En finir avec les écoles ghettos ou oser le débat sur la « liberté de choix » de l’école

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La neuvième priorité du Contrat pour l’Ecole du gouvernement de la Communauté française compte s’attaquer à un mal structurel de notre système scolaire : la ghettoïsation des publics. À ce jour, quelques mesures ont été annoncées pour la rentrée 2007, comme l’interdiction de changer d’école en cours de cycle ou encore la tenue d’un registre des demandes d’inscription pour chaque établissement.

C’est loin d’être suffisant, voire contre-productif. Car les constats sont nombreux qui démontrent ce qui suit : les inégalités sociales présentes à l’entrée de l’école sont actuellement renforcées par un système scolaire organisant une dualisation préjudiciable aux plus démunis. C’est contraire aux droits de l’enfant et donc inacceptable car l’Ecole doit permettre à chacun d’accéder aux savoirs et compétences qui donnent les clés pour comprendre et agir dans un monde de plus en plus complexe. Une des clés dans ce combat contre les inégalités est la lutte contre la dualisation des établissements. Notre système scolaire s’est construit autour de la‘liberté’ de l’offre des établissements et de la demande des parents. Actuellement, de plus en plus, le choix se fait essentiellement en fonction d’arguments davantage ‘marchands’.

Du côté de la demande, la liberté du choix d’établissement prévaut et est fortement ancrée dans notre culture. Il importe cependant d’en mesurer toutes les conséquences, car tous les individus ne sont pas égaux devant elle. Pour pouvoir exercer ce droit fondamental, il faut disposer de toutes les ressources nécessaires. Ce n’est pas le cas pour les familles défavorisées : elles sont largement démunies par rapport aux informations, aux codes culturels et sociaux dont disposent les familles des classes moyennes et supérieures. Ces dernières opèrent des choix stratégiques en vue d’un positionnement social futur. Il n’est dès lors pas étonnant qu’il faille s’inscrire longtemps à l’avance dans certaines ‘bonnes’ écoles. Cette liberté de la demande est aussi à l’origine de la concurrence que les écoles se livrent pour s’attirer un certain type de public, concurrence qui renforce la ségrégation entre établissements et dès lors entre élèves.

Du côté de l’offre, les écoles assurent leur financement en fonction des élèves inscrits : il faut assurer une certaine quantité d’élèves pour faire tourner l’établissement, mais c’est également la qualité de ce public qui est en jeu. Il n’est donc pas étonnant que les écoles développent des stratégies ‘marketing’ pour attirer des ‘clients’ mieux pourvus en culture, en argent ou en comportements en adéquation avec leur projet.
Aucun contrôle efficace n’est prévu pour faire en sorte que les écoles accueillent les élèves qui s’y présentent. Ainsi, il nous revient que des établissements exigent un certain pourcentage au CEB, d’autres encore font comprendre de manière à peine déguisée que l’enfant ne ‘correspond’ pas au projet ou à la culture de l’établissement, d’autres encore acceptent des inscriptions prématurées, parfois trois ans à l’avance.

Les considérations qui précèdent ne sont pas que des intuitions. Une étude internationale (PISA 2003) démontre que la Belgique est le plus mauvais élève de la classe quand il s’agit de s’attaquer aux inégalités scolaires. C’est déprimant, mais ça montre en même temps que notre situation n’est pas une fatalité. Une autre étude (La catastrophe scolaire belge, Aped 2004) démontre clairement qu’il existe un lien entre l’efficacité d’un pays à s’attaquer aux inégalités sociales à l’école et la manière dont ce pays régule plus ou moins sévèrement la « liberté de choix ».
Un autre enjeu se situe également en toile de fond de cette problématique : la mixité sociale. L’homogénéisation des publics propre à notre système scolaire se heurte aux idéaux d’une société démocratique et multiculturelle. Seule l’Ecole peut être ce lieu d’apprentissage continu du vivre ensemble, en rassemblant des individus d’origine sociale différente.

Au vu des constats ci-dessus posés, nous estimons nécessaire de transformer les relations entre établissements en adoptant des mesures plus affirmées. On peut imaginer plusieurs méthodes, plus ou moins radicales, pour s’attaquer au problème posé. Nous estimons en tout cas qu’il est pour le moins intéressant de réfléchir aux pistes suivantes :

– Limiter le choix de l’école, à un nombre réduit d’établissements ;
– Limiter le nombre d’élèves par école ; cette mesure aiderait certainement les écoles à diminuer les aléas dus aux inscriptions.
– Imposer une date commune d’inscription à tous les établissements secondaires;  cette mesure serait apparemment d’application dès septembre 2007 ;
– Instaurer une instance externe aux écoles, responsable de la gestion des  inscriptions à la place des établissements, afin de décharger les écoles et les enseignants de cette tâche administrative et de garantir à toutes les familles un traitement égal de leur demande d’inscription ;
– définir des critères permettant de sélectionner les demandes lorsqu’elles sont plus nombreuses que les places offertes par certains établissements. Parmi ceux-ci, outre des critères géographiques et familiaux, un critère de mixité sociale devra être pris en compte ;
– inciter à la mixité sociale en renforçant le système de financement différencié ;
– instaurer un encadrement différencié pour les écoles qui sont en mixité sociale ;
– interdire la publicité pour les écoles.

Catherine Sterck (Lire et Ecrire), Jean-Pierre Coenen (Ligue des Droits de l »Enfant), Jean-Pierre Kerckhofs (Appel Pour une Ecole Démocratique), Philippe Schwarzenberger (Fapeo), Rudy Wattiez (CGé), Joan Lismont (SEL SETCA), Michek Vrancken (CGSP enseignement), Prosper Boulangé (CSC enseignement), Vincent Carette (Professeur – Assistant à l’ULB), Marcel Crahay (Université de Genève)

Membres de la Plate-forme de Lutte contre l’échec scolaire

1 COMMENT

  1. > Réseau unique et libertés individuelles.
    Je partage assez l’analyse de ‘APED sur certains facteurs de reproduction sociale. Notamment l’absence de mixité sociale de certaines écoles. A titre personnel, je n’ai aucune raison de défendre un enseignement privé de quasi service public ;+).

    Je ne suis cependant pas prêt d’adhérer à ces propositions (…)

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