Violence symbolique

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Du point de vue de la sociologie critique [[Le concept de « violence symbolique » a été forgé et développé par le sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002), il occupe une place majeure dans l’ensemble de son œuvre.]], la violence symbolique est constitutive du lien social et des rapports de domination qui lui sont inhérents. Et pour cause : tout rapport de domination constitue bel et bien une violence symbolique, dans la mesure où il parvient à s’imposer comme légitime, tout en dissimulant l’effectivité des rapports de force qui le sous- tendent.
Pour s’effectuer, cette violence mobilise l’adhésion implicite des « dominés », ce qui est rendu possible en raison du fait que ceux-ci ont eux-mêmes intériorisés les catégories de pensée des « dominants » en y étant assujettis.
Mais, la pédagogie dans tout cela ? Elle est éminemment concernée par ce phénomène, et ce à deux titres.

Tout d’abord, en tant que secteur du monde social parmi d’autres, elle ne peut qu’être traversée par cette forme de violence « douce ».
Ensuite, elle est concernée plus radicalement encore, dans la mesure où tout acte pédagogique quel qu’il soit est consubstantiel de la violence symbolique en raison de l’opération de légitimation que cet acte est fondamentalement. En effet, l’acte pédagogique tend à faire d’un arbitraire nécessité, et de la nécessité vertu.

Cette intrication du pédagogique et de la violence symbolique ne doit pas nous amener à conclure que cette dernière serait l’apanage exclusif de la Famille et de l’Ecole. Non : elle prolifère et rayonne avec constance et force à travers ces grandes instances de légitimation que sont les médias contemporains (TV, radio, presse écrite, Internet).

De plus, il ne faudrait pas en déduire non plus que la violence symbolique épouse nécessairement les formes de la brutalité discursive ou de la fulgurance verbale.

Au contraire ! Elle s’exerce davantage, et avec plus d’efficacité, par le creux que par le plein : son essaimage dans le social passant essentiellement par des stratégies d’euphémisation, où la réalité s’y trouve édulcorée par une sémantique lénifiante.

Illustrons-le par quelques exemples qui émaillent de façon récurrente nos discours socio- médiatiques :

– les travailleurs n’ont plus besoin d’être taillables et corvéables à merci : il suffit qu’ils soient « flexibles ».
– On ne leur demande plus de se vendre, mais il faut qu’ils soient « employables ».
– Parlant des villes, il n’est pas nécessaire d’évoquer la précarité de certains quartiers et
des populations qui y habitent, il suffit de les désigner comme « zones sensibles ».
– Personne aujourd’hui n’est plus expulsé hors de nos frontières, des «mesures
d’éloignement » sont simplement prises.
– La criminalité en col blanc est obsolète, on assiste de façon plus austère à un « estompement de la norme ».
– L’escroquerie étant une compétence exercée au plus haut niveau de beaucoup de grandes sociétés, il devient de plus en plus difficile de savoir si le vocable « les affaires » désigne les scandales financiers ou l’activité économique en tant que telle.
– On n’envahit pas un pays : on applique un « devoir d’ingérence (humanitaire) » à son égard.
– La guerre qui s’ensuivra produira son cortège de destructions et de morts, que le bon goût nous suggère de nommer « dommages collatéraux ».
– Plus besoin de parler d’un contrôle régulier d’une entreprise par ses actionnaires, il suffit qu’une « bonne gouvernance » s’exerce.
– Pour en finir avec la prévention et renforcer la répression, il convient d’en appeler à une « politique sécuritaire ».
– Pour pérenniser le marché scolaire et ses inégalités, il y a lieu d’éructer : « liberté de choix pour l’école de son enfant ! » (garantie bien sûr par la Constitution)..
– etc.