7. Retrouver un équilibre dans les pratiques

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On lit bien entre vos lignes une critique de l’approche par les compétences. Cette pédagogie n’est-elle pourtant pas plus progressiste que les pédagogies traditionnelles ?
Vous parlez de « pratiques respectueuses du rapport au savoir des enfants du peuple »: quelle(s) pratique(s) par exemple ?
Et si nous avons un projet spécifique et que nous voulons le défendre (par exemple, école Freinet ou Decroly) ?
Quelle importance accordez-vous à la formation et au recyclage des enseignants ?

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Ce que dit le texte du programme de l’Aped :

Retrouver un équilibre dans les pratiques

Pour ce qui est des pratiques pédagogiques, nous voulons surtout éviter les écueils du dogmatisme (une seule méthode serait privilégiée) et du relativisme (toutes les méthodes se vaudraient). Nous préconisons une large autonomie pédagogique pour les enseignants, à condition que les objectifs d’apprentissage soient strictement définis et contrôlés.
Nous observons néanmoins que certaines pratiques « marchent » mieux que d’autres, permettent mieux d’atteindre les objectifs fixés, et/ou sont plus respectueuses du rapport au savoir des enfants d’origine populaire. Les sciences pédagogiques ont à cet égard une grande importance, comme la connaissance des différentes caractéristiques psychologiques des enfants. Il faut également privilégier les pédagogies qui donnent du sens aux apprentissages, celles qui assurent l’accès à la compréhension et pas uniquement à la mémorisation ou au savoir-faire. C’est sans doute en intégrant dans nos pratiques des approches variées que nous améliorerons notre enseignement sans tomber dans le piège des trajectoires individualisées.

Nous ne voulons pas imposer à toute force ces pratiques, mais bien les valoriser et les diffuser (sites internet, livres, formations). Faciliter et favoriser les échanges prend ici tout son sens, car trop d’enseignants réalisent les mêmes outils, emploient la même documentation chacun dans leur coin.

Nous n’insisterons jamais assez sur la nécessité d’une formation des enseignants – initiale et continuée – solide et en cohérence avec les quelques principes que nous venons d’énoncer.

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On lit bien entre vos lignes une critique de l’approche par les compétences. Cette pédagogie n’est-elle pourtant pas plus progressiste que les pédagogies traditionnelles et conservatrices (cours ex-cathedra, primauté des savoirs …) ?

Au niveau des principes énoncés par ses pères, la pédagogie des compétences présente en effet quelques points de similitude avec les pédagogies progressistes, les pédagogies constructivistes, pour lesquelles l’accès réel au savoir, c’est-à-dire l’accès à la compréhension et au sens, nécessite de faire participer l’apprenant au processus de construction des savoirs. La quête de sens, la volonté de mettre les élèves “en situation de recherche” sur des “chantiers de problèmes”, est commune aux pédagogies constructivistes et aux pédagogies “par compétences”. Mais la ressemblance s’arrête là. Dans l’approche par compétences, l’accès au savoir n’est plus le but de la démarche pédagogique, mais seulement un moyen pour atteindre au but réel: la compétence. Il s’agit là d’une dérive “instrumentaliste” directement inspirée par les attentes des employeurs.

Pourtant, la critique principale à l’égard de l’approche par compétences porte moins sur ces questions théoriques que sur la façon dont cette doctrine pédagogique a été mise en application, particulièrement en Belgique francophone, et qui peut se résumer ainsi : dogmatisme pédagogique et dérégulation des contenus cognitifs. Ce qui aurait dû être un souffle d’innovation et d’expérimentation s’est transformé en une application, bureaucratique et ennuyeuse, de recettes méthodologiques rigides. Les nouveaux programmes sont d’une lourdeur incroyable sur le plan des directives pédagogiques. En revanche, ils créent le flou artistique quant aux contenus à enseigner. Ils encouragent ainsi la dualisation d’un système, où les écoles d’élite et les écoles “poubelles” ont beau jeu d’interpréter les programmes à leur façon, c’est-à-dire en adaptant leur contenu au “destin social” de leur public.

Enfin, il faut se garder de traiter sans discernement des “pédagogies traditionnelles” comme ayant toutes un caractère “conservateur”. Tous les cours ex-cathedra ne sont pas à rejeter. Chacun d’entre nous a le souvenir d’un professeur d’histoire qui était un véritable conteur, sachant accrocher et passionner son public, d’un professeur de français qui nous plongeait véritablement dans la littérature, d’un professeur de géographie qui nous faisait faire, par ses paroles, de plus beaux voyages virtuels que toutes les vidéos du monde. De même que nous avons tous connu un professeur de mathématique ou de latin qui parvenait à nous faire détester sa discipline dès les premières minutes de cours.

Comme le dit Marcel Crahay: « il nous paraît urgent de plaider en faveur d’une restauration du disciplinaire. (…) Le concept (de compétence) ne résiste pas à une analyse scientifique sérieuse. (…) Car, mis à part l’écoute, la parole, la lecture et peut-être l’écriture, existe-t-il des capacités dont l’adéquation traverse la quasi-totalité des situations ? »

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Vous parlez de « pratiques respectueuses du rapport au savoir des enfants du peuple »: quelle(s) pratique(s) par exemple ?

Les enfants des milieux populaires ont, envers l’éducation, une autre attitude que ceux des milieux intellectuels. Par exemple, leur conception de l’instruction est plus utilitariste et instrumentale (l’instruction comme outil). L’acquisition de connaissances n’est pas un but en soi, mais doit servir à résoudre certains problèmes dont ils perçoivent le sens : obtenir un diplôme permettant l’accès à certaines fonctions, etc. Cela a des conséquences sur la manière dont les contenus d’apprentissage sont offerts.
Par exemple, vu leur milieu social, où la plupart des membres n’ont reçu qu’une instruction limitée, ces enfants entretiennent des ambitions trop modestes pour la poursuite de leurs études. Et ils sont loin de soupçonner leurs propres possibilités d’apprentissage. C’est là que l’école peut jouer un rôle positif et stimulant.

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Et si nous avons un projet spécifique et que nous voulons le défendre (par exemple, école Freinet ou Decroly) ?

Tant mieux ! Si la majorité des enseignants d’un établissement choisit de se lancer dans une telle expérience, qu’ils le fassent ! Du moment que cela s’accompagne d’une réelle information aux parents et du moment, bien entendu, que les objectifs des programmes, vérifiés par les épreuves centralisées, soient respectés. Nous voulons que les écoles Freinet, et l’innovation pédagogique en général, ne soient plus confinées dans quelques établissements fréquentés par la petite bourgeoisie intellectuelle, mais qu’elles s’implantent comme pratiques à généraliser dans toutes les écoles.

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Quelle importance accordez-vous à la formation et au recyclage des enseignants ?

A nos yeux, la formation, initiale et continuée, est primordiale.
La réforme de la formation des enseignants sera la clé de voûte déterminante du succès de l’école commune. La formation continuée, comme celle des futurs enseignants, devra être améliorée autour de toutes les questions importantes qui sont à l’ordre du jour dans notre programme : la mixité sociale dans la composition des classes, le tronc commun jusqu’à 16 ans, la formation générale et polytechnique, l’affectation des élèves aux écoles, la fusion des réseaux, la responsabilité d’aider les enfants à réussir, etc. La formation des enseignants et des futurs enseignants à tous ces aspects demandera du temps et de l’attention. En outre, il faudra accorder, dans la formation académique, une plus grande place à un travail d’échange et de réflexion, pour favoriser l’acquisition d’expérience pratique. En Flandre, une réforme de la formation des enseignants est prévue, qui donne à la partie pratique la valeur d’une demie année scolaire. Cette réforme irait dans la bonne direction si elle était suffisamment financée.