Le prix du privilège …

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Le 30 novembre approche. A cette date, pour la première fois le nouveau dispositif du décret inscription entrera en vigueur. Plus que probablement, un certain nombre d’établissements seront pris d’assaut. Plus que probablement encore, il se trouvera quelques âmes bien pensantes pour mettre cette cohue relative à charge du nouveau décret coupable aux yeux de certains de tous les maux de la terre.

Et pourtant ces difficultés ne seront que le révélateur de maux plus profonds. Ils ont pour noms : inégalités, privilèges, passe-droits.

Les murs d’une école ne sont pas extensibles. S’ils peuvent accueillir 500 élèves aujourd’hui, il en sera de même demain y compris dans certains établissements courtisés. Alors qu’est-ce qui justifie cette hargne contre un décret qui n’en peut mais ? Le vrai problème est incontestablement que l’objectif du décret vise à ce que ce ne soit plus tout à fait les mêmes noms que l’on trouve dans les listes d’inscriptions. D’une régulation d’apparatchiks introduits, l’ambition est de passer à un choix fondé sur la diligence.
Si le décret fonctionne bien, les priorités de classe pour ne pas dire de caste feront place à un choix fondé sur le jour, l’heure voire la minute d’introduction de la demande. Ce n’est certes pas idéal, c’est moins grave.

Le paradoxe, c’est que les bénéficiaires du nouveau système n’attribueront au décret nul mérite car ils entretiendront peut-être l’illusion qu’ils auraient de toute façon été choisis. Par contre les candidats évincés feront porter à ce texte tout le poids de leur perte de privilège.
Encore tout ceci suppose une vision bien optimiste, celle où les favorisés d’hier n’auront pas obtenu d’une manière plus insidieuse encore le maintien d’avantages pour le futur. Pour cela, tous les moyens seront bons : fraudes, faux, passe-droits, combines personnelles tout en vue de garantir un traitement préférentiel que l’on estime être dû de plein droit.

Mais où est donc passée notre école qui se voulait outil de promotion pour tous ?
Tout ce qui risque de se passer les jours prochains est révélateur d’un mal plus profond : l’inégalité d’accès au savoir selon les groupes sociaux. Cela nous était révélé depuis longtemps par les statistiques, c’est aujourd’hui démontré aux yeux de tous par la longueur des files s’étalant devant certaines portes d’établissements. Il est des écoles réservées à des castes qui entendent bien maintenir ce droit y compris par le mensonge et la manipulation.
Certains faits ne sont pas neufs ; nombreuses sont les procédures qui tentent à éviter la mixité sociale. Elles peuvent être financières : certains établissements pratiquent de manière plus ou moins voilée la perception d’un minerval déguisé qui a un double conséquence : d’une part éloigner ceux qui ne peuvent payer et d’autre part garantir un petit monde homogène et sélectionné. Plus graves encore, certaines procédures d’éloignement peuvent être psychologiques; s’y mêlent alors mépris et humiliations à l’occasion notamment des refus hautains, dédaigneux ou pire, paternalistes consécutifs à une lecture hâtive d’un bulletin .

Notre société belge francophone n’est pas seule à vivre ces difficultés face à la dualité. La France a tenté un autre processus, plus contraignant encore qui contraint à inscrire son enfant dans l’établissement le plus proche de son domicile. Le résultat ne fut pas tout à fait celui escompté : des domiciles fictifs ont été enregistrés à proximité des établissements de renom, le prix de l’immobilier y a crû plus que partout ailleurs.
Alors , faut-il laisser tomber les bras, faut-il tomber dans le fatalisme ? Certes non ; une telle attitude serait indigne pour tous ceux qui, militants associatifs, hommes politiques d’horizons divers, syndicalistes de toutes confessions, doivent continuer à lutter pour une autre école construite sur des valeurs progressistes.

Les moyens investis dans l’école doivent viser un processus d’égalité entre tous. Il n’est pas admissible que certains utilisent ces moyens qu’ils complètent de leurs propres deniers pour entretenir un modèle de sélection sociale. Le projet a incontestablement perdu de ses qualités premières par l’action de certains « lobbys » qui à force d’exceptions l’ont dévalué. N’est-il paradoxal de constater que ce sont les mêmes acteurs négatifs qui, aujourd’hui entendent dénaturer un projet généreux. ? Au-delà des gargarismes, il est manifestement des institutions qui n’acceptent le concept d’égalité qu’avec la volonté de le contourner.

Bien sûr le décret « inscriptions » ne va pas tout résoudre, il n’est qu’un pas dans la bonne direction. Il s’insère dans un processus plus vaste de reconstruction de l’institution scolaire mise à mal par la paupérisation des années nonante. Il est une des branches, insuffisante à elle seule , du « Contrat pour l’école » .Il implique la réappropriation de leur métier par les enseignants y compris contre les « gourous » de la pédagogie, contre les P.O. et leurs sbires dont la réflexion myope se confine au nombre des inscriptions dans un créneau social ciblé..
On n’éduquera pas à la liberté, à l’autonomie, aux valeurs de l ‘égalité dans un monde scolaire ou la liberté est celle des seuls employeurs, l’autonomie l’apanage de quelques penseurs et l’égalité un mythe pour cours philosophiques.
La pente est rude à remonter et les problèmes ne sont pas seulement financiers. Reconstruire l’école, c’est le faire avec un but : une société plus juste, plus respectueuse des faibles.
C’est y mettre des moyens collectifs pour compenser les faiblesses. C’est enfin convaincre nos populations que le bonheur et l’épanouissement de chacun crée le bien-être de tous.

Pour les progressistes, l’enjeu aujourd’hui n’est-il pas de construire et de s’entendre autour d’un grand projet pour l’Ecole, un projet qui s’inscrive dans la durée. Un projet imprégné d’une idéologie latente forte, un projet crédible, un projet rassembleur de toute la gauche et dépassant les clivages – et nombreux sont ceux hérités du 20ème siècle – dont la droite se nourrit.
Après la décennie de désinvestissements des années 90, après un projet de contrat stratégique qui n’a pu décoller – mais dont la texture constituait un véritable premier grand projet depuis l’introduction du rénové dans les années 70 -, la gauche saura-t-elle hisser la voile et déterminer le cap vers une école plus juste et plus égalitaire ? Ou laissera-t-elle les sirènes de l’Europe libérale revenir et s’installer peu à peu au gouvernail ? Que sonne l’heure des forces de gauche, de la rose au réséda, pour cette école plus juste et plus égalitaire !

Régis DOHOGNE,
ancien secrétaire général CSC-Enseignement

Prosper BOULANGE,
secrétaire général CSC-Enseignement

Michel VRANCHEN,
Président CGSP-Enseignement

2 COMMENTS

  1. Le privilège d’être inscrit au parti…
    Pour ma part, je suis simplement zélateur des libertés individuelles.

    Et je pense que penser différemment de vous ne fait pas de moi un être à écarter. Je ne suis pas inscrit au parti, ne suis pas syndiqué mais suis rempli de principes et respectueux des différences culturelles, sociales, ethniques.

    C’est cela qui fait la richesse du monde, pas l’uniformité…

    Faire le bonheur des personnes sans les consulter, ne convient pas à un démocrate du 21e siècle…

    • Le privilège d’être inscrit au parti…
      «Pour ma part, je suis simplement zélateur des libertés individuelles.
      »

      …Comme celle de ne jamais signer les messages que vous laissez traîner un peu partout sur ce site. Zélateur, mais pas téméraire !

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