Coup d’arrêt au marketing scolaire

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« L’affaire ING » a bénéficié dernièrement d’une couverture médiatique conséquente (Le Soir, Vers l’avenir, Het Nieuwsblad, RTBF, RTL, Bruxelles-Capitale) qui montre ce qu’a de scandaleux le marketing qu’organise cette banque envers les écoles. Témoignage de Jorge Rozada, directeur d’une école fondamentale bruxelloise et mise en perspective de Bernard Legros, militant à RAP et à l’Aped.

Les petits poissons que sont nos élèves de 10-12 ans sont bien tentants pour les requins de la finance. Petit poisson deviendra grand. Les statistiques nous montrent que s’il a été pêché tôt, il restera probablement toute sa vie dans la banque qui l’aura capturé en premier. Après avoir vu sur Internet la publicité pour le jeu « Le compte est bon » proposé par ING et avoir complété un bon d’inscription électronique, je reçus un premier message m’annonçant :

« Nous vous remercions d’ores et déjà de votre intérêt et de votre inscription à notre projet pédagogique « Le compte est bon »… Comme vous le savez, vous pouvez obtenir votre tableau de jeu (affiche) en vous rendant dans l’agence ING indiquée sur votre formulaire d’inscription à partir de 10 jours après votre inscription. Vous pouvez également télécharger vos documents de travail grâce aux codes suivants. Lors de votre passage à l’agence ING, pour y retirer votre tableau de jeu, vous pouvez éventuellement convenir avec un collaborateur de l’agence ING d’une visite de la banque avec votre classe. »

Remarquons que seul le tableau de jeu sera fourni par la banque, les cartes, les pions et le règlement devront être téléchargés et imprimés aux frais de l’école. Il est directement question d’une visite d’agence ING par les enfants. La banque utilise ces jolis mots qui sonnent si bien, à savoir : projet pédagogique.

Je pris donc rendez-vous et me rendis dans l’agence indiquée. Dans notre école, nous avons l’habitude d’inviter des personnes venant nous parler de leur profession. Nous avons eu l’honneur d’inviter des journalistes, des avocats, des médecins, des agents de police, des chefs cuisiniers… Je m’étais imaginé la visite d’un banquier habillé en costume cravate et expliquant aux enfants ce qu’est une banque, avec ses comptes d’épargne, ses guichets, le principe du taux d’intérêt… Je m’étais même dit que nous pourrions en profiter pour expliquer les dangers du surendettement, qu’il vaut mieux épargner plutôt que de recourir à de nombreux emprunts, etc. Nous aurions alors pu constater qu’un produit acheté à crédit revient plus cher que payé au comptant. Les enfants auraient pu demander à ce banquier s’il arrive que l’argent placé par leurs parents soit utilisé dans le but de financer des usines d’armements. Bref, nous aurions pu faire de la pédagogie.

Après quelques minutes de conversation dans cette agence, j’ai compris que j’avais été fort naïf. Ce banquier me proposait de venir à l’école pour pouvoir présenter sa banque aux enfants, sans cacher qu’il s’agissait bien là d’une démarche avant tout publicitaire. Il me proposa aussi d’ouvrir des comptes d’épargne pour financer nos classes de dépaysement ou tout autre. Lorsque je lui demandai s’il s’agissait bien d’un compte ouvert par l’école sur lequel chaque enfant dépose son épargne avant ces classes de dépaysement, ce cher banquier me réexpliqua plus lentement (se disant que j’étais peut-être un peu simplet) qu’il fallait que l’école arrive à convaincre les parents d’ouvrir ce compte au nom de leur enfant et que l’école serait rémunérée par compte ouvert. Une manne potentielle nous était offerte en échange de l’âme de notre école. En effet, les parents qui ont confiance en l’institution scolaire seraient plus enclins à accepter cette proposition en se disant que, « si l’école le propose… ». À ce moment, j’imaginais un homme-sandwich arrivant en orange et distribuant ses gadgets aux enfants en les incitant à ouvrir des comptes chez ING. De la pub, que de la pub. Aucune suite ne fut donnée de ma part à cette campagne publicitaire.

Par un heureux concours de circonstances, ces pratiques plus que douteuses ont été médiatisées et j’en ai profité pour saisir la toute nouvelle commission « article 41 du pacte scolaire ». Cet article stipule clairement que les activités commerciales sont interdites dans les écoles. Cette commission (mise en place 48 ans après le pacte scolaire datant de 1959 !) sera chargée de veiller au respect de la loi. Lorsque le premier article paru dans le journal Le Soir du 15 mars 2007, ING a réagi en expliquant qu’il s’agissait là de l’initiative d’une agence. D’où une agence sortirait-elle de pareilles sommes? Dans le journal flamand Het Nieuwsblad du samedi 17 mars, le ton change et la banque nie purement et simplement que de pareilles propositions aient pu être faites. À quand le procès pour diffamation ?

ING serait donc une banque parfaitement désintéressée, prête à dépenser de l’argent et du temps dans ce « projet pédagogique » Après avoir entendu ça, je ne comprends pas comment ses actionnaires n’ont pas revendu illico presto leurs actions placées dans cette société philanthropique ! Le cas d’ING est un bon exemple d’intrusion publicitaire à l’école. Il y a d’autres multinationales qui font le forcing dans nos écoles en proposant des jeux « pédagogiques », des brosses à dents, des échantillons de marques, etc. Ce genre de pratiques est inacceptable et doit être combattu.

J’invite chacun à réagir s’il est le témoin d’une quelconque intrusion publicitaire dans l’école où il exerce. Les parents ont aussi leur mot à dire et ne doivent pas accepter de trouver la moindre publicité dans le cartable de leurs enfants. Accepter ne serait-ce que le financement de bonnets de piscine par une banque (cf. infra) revient à accepter la marchandisation de notre enseignement. Soyons nombreux à saisir cette commission pour que nos écoles restent des lieux où les enfants puissent s’épanouir à l’abri de ces agressions publicitaires.

Nos écoles publiques doivent être financées par de l’argent public sans la moindre intervention du secteur privé.

Jorge Rozada

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À contre-courant des multiples réactions indignées suscitées par « l’affaire ING », le directeur d’une école bruxelloise vient de revendiquer le droit de faire sponsoriser son établissement par le privé (cf. Le Soir du 19 mars). De surcroît, il reconnaît qu’il s’agit de publicité et étale complaisamment ses « avantages » : pour chaque compte ouvert, ING offre à l’école un bonnet de bain (!), intervient financièrement pour les journaux de classe et les cadeaux d’anniversaire ! Cela montre jusqu’où le pragmatisme et le cynisme peuvent aller en ces temps de disette budgétaire. Que ce directeur, comme tant d’autres, ait à faire face à des difficultés matérielles, nous n’en doutons pas ; mais M. Guy Evenepoel ferait mieux de consacrer son énergie et sa créativité à militer pour un indispensable refinancement de l’enseignement, au lieu de prostituer son école aux intérêts marchands, fussent-ils prétendument « win win ». Le cas échéant, nous sommes d’ailleurs tout disposés à l’accueillir à l’APED …

Rappelons avec force qu’aucune entreprise privée ne devrait se mêler d’aucune manière d’établir des « projets scolaires et éducatifs », puisque les activités commerciales dans les écoles sont interdites par la loi belge (article 41 du Pacte scolaire de 1959). Quand les entreprises vont-elles cesser de faire semblant de ne pas le savoir ? On peut espérer que la nouvelle commission, chargée par le ministère de l’Enseignement de faire respecter cet article 41, va leur dessiller les yeux, mettre un coup d’arrêt à leurs visées mercantiles et clarifier davantage la situation sur le plan juridique. Celui-ci n’est cependant pas la seule raison. Nous sommes contre les activités commerciales à l’école pas seulement parce qu’elles sont interdites, mais parce qu’elles pervertissent l’école en y faisant entrer des valeurs de compétition, d’individualisme, de fétichisme de l’objet, de (sur)consommation, contraires à celles que nous souhaitons promouvoir chez les jeunes générations : la critique des relations sociales et économiques existantes, la solidarité, le respect de l’environnement, la sobriété énergétique, etc.

Revenons en arrière. ING lançait, il y a quelques mois, le jeu « Le compte est bon » à destination des écoliers du fondamental. À ce moment-là, le collectif Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) et l’Appel Pour une École Démocratique (APED) avaient déjà dénoncé la manœuvre dans un communiqué de presse. Sous couvert pédagogique, ses promoteurs avaient pour objectif de former les enfants à la manipulation et au goût de l’argent. Au passage, la banque ne manquait pas de « faire sa pub ». Sur la table de jeu figurent son logo et sa mention, ainsi que des images d’une banque, d’un coffre-fort, de pièces de monnaie et d’une carte bancaire.

Le but de cette opération était donc double : primo, un but directement commercial, qui est de prospecter un nouveau marché de futurs clients. En effet, les statistiques montrent que le taux de fidélité à une institution bancaire tout au long de la vie est très élevé quand les clients ont été captés tôt. Secundo, un but idéologique, qui est d’habituer les enfants aux exigences de l’économie capitaliste de marché, d’en faire des consommateurs enthousiastes et disciplinés. Dans ce cas-ci, on assiste même à une « vénalisation » de l’argent. De simple moyen d’échange, les financiers veulent en faire quelque chose qui doit absolument fructifier, croître, occuper une place centrale dans l’existence en devenant au moins un hobby, si possible une passion. À l’heure de l’urgence des changements climatiques, de la crise énergétique qui se profile, du creusement des inégalités planétaires et des tensions géostratégiques, n’y a-t-il pas d’autres priorités plus altruistes, orientées vers la sauvegarde de la collectivité humaine ? Le salut individuel est un leurre, encore plus lorsqu’il prétend passer par l’accumulation d’argent.

Bernard Legros

5 COMMENTS

  1. > Coup d’arrêt au marketing scolaire
    Hello,

    je tombe un peu par hasard sur votre Article. Dans ma commune, il y a 1 an et demi, ING est venu installé un stand gonflable dans la cour de l’école primaire. Il y a eu un joli lancé de ballons et les gosses devaient répondre à des questions sur des comptes jeunes… Ca m’a vraiment énervé. Je suis allé trouver les types d’ING avec une camera DV, ils étaient pathétiques mais ne comprenaient pas pourquoi je ne trouvais pas ca normal. Le directeur de l’école avait donné son autorisation…

    (pour l’anecdote, l’école communale a dû demander l’autorisation à l’aéroport de Bierset vu sa relative proximité… Quand le type d’ING a rassemblé les gosses pour assister au bel envol des ballons, il a oublié de réfléchir. Au dessus de lui il y avait un immense arbre et les ballons sont restés coincé dans les branches. La-dessus, des gosses râlaient et le type à expliqué – et c’est la que je ris doucement – « ahh ca, ceux pour qui les ballons sont restés coincés, ils ne gagneront rien… ». Belle image, joli parallele. :)) J’ai un bout de ce pathétique évenement en DV (on ne sait jamais, avec les proces en diffamations…).

    yves lespagnard

    • > Coup d’arrêt au marketing scolaire
      ING aime décidément les lancés de ballons.
      A la fête du printemps de Linkebeek ils ont aussi proposé aux enfants ce genre d’activités.
      Mon fils à participé à ce lancé et devinez quoi???

      Deux jours plus tard, je reçu un coup de fil de l’agence ING de Linkebeek me propsant d’ouvrir un compte au nom de mon fils.
      Ces excréments avaient recopié les adresses pour les utiliser ensuite.

  2. Coup d’arrêt au marketing scolaire
    En réponse à l’article de Jorge Rozada, il est scandaleux que l’on cherche à commercialiser l’institution scolaire. L’école est un lieu d’apprentissage et doit rester sain pour le bon développement de nos enfants. abri piscine

  3. Protégeons nos enfants de la pression marketing
    Il en va effectivement du bonheur de nos enfants de les tenir à l’écart de cette pression médiatique permanente. Nous devons en tant que parent faire en sorte que leur innocence soit respectée du lit jusqu’au bord de leur piscine.

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