pages de documents qui insistent presqu’exclusivement sur les souffrances de la population en général et des juifs en particulier. Sans vouloir minimiser les épreuves subies par les civils de mon pays, ne serait-il pas judicieux néanmoins de rappeler autrement que par un austère tableau statistique (qu’il faut aller chercher dans une autre section sur l’après-guerre) les atrocités bien plus considérables commises par les nazis en URSS, Yougoslavie, Grèce, Albanie et Pologne, par l’armée impériale japonaise en Chine ?

Sur la collaboration ? Deux affiches, dont une sur la légion SS de Degrelle, sans commentaire si ce n’est pour donner les chiffres des engagés, des blessés et des morts. Pourquoi n’aborder la question royale que 63 pages après la section sur l’occupation, sans mentionner le testament politique de Léopold III en janvier 1944, écrit au moment de sa « déportation consentante » en Allemagne, où il parle des alliés comme de nouveaux occupants, où il demande aux membres du gouvernement belge Pierlot à Londres de lui présenter ses excuses pour avoir critiqué sa décision de rester en Belgique et où il leur propose de rompre plusieurs traités signés avec la Grande Bretagne et les États-Unis.

Sur la résistance ? Un minuscule encart qui ne mentionne même pas le rôle prépondérant du Front de l’Indépendance et des Partisans Armés dirigés par le Parti communiste de Belgique.

Pourquoi ne pas dire un mot de la responsabilité de la diplomatie belge dans « l’échec de la paix (1936-1939) » ? Nos élèves seraient sans doute intéressés d’apprendre « pour mémoire » que la Belgique choisit de quitter le camp allié dés juillet 1936 pour devenir neutre et de reconnaître l’Espagne franquiste en 1938, avant les autres démocraties et avant la fin de la guerre civile. Qu’après l’invasion de la Pologne en septembre 1939, alors que l’Allemagne attaque le Danemark et la Norvège, le Roi et l’État-major belge refusent l’accès du territoire national aux troupes franco-anglaises et déplacent même deux divisions le long de la frontière avec la France !

(1) Programmes:
– Enseignement catholique secondaire : Histoire, Formation commune et Option de base, 2ème et 3ème degrés, Humanités générales et technologiques, 2008.
– Enseignement de la Communauté française / secondaire général et technique de transition : Deuxième et troisième degrés, Programme d’études du cours d’histoire, 2000.

(2) Manuel: Construire l’histoire, sous la direction de J-L. Jadoulle et J. Georges,
tome 4, Un monde en mutation (de 1919 à nos jours), Didier – Hatier Editions,
Bruxelles, 2009. Voir aussi:

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