Aux urnes citoyens

Facebooktwittermail

Jean-Pierre Charles répond à l’article de François Dubet dans Le Monde du 23.01.07, intitulé « pour en finir avec l’élitisme scolaire ».

Dès le titre, le ton est donné. Le lecteur va être entraîné, « nolens, volens » dans la projection de rideaux de fumée hypnotiques aussi transparents que des nuages d’hypérite s’abattant sur une tranchée de 14/18. Il s’agit bien de ceux d’une idéologie qui n’en finit pas de nier un échec qui a contribué à détruire l’Ecole , noyée dans un galimatias « dangereux » qui prend ses désirs pour des réalités.

En effet, de prime abord au lieu d’énoncer « en finir avec l’élitisme scolaire », François Dubet aurait été mieux inspiré d’écrire : en finir avec l’illettrisme scolaire, dans le cas présent, les faits le fondent, nous sommes bien dans le réel, dans le titre de Dubet, nous errons dans la supputation.

Suivant la (pseudo) rigoureuse démonstration de l’intellectuel, il apparaît nécessaire de démonter cette accumulation d’illusions (illusions, pour reprendre le titre qu’il donne à ses trois premiers points), qui ne sont à tout prendre, que celles de l’auteur.

La dénonciation de la première illusion prétendument dissipée ici : « le salut est dans le passé » prend corps sur une pensée réductrice : comme s’il n’existait de salut pour l’école qu’entre le passé (dénoncé ici), et l’actuel, sur lequel ne s’exerce curieusement aucune critique. La seule flèche vise en effet les contempteurs du laxisme et des délires pédagogiques, auxquels, à- contrario de l’auteur, on se gardera bien de mettre des guillemets. Car François Dubet, directeur d’études pourtant, ignore ou ne veut pas voir, de fait, l’effondrement des savoirs, et déjà des savoirs minima, comme ceux de savoir lire, écrire, compter. Comment en effet prétendre faire s’exercer la faculté de penser sans support de réflexion, sans contenu donc, comme nous y invitent les très réels délires pédagogistes ?

Deuxième illusion dont se berce l’auteur de l’article : la dénonciation de : « il n’est d’autre justice que l’égalité des chances », égalité des chances qui n’a jamais été qu’un slogan destiné à maintenir ce qui est en place, à laisser perdurer la dégradation continue. François Dubet a certes raison d’avancer que les soutiens par parrainage entre grandes écoles et établissements difficiles ne suffiront pas à atteindre cette mythique égalité des chances. Mais là où il bute toujours sur le même type d’écueil, c’est quand il évoque en âme sensible le « sort (qui sera) réservé à la masse des élèves les moins favorisés et les plus faibles », en omettant de constater que les résultats scolaires ne précèdent jamais le travail( valeur en crise, on peut en convenir), et ne peuvent qu’en découler, et de mettre l’accent sur l’indispensable exigence scolaire vis à vis des enseignés et de leur parentèle ; le travail reste « le fonds qui manque le moins » .

François Dubet a raison de tordre le cou à une utopie perverse dans la troisième illusion qu’il dénonce : « tout est affaire de moyens ». Il a raison, pas forcément pour les raisons qu’il donne, mais pour une raison toute simple. C’est que les efforts nécessaires à fournir par les fonctionnaires de l’Education Nationale, le seront d’autant plus que les concernés s’extrairont de la croyance naïve qu’ils ne seront performants qu’à partir du moment où ils obtiendront les moyens demandés, comme ne cessent de leur marteler certains syndicats enseignants. C’est-à-dire quand ils seront en nombre suffisant, suffisant à qui, suffisant à quoi, sur quels critères, ce qui bien évidemment n’arrivera jamais, par définition. Et ceci, tout le monde le sait, ce qui n’empêche de faire semblant et de gaspiller des énergies dans des confrontations démagogiques de mauvaise foi avec l’institution, énergies tellement utiles dans l’enseignement lui-même : retroussons les manches camarades !

Cela dit, au-delà de cette incertaine dénonciation, François Dubet se perd en conjectures et en idées fausses : ainsi « les programmes (du secondaire ?) construits pour des élèves qui feront de longues études » sont depuis longtemps bien allégés dans leurs contenus. Comment ne l’ignorerait-il pas, rivé sur son obsession compulsive :« ce n’est pas en rêvant d’un retour au passé ».Il méconnaît tout autant le niveau d’exigence de l’école en avançant « il est probablement plus difficile d’attendre moins de l’école… » quand on sait que la médiocrité actuelle du niveau d’exigence a déjà atteint un point critique ?

Mais François Dubet ne peut pas se tromper tout le temps. Il a pleinement raison d’avancer que les désordres et violences scolaires signifient bien autre chose qu’un simple problème scolaire et de maintien de l’ordre. Il place bien le débat où il doit l’être, au niveau de la nation toute entière, la fonction d’éducation de l’école (à rappeler tout de même la fonction d’éducation des familles auxquelles l’Ecole n’a pas mission de se substituer)… «ne peut s’accomplir que si les élèves et les familles sont convaincues que l’école est juste et nécessaire ».

Mais comment fait donc François Dubet pour retomber à chaque fois dans l’erreur la plus rudimentaire? Se lançant à l’assaut « des crispations sur de vieilles recettes » pour dire « qu’une page de l’histoire scolaire se tourne et que la défense des principes républicains appelle plus le changement et l’innovation », il se garde bien de nous dire, au-delà de principes républicains qu’on aurait aimé voir énumérés, de quels changements et de quelles innovations il peut s’agir. Les deux termes avec leur fort pouvoir évocateur assorti d’un contenu indigent, nous sont rappelés depuis trente ans par les amis de François Dubet, à savoir certains sociologues et la cohorte des pédagogistes, dans une fuite en avant sans fin, comme si Hitler, c’était mieux que la république de Weimar, parce que c’était nouveau : les lendemains qui chantent, en somme.

François Dubet, au bout du compte, n’apporte rien de nouveau dans le débat sur l’école : son propos bien inutile rajoute encore à la confusion ambiante. Il apparaît bien carré dans une vision dichotomique, où la valeur mythique « progrès – avenir » s’opposerait à une valeur passéiste, qu’il dénonce justement. Tout compte fait, le bilan est bien pauvre. L’auteur n’a pas la hardiesse de sortir de cette double contrainte pour intégrer à la fois l’exigence du passé, une qualité en soi, et le traitement décomplexé des problèmes de l’école réellement posés, enfin acceptés et politiquement pris en charge, dans le but d’une refondation de l’école. Cette dernière ne prenant plus en charge tous les maux sociaux et étant remise à sa place de formatrice intellectuelle, corporelle, civique et éthique de la jeune génération, elle réintègre son rôle. Si elle n’a pas vocation à fournir des emplois, du moins remplira t-elle au mieux sa mission en donnant, au plus haut possible et à chacun, un solide et transférable outillage intellectuel et mental de base, offrant ainsi à chacun les facultés d’adaptation bien utiles dans un monde en mouvement.

Il ne s’agit donc pas, hélas pour François Dubet, de se cantonner dans l’idée, au sujet de l’école, de ne pas ignorer « les changements apparus dans la société et dans l’école », mais de leur donner du sens, pour, au besoin, s’en affranchir partiellement au lieu de les subir intégralement. Au-delà de cette paresse intellectuelle qui corsète encore bien des esprits réduits à lâcher la proie (l’école d’antan), pour l’ombre (la soumission passive à la « modernité ») il existe bien un vaste chantier à ouvrir sur lequel sont attendus les candidats, dont François Dubet dit bien que « les grandes déclarations ne laissent guère apparaître de projets véritables et de perspectives à long terme ». Espérons qu’ils adviennent!