Débat sur la marchandisation de l’éducation

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Le groupe « enseignement » de la coordination D’autres Mondes a pris le 6 mars dernier l’initiative d’organiser une table ronde sur le thème: « Où en est-on avec la marchandisation de l’enseignement ? ». Les conclusions de ce débat ont été relayées au niveau politique, auprès des quatre partis « de gouvernement ».

En introduction au débat, la Coordination D’Autres Mondes, avait invité Nico Hirtt, membre de l’Appel pour une école démocratique, à exposer son point de vue sur la question. Il nous a expliqué la progression de ce mécanisme qui met en péril l’Education.

L’exposé de Nico Hirtt

La marchandisation de l’enseignement est la cause principale des dérégulations
des structures scolaires. Pour comprendre ce processus qui nous conduit tout droit vers une catastrophe pédagogique, Nico Hirtt dresse un tableau des enjeux de ce mécanisme. « La marchandisation est bien plus qu’une simple privatisation, trois autres acceptions viennent s’y inclure. Il faut y entendre une adaptation de l’enseignement aux attentes du marché du travail, une utilisation de l’enseignement qui a pour but de stimuler certains marchés et, enfin, la transformation de l’enseignement en nouveaux marchés. » (Cliquez ici pour le texte complet)

Dans un futur proche, selon Nico Hirtt, une dualisation du marché du travail est fort probable. D’après une étude récente du département fédéral américain de l’emploi, sur trente professions, 30 % concerneront les postes à très haut niveau de qualification et de l’autre côté, 60 à 70 % seront des emplois à très faible niveau de qualification, c’est-à-dire que la formation initiale sera réduite en quelque sorte à ce qu’on apprend dans l’enseignement obligatoire primaire et secondaire. La barrière qui s’installe opposerait une petite part d’ingénieurs par exemple à des gardiens ou des livreurs de pizzas. Dès lors, poursuit Nico Hirtt, quel type de formation initiale serait adaptée à cette évolution du marché du travail ? Les rapports internationaux, notamment de l’OCDE, de la Banque mondiale, du FMI, de la Table Ronde des Industriels, réclament, en matière de contenu d’enseignement, la flexibilité et l’adaptabilité de la future main-d’œuvre. Selon Edith Cresson, ce qui importe, actuellement, n’est plus tant de transmettre des savoirs que de transmettre des compétences. Comme l’explique Nico Hirtt : « Cette approche par les compétences n’est pas totalement à rejeter, c’est la façon dont celle-ci est mise en œuvre. Concrètement, ces dix dernières années, dans l’enseignement primaire et secondaire en Communauté française, force est de constater que cette approche a abouti à deux choses : premièrement à une formidable dérégulation des contenus enseignés qui ouvre la porte à une terrible différenciation entre établissements scolaires. Les programmes sont formulés de manière à ce que l’interprétation d’une école à l’autre, d’un enseignant à l’autre, permette des différences de niveaux de connaissances extrêmement élevées. Deuxièmement, l’introduction des compétences s’est faite, certainement contrairement à ceux qui ont pensé ce type de pédagogie, au détriment de l’accès à un corpus intégré de connaissances, qui constitue un socle de savoirs qui apporte la capacité de comprendre le monde dans lequel on vit. » Cette approche par les compétences n’est, d’après un article de l’observateur de l’OCDE, pas nouvelle. Les employeurs ont les premiers reconnus en elle les facteurs clés du dynamisme et de la flexibilité. Une force de travail dotée de ces compétences est à même de s’adapter continuellement à la demande et à des moyens de production en perpétuelle évolution. Mais cette flexibilité exigée est aussi revendiquée à travers les structures du système de l’enseignement lui-même. Cette volonté de dérégulation croissante de l’éducation se traduit par une décentralisation et une autonomie des établissements scolaires. A cet égard, souligne Nico Hirtt, « la Belgique a le triste privilège de battre tous les records européens en matière de semi-marché scolaire avec son cortège d’écoles d’élite et d’écoles poubelles, ainsi que ses réseaux scolaires concurrents. » Comme l’indique une étude récente de l’APED, ce système d’enseignement dérégulé entraîne des dégâts en terme de non-démocratisation de l’enseignement. Statistiquement, notre pays présente beaucoup plus d’inégalités sociales dans le système éducatif que les pays scandinaves par exemple. Cela s’expliquerait par trois facteurs qui sont : le sous-financement de notre enseignement primaire, l’existence, en Belgique, d’une inégalité due à des sélections précoces -ce qui ne se fait pas dans les pays scandinaves avant seize ans- et, enfin, la totale liberté des parents quant au choix d’établissement. Cette dernière engendre une forte ségrégation sociale, avec des écoles où se rassemblent des enfants d’origine aisée et d’autres écoles où se concentrent des enfants d’origine populaire ou immigrée. Pour conclure ce point, Nico Hirtt appelle les parents, les professeurs et éducateurs à mettre fin à ces marchés scolaires à la belge et à avancer vers un réseau unique d’enseignement qui devrait être public.

Le second aspect de cette marchardisation est l’utilisation de l’enseignement aux fins de stimuler certains marchés. Pourquoi la priorité des Etats est-elle donnée, aujourd’hui, aux nouvelles technologies et non pas au maintien d’un bon encadrement scolaire ? L’explication peut être illustrée par l’ensemble des travaux du sommet de Lisbonne en 2000, entièrement consacré au retard de l’Europe sur les Etats-Unis, le Japon et l’Australie, en matière d’utilisation domestique par les citoyens, des technologies de l’information et de la communication. Les conclusions de ce sommet étaient qu’une généralisation de l’emploi de l’ordinateur à l’école accélère cette utilisation domestique et ainsi stimule l’émergence d’un marché européen des technologies de l’information et de la communication. De même, des statistiques précisaient que 48% de l’achat d’un ordinateur se faisait après qu’un enfant ait appris à l’école à s’en servir. Nous assistons aussi, précise Nico Hirtt, à l’apparition du marketing scolaire. « La Commission européenne recommande l’entrée de la publicité dans les écoles. L’argument soutenu est que des systèmes d’enseignement qui manquent de financements, ne peuvent durablement refuser des offres de bons matériels pédagogiques, provenant de firmes qui ne demandent que cela pour entrer dans les écoles. »

Le dernier aspect porte sur la transformation de l’école en nouveaux marchés lucratifs. Aujourd’hui, explique Nico Hirtt d’après un acte d’un forum Etats-Unis-OCDE en 2002, « on ne dit plus qu’il faut que l’enseignement s’ouvre un peu au marché pour améliorer sa qualité mais on dit qu’il faut que l’enseignement s’ouvre au marché parce que c’est une partie cruciale du marché mondial des services. » Cette recherche de profits concernerait surtout l’enseignement supérieur ainsi que dans une moindre mesure la formation tout au long de la vie, la formation en entreprise, etc.

Dans l’enseignement supérieur, cette privatisation prend toutes sortes de formes : le coût des études est de plus en plus élevé dans les pays les plus « avancés », l’apparition d’universités franchisées privées ou encore la vente d’enseignement à distance via le web qui connaît un grand succès. Internet est, aujourd’hui, un des principaux vecteurs du développement et il stimule l’émergence de ce marché mondial des services éducatifs. Néanmoins, des barrières commerciales freinent ce développement. L’OMC, notamment, exerce une forte pression pour supprimer les diplômes nationaux par exemple. Cela permettrait d’accéder à un mode de certification transnational. Cette demande, montre Nico Hirtt, en rejoint une autre émanant du milieu des employeurs. « Le diplôme, la qualification comme mode de régulation du marché du travail, n’est plus tellement adapté à ce marché instable dans lequel la vitesse de rotation de la main d’œuvre est extrêmement élevée. Les patrons demandent une formation à l’emploi plus souple, plus flexible, qui remplacerait le diplôme par des certificats de compétences. Ceux-ci pourraient répondre de manière plus diversifiée à une demande pointue mais extrêmement variable. Les ECTS dans l’enseignement supérieur sont le résultat des travaux de la Commission européenne pour cette flexibilisation du marché du travail et l’internationalisation du certificat voulue par le processus de Bologne. » Cette commission désire l’harmonisation d’un espace européen d’enseignement supérieur en créant d’abord les conditions d’émergence d’un marché de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire quand les universités les moins performantes en terme de compétition économique auront été balayées, une fois que les processus de fusion auront été réalisés pour obtenir des établissements d’enseignement supérieur européens compétitifs sur le terrain, l’Union européenne, acceptera, ensuite, d’engager la compétition à l’échelle mondiale. Un autre exemple qui illustre cette transformation de l’école en nouveaux marchés lucratifs est la banque mondiale qui recommande, aujourd’hui, aux pays du tiers-monde d’arrêter tout investissement public dans l’enseignement supérieur. Les deux arguments sont qu’il faut donner la priorité à l’alphabétisation de la population et que, grâce à Internet, les universités européennes, américaines, japonaises, australiennes sont déjà en train de s’implanter dans ces pays, soit sous la forme d’universités franchisées, soit, de plus en plus, sous la forme d’offre d’enseignement à distance via internet. Cela signifie, pour la Banque mondiale, que ceux-ci ne sauraient concurrencer la multitude d’offres d’enseignement provenant des pays industrialisés.

Pour conclure, Nico Hirtt explique que, si nous laissons l’évolution en cours se poursuivre, deux grands dangers apparaîtront : premièrement, c’est l’instrumentalisation de l’école au service de la compétition économique. « Celle-ci se réalise à travers la mise en œuvre de l’approche par les compétences, par la dérégulation des systèmes d’enseignement, par la mise en place de structures comme la Commission communautaire des professions et des qualifications, par l’enseignement technique et professionnel. » Mais tout cela nous éloigne, ajoute Nico Hirtt, de la mission principale de l’enseignement qui est l’accès de tous aux connaissances et aux compétences qui permettent de comprendre le monde, d’y agir en citoyen critique et conscient. Ensuite, le second danger est d’aller vers une dualisation plus grande. La dérégulation et la privatisation ne peuvent qu’ouvrir la porte au développement d’écoles d’élite d’un côté et d’écoles poubelles de l’autre, cette réalité, déjà si terrible en Belgique, risque de s’aggraver encore dans les années à venir. « Il y a 22 ans, le pays consacrait 7% de sa richesse nationale à l’enseignement, aujourd’hui, 5,2% de son PIB. La perte est immense et le secteur le plus touché reste peut être l’enseignement primaire. C’est pourquoi, il est urgent de se remobiliser et de demander aux organisations syndicales, en Belgique, de réclamer avec plus de force un refinancement de l’enseignement. »

Les réactions à l’intervention de Nico Hirtt

Malgré l’absence des représentants annoncés de la F.E.F.(Fédération des étudiants Francophones), de la Ligue des Familles, de la Ligue de l’Enseignement et de la FAPEO (Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel), la table ronde de ce six mars n’a guère connu de temps morts.

Les représentants des enseignants, des parents, des étudiants universitaires et d’ATTAC appelés à intervenir et à réagir au propos de Nico Hirtt sur la marchandisation de l’enseignement (voir le compte-rendu ci-dessus), ont, tour à tour, fait savoir leur position et valoir leur point de vue.
Le processus de Bologne et ses effets possibles sur l’enseignement en Communauté Française se sont trouvés au centre du débat à maintes reprises.

CGSP-enseignement

Christiane Cornet, secrétaire générale de l’interrégionale wallonne de la CGSP-enseignement a fait valoir sa volonté syndicale d’une « égalité des résultats par rapport à une égalité des chances, conception beaucoup plus libérale qui consiste à amener l’enfant au maximum de ses possibilités à lui, tandis que l’égalité des résultats vise à amener tout le monde aux compétences maximales. ». Elle partage ainsi l’opinion de Nico Hirtt d’amener tous les enfants au bout de leurs compétences.
Elle a également acquiescé au lien qu’a établi Nico Hirtt entre la marchandisation et le sous-financement de l’enseignement en Communauté Française. Elle a particulièrement insisté sur le sous-financement « chronique et généralisé » de l’enseignement supérieur. Pour elle, c’est ce déficit qui « amène la privatisation par la recherche de moyens financiers extérieurs et introduit des entreprises privées dans l’enseignement ».
Quant aux accords de Bologne, elle a rappelé qu’ils « ne constituaient pas une directive mais bien une série de recommandations et qu’il appartenait donc aux organisations syndicales et aux militants des différentes associations de renverser la vapeur ou, en tout cas, d’y mettre des balises. ». Parmi ces « balises », les organismes syndicaux demandent de veiller à ce que les ECTS (European Credit Transfer System) obtenus le soient dans une institution nationale et non étrangère. Autre cheval de bataille des syndicats-enseignants : « La certification doit rester l’apanage des pouvoirs publics. Sans cela, la porte est ouverte à toutes les dérives et n’importe qui pourrait délivrer cette certification. ». Christiane Cornet s’est ensuite inquiétée de l’émergence d’académies dans le circuit universitaire, académies qui échappent au service public.

UFAPEC

Henri Wittorski, porte-parole de l’UFAPEC (Union des Fédérations d’Associations de Parents de l’enseignement catholique) a fait part de son désaccord face à plusieurs des points développés par Nico Hirtt. Dans la première partie de son exposé, Nico Hirtt épinglait notamment trois facteurs antagonistes du processus de démocratisation de l’enseignement : le sous-financement de l’enseignement primaire, la sélection précoce du futur parcours scolaire (dès le début des études secondaires, voire la fin des primaires) et la totale liberté des parents dans le choix de l’établissement scolaire menant à une concentration sociale. Pour Henri Wittorski, « c’est un leurre de croire que la situation actuelle en Communauté française est soi-disant due au pouvoir énorme du choix scolaire des parents, […] et il faut sensibiliser le public à tous les aspects du problème. ». Il a fait valoir la volonté des associations de parents de travailler en collaboration avec les autres associations du milieu enseignant.

Fédé des étudiants de l’Ulg

Jérôme Leboutte, porte-parole de la Fédération des Etudiants de l’Ulg, a principalement centré son intervention autour de l’application en Communauté Française des accords de Bologne à travers le décret de la Ministre Dupuis ainsi qu’autour des différentes manifestations suscitées par la sortie de ce décret. Après avoir rappelé les objectifs de la déclaration de Bologne, il est revenu sur les concepts de mobilité, de flexibilité à l’emploi et de compétitivité (de l’Europe par rapport aux USA) dénoncés par Nico Hirtt dans la première partie du débat. Il a émis une série de remarques quant à la déclaration, concernant notamment le caractère flou de la notion de compétitivité : « Est-ce que cette compétitivité vise des universités de pointe dont le minerval s’élève à plusieurs milliers d’euros ou des universités de très basse qualité ? ». Quant à la mobilité, qu’il salue « car voyager à l’étranger constitue une expérience forte et enrichissante », elle ne peut se passer « d’un financement certain, risquant par là d’être accessible seulement aux étudiants les plus favorisés.». Enfin, il a regretté que « la déclaration ne [fasse] pas mention du caractère public de l’enseignement universitaire, de son pluralisme ni de son autonomie par rapport à un pouvoir idéologique et surtout économique. ».

ATTAC

Christine Pagnoul, professeur à l’Ulg et présente au débat en tant que porte-parole d’ATTAC, a remarqué que si la mobilité proposée par Bologne constitue un point positif, elle ne se voit pas appliquée à toute les facultés : « Il y a des sections, comme les langues, où les échanges Erasmus sont handicapés par les mesures de déstabilisation complète que prévoit ce décret et dans ce cas, l’organisation ‘3-5′ aboutit à une baisse vertigineuse des attentes par rapport aux étudiants en première année. À l’instar de Christiane Cornet, elle a insisté sur le risque que représentait l’organisation des universités en académies : « elle [l’organisation] aboutit en Communauté Française à ce que l’Université de Liège se trouve tellement minorisée qu’il n’en subsistera bientôt peut-être qu’une partie précise correspondant à la fusion entre HEC et une partie de la faculté d’Economie et de Gestion en Sciences Sociales, répondant ainsi aux approches marchandes de Bologne. ». Elle a enfin dénoncé l’hypocrisie du socle de compétences : «L’organisation de l’enseignement autour de socles de compétences désorganise l’acquisition de savoirs, de connaissances, de repères. Il me semble en effet que l’acquisition de compétences précises, comme savoir lire un texte, savoir jeter des ponts entre des éléments et des données différentes est essentielle à l’exercice conscient de la démocratie et à la réflexion plus urgente que jamais sur le monde dans lequel nous souhaitons vivre. ».
Le débat s’est ensuite ouvert aux interventions du public.

Débat: A la recherche d’un autre monde

Après une pause café offerte par le C.A.L, la deuxième partie tant attendue par le public commence. Un débat général où chacun peut poser ses questions aux interlocuteurs de son choix.

A peine le mot « débat » est-il prononcé que les bras se lèvent d’un peu partout dans la salle, chaque personne donnant son avis sur l’exposé de Nico Hirtt ou sur les prises de position des autres interlocuteurs. Outre les questions posées, les participants se sentent concernés par la problématique et racontent leurs expériences personnelles et professionnelles. Ainsi, c’est le cas de cette dame, professeur de promotion sociale depuis plusieurs années, qui explique en quoi consiste son travail quotidien avec son lot d’attentes et de craintes, surtout dans le domaine des formations modulaires où les responsables décident seulement trois jours avant le début de la formation si elle a lieu ou non en fonction du nombre de participants inscrits.

Après cette intervention, c’est au tour d’un jeune enseignant de préciser qu’il ne partage pas l’idée de l’auteur de L’école prostituée en ce qui concerne une hiérarchie des trois enseignements : général, technique et professionnel. Nico Hirtt réplique que, selon lui, cette hiérarchisation existe sous différentes formes : « Les filières de l’enseignement sont hiérarchisées, peut-être pas dans nos têtes, mais bien dans les faits, dans la réalité. Premièrement, c’est seulement après l’accumulation d’échecs scolaires que l’on est orienté vers les filières techniques et professionnelles. Ensuite, il y a hiérarchisation dans le destin social des uns et des autres. » Et le conférencier d’apporter des chiffres, des statistiques pour appuyer ses propos. « De plus, il y a une hiérarchie dans les contenus : dans l’enseignement général, l’enfant reçoit encore une formation qui est relativement générale – le mot le dit bien – alors que dans l’enseignement professionnel, l’élève est, parfois dès l’âge de 14-15 ans, spécialisé dans des tâches d’exécution où on apprend à obéir, à être productif dans un emploi. […] Et, en dernier lieu, il y a hiérarchie dans le recrutement. Il ne se fait pas sur base des mérites de chacun, […] mais, avant tout essentiellement, sur base de l’origine sociale des enfants. » A la vive réaction du jeune professeur indigné par cette constatation, N. Hirtt rétorque qu’il n’insulte personne en tenant ces propos, surtout pas les enseignants puisque lui-même en fait partie, mais que c’est le système en Belgique qui veut cela, qu’il est d’application dès les primaires. « Nous sommes donc dans un système où nous ne pouvons pas faire autrement que de participer à ce mécanisme de sélection », ajoute-t-il. Et lorsque ce même interlocuteur clame haut et fort que « c’est la communautarisation de l’enseignement qui a été une catastrophe ! », la salle applaudit avec conviction.

En opposant les pays scandinaves à notre pays, Nico Hirtt se rallie à Christiane Cornet, secrétaire générale de l’interrégionale wallonne de la CGSP-enseignement, dans le but de prôner une « école unique » c’est-à-dire une école où il n’y aurait qu’un seul réseau (et non l’opposition permanente entre le « libre » et le « public », comme c’est le cas actuellement). Cependant, le porte-parole de l’UFAPEC (Union des Fédérations d’Associations de Parents de l’Ecole Catholique), Henri Wittorski, n’est pas du même avis : « Le réseau unique est un rêve car la Communauté française n’en a pas les moyens. […] Il existe d’autres solutions que l’école unique. L’école idéale existe en Belgique, mais, malheureusement pas partout. »
Suite à ces interventions, la parole est à nouveau donnée au public. Au total, une dizaine de personnes s’exprimeront sur la problématique de la marchandisation de l’enseignement, mais aussi, plus globalement sur des problèmes de la société actuelle, le tout centré essentiellement sur la dérive néo-libérale vouant un culte aux phénomènes de mondialisation et de globalisation. Le mot d’ordre général est de « résister » et l’appel est lancé pour se mobiliser « non pas en tant qu’enseignant – ce que je ne suis pas – mais en tant que citoyen. Je pense qu’il faut donc opter pour un combat de société, c’est-à-dire reposer un choix de société, au lieu d’un combat sectaire », argumente un homme se décrivant comme « simple citoyen résistant », avant d’être suivi par son voisin, un fonctionnaire qui « lance un appel contre la privatisation des services publics ». Les questions sont donc, en général, plus des propositions, des angoisses ou des craintes exprimées par un public interactif et largement hétérogène.

Au moment de clore le débat, chaque interlocuteur apporte une conclusion personnelle ou insiste à nouveau sur certains propos : « Une mobilisation sur le thème du refinancement, dans nos organisations syndicales, n’est pas un thème porteur pour plusieurs raison », explique Christiane Cornet. « On a assommé les enseignants avec cette idée institutionnellement juste qu’il était impossible d’obtenir plus d’argent de la Communauté française […] puisqu’elle est sans cesse suspendue au bon vouloir de l’état fédéral et donc du nord du pays. […] Dès lors, nous avons listé, dans un cahier revendicatif, toutes nos revendications en front commun, non seulement concernant les conditions des travailleurs et les salaires, mais également ce que nous pensions dans un premier temps valable pour tenter d’enrayer la dualisation galopante de l’enseignement. » Dans la foulée de ces paroles, Christine Pagnoul, porte-parole d’ATTAC, récapitule en reprenant quelques expressions du public (« question de civilisation », « choix de société ») tout en précisant que « la question primordiale est de savoir dans quel type de société nous voulons que nos enfants soient éduqués, mais aussi avec quel revenu. Et là, on en revient à la question qu’une dame du public a soulevée, la question d’une fiscalité plus juste. » L’avis de Jérôme Leboutte, porte-parole de la Fédération des étudiants de l’Université de Liège, concerne surtout le refinancement : « nous, étudiants, sommes convaincus qu’il est nécessaire, qu’il faut le réclamer et qu’il doit provenir du Fédéral. Pour ce qui est de trouver de l’argent, je crois qu’on n’évitera pas le débat fiscal. » Quant à Nico Hirtt, il est indispensable, selon lui, de « secouer le joug du réalisme », et ce, pour éradiquer l’individualisme de notre société ainsi que dépasser le débat des réseaux : « Ce système de semi-marché scolaire aboutit, non pas parce qu’un réseau est meilleur que l’autre, mais par le jeu de la concurrence, à des phénomènes de concentrations sociales qui sont inadmissibles. […] Il est du devoir de l’individu de dire que le cahier revendicatif n’est pas suffisant même s’il a le mérite d’exister. » De plus, il renchérit : « L’enseignement obligatoire a pour mission de former des citoyens capables de comprendre le monde dans lequel ils vont vivre et non de leur apprendre un métier ! […] je veux que les exploités apprennent à l’école ce qui leur permettra d’agir collectivement à la transformation de ce monde ! » De par ces propos, l’enseignant stigmatise l’approche par compétences qu’il a dénoncée dans son introduction, peu avant le débat. Celui-ci se termine donc sur une vision personnelle de la problématique qui a, apparemment, plu au public, si l’on en croit les nombreux applaudissements accompagnant le discours de l’auteur. Certains sont repartis déçus de n’avoir pu s’exprimer, d’autres plus motivés que jamais à « se battre », prêts à « résister ». Cependant, après avoir esquissé les principales menaces qui pèsent sur la marchandisation de l’enseignement, force est de constater que le débat est loin d’être clos ; les avis divergent toujours sur le sujet…

Compte rendu réalisé par Christelle Tribolet, Florence Leone, Emilie Ravignat

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Conclusions:
Où en sommes-nous avec la marchandisation de l’enseignement ?

L’enseignement fondamental et secondaire n’est pas directement menacé. La Communauté française Wallonie-Bruxelles, l’Etat belge et l’Union Européenne le tiennent à l’écart de l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS). La mobilisation contre la marchandisation à outrance a donc porté ses fruits. Toutefois la pression reste forte, notamment de la part de l’Australie et de la Nouvelle Zélande. A l’intérieur même de l’Europe, divers pays ont cédé à la marchandisation.

Après 25 ans d’austérité, notre enseignement est devenu terriblement inégalitaire, ce qui entraîne une chute de sa moyenne par rapport aux autres pays développés et contribue à
la dualisation de la société. C’est un acte démocratique d’exiger un investissement massif pour rendre à l’école la part du PIB qu’elle avait il y a une génération. L’école primaire en a particulièrement besoin parce que c’est à partir de la base qu’il faut reconstruire.

Une influence des firmes se fait sentir par la « sponsorisation » de nombreuses activités des écoles. La publicité et les distributeurs automatiques de certaines marques sont présents dans les établissements scolaires. Les cyberclasses sont utilisées plutôt pour transformer les enfants -et par ricoche, leurs parents-, en consommateurs de nouvelles technologies, que pour apprendre un usage critique d’internet et de l’informatique.

Sous la pression de la Table Ronde des Industriels Européens et de ses relais, l’enseignement technique et professionnel subit une dérive. Loin des humanités techniques et de l’équivalence des diplômes avec le général, on voit se développer au travers des profils de qualification et de la pédagogie des compétences, des formations qui visent essentiellement à l’employabilité immédiate des élèves. Cela s’accompagne d’un discours démagogique qui cache une vérité : plus du tiers des futurs emplois ne requiert que des compétences médiocres et limitées ! Qu’en sera-t-il de la formation culturelle et citoyenne des élèves de ces filières ?

La volonté de certains secteurs patronaux de développer la formation en alternance va dans le même sens.

L’enseignement de promotion sociale a de moins en moins pour but la promotion personnelle de l’adulte qui reprend des études, sa fonction devient la réponse rapide au marché de l’emploi.

L’enseignement supérieur est, lui, directement menacé. Les conditions de travail s’y dégradent et la pression sur les enseignants augmente. Il est sous-financé. Dans de nombreux pays, la réponse est simple : augmenter le minerval, vendre les études. Le processus de Bologne ouvre la voie à la mise en concurrence des universités publiques ou subventionnées, encore accessibles, avec des universités privées très chères. Des ventes de formation par internet existent déjà. La mobilité des étudiants, en soi souhaitable, risque de tourner au cauchemar pour les familles qui ne sont pas riches, tant le coût des formations à l’étranger risque d’être élevé. Les banques s’apprêtent à financer les études d’une nouvelle génération d’intellectuels qui commenceront leur carrière en remboursant capital et intérêts.

Le mouvement altermondialiste a marqué des points contre l’ultra libéralisme, mais la tendance n’est pas inversée. L’eau, la santé, la culture, l’enseignement continuent d’être convoités comme sources de profits.

Pour défendre les services publics, il faut d’abord accepter de les financer, de réhabiliter l’impôt, de mettre à contribution les grosses fortunes et les revenus supérieurs. Bref, une contribution équitable est nécessaire.

Le groupe de travail « enseignement »
de la Coordination D’autres mondes, mars 2004

4 COMMENTS

  1. Déscolarisation de l’école ou institutionnalisation du plus petit commun médiocre
    « De moment à autre, écrit Claudel au début de son Art poétique, un homme redresse la tête, renifle, écoute, considère, reconnaît sa position : il pense, il soupire, et, tirant sa montre de la poche logée contre sa côte, regarde l’heure. Où suis-je ? et Quelle heure est-il ? Telle est de nous au monde la question inépuisable . »

    J’ai vécu un de ces moments, j’ai ressenti ce besoin imprévu et impérieux de consulter le cadran de l’Histoire en écoutant une amie, professeur de francçais, me raconter les pratiques organisées pour ses cours.

    « Les optimistes, disait Bernanos, sont des imbéciles heureux, et les pessimistes, des imbéciles malheureux. » A peine me suis-je fait à moi-même le serment de ne plus jamais céder à la seconde imbécillité que me parviennent du front de la culture –c’est-à-dire des écoles- des informations dont on diminuerait considérablement l’horreur en les qualifiant d’alarmantes. Je savais qu’un nouvel exercice faisait fureur dans les classes de français : l’écriture d’invention. Mais j’aurais été bien en peine de dire de quoi il s’agissait exactement. Cette ignorance vient d’être comblée, comme je l’annonçais supra, par les confessions d’une amie enseignante qui, comme tant d’autres, doit lutter pied à pied contre l’institution et ses directives pour faire dignement son métier. Mais pour être concret…

    Soit la première scène de l’acte V d’Andromaque. Hermione vient d’ordonner à Oreste (qui l’aime) d’assassiner Pyrrhus (qui la dédaigne). Sous le titre « Ecriture-expression orale », le manuel de français, édité par Hachette, utilisable en quatrième année du secondaire propose l’exercice suivant : « Transposez la situation dans le monde contemporain et réécrivez en prose, à la première personne, le monologue d’Hermione. » Et le livre du maître fournit en guise d’exemple, à tous les professeurs, un devoir d’élève (après corrections) qu’il vaut la peine de lire en parallèle avec le poème racinien.

    Hermione : « Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ? Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ? Errante et sans dessein, je cours dans ce palais. Ah ! Ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ? »

    La copie exemplaire : « Où j’en suis, moi ? Qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi je déprime comme ça ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Je traîne en jogging devant la télé, même pas maquillée en plus. Je l’aime ou je lui en veux vraiment ? »

    Hermione : « Le cruel ! De quel œil m’a-t-il congédiée ! Sans pitié, sans douleur, au moins étudiée ! L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment ? En ai-je pu tirer un seul gémissement ? Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes, semblait-il seulement qu’il eût part à mes larmes ? Et je le plains encore ? Et pour comble d’ennuis, mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui ? Je tremble au seul penser du coup qui le menace ? Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce ? »

    La copie exemplaire : « Le salaud, comme il m’a jetée ! Il n’a même pas fait style de me regretter un peu… Il n’a même pas rougi quand il m’a avoué qu’il me lâchait pour un mec ! Pas la moindre honte ! Rien à faire, tranquille… et moi, je suis encore accro ! »

    Au XIXe siècle, les grands textes de la littérature étaient pour les élèves des modèles à imiter. L’étude des œuvres se prolongeait naturellement en un apprentissage d’écrire. Au siècle suivant, la littérature cesse d’être un modèle pour devenir un objet. Les élèves ne doivent plus rédiger de fables ou des portraits, mais des dissertations portant sur La Fontaine ou sur La Bruyère. Le XXIe siècle rompt avec ce ronron : voué à la tâche exaltante de déscolariser l’école, il fait entrer l’enseignement littéraire dans l’âge de la désublimation et de la compression temporelle. La nouvelle inventio, en effet, ne consiste nullement à rapprocher les élèves des œuvres, mais, bien au contraire, à dépouiller celles-ci de leur étrangeté, à les actualiser, à les rapprocher de la vie jusqu’à les rendre télécompatibles. Ainsi se défait le lien patiemment tissé par la littérature entre le sentiment éprouvé et les mots qu’il exprime : tout doit pouvoir être dit dans n’importe quel idiome.

    Cet exercice n’a rien à voir non plus avec le renversement carnavalesque du style élevé en style populaire. Pour le brut, le salace et le fat aujourd’hui, tel qu’en lui-même enfin l’école l’accueille et le titularise, il n’y a ni style haut ni style bas : il y a un style moi, moderne, nature, droit au but, qui transcende les différences de classe comme de sexe et qui est parlé par les jeunes, c’est-à-dire par tout un chacun. Au centre du système éducatif trône l’élève et, au centre du monde comme au sommet du temps, une humanité adolescente, libérée de la forme et si fière d’en avoir fini avec les tabous sexuels comme avec la négation petite-bourgeoise de l’altérité qu’elle fait de Pyrrhus un garçon gay, pour pimenter la fureur d’Hermione.

    Imbécillité des pessimistes. Ils prévoient la catastrophe, alors que ni vu ni connu, elle a déjà eu lieu. Ils noircissent l’avenir quand c’est le présent qui est sinistré.

    Tout avait pourtant commencé, il y a un siècle, par une juste question : Comment réaliser l’abolition des privilèges et des supériorités de naissance ? Comment instituer ce qu’on déclare ? Comment donner corps au principe d’égalité et empêcher la classe bourgeoise, une fois aux commandes, de virer à l’aristocratie, c’est-à-dire se refermer sur elle-même tout en brandissant le drapeau de l’humanisme universel ?

    Il y a cent ans, la réponse était claire : il revient à l’Etat d’instaurer, sans complaisance ni relâchement, une forme de sélection dans l’école. C’est par les concours, les examens que pourront être offerts aux meilleurs, toutes origines confondues, les places que la bourgeoisie s’efforce de réserver pour ses propres enfants.

    Notre société, un siècle plus tard, voit dans cette idée un poison. Sélectionner, affirme-t-on, c’est exclure et non s’attaquer aux privilèges. La démocratie a cessé de croire à la méritocratie. Le mérite, dont les premiers responsables de l’enseignement faisaient si grand cas, lui apparaît désormais comme un piège, un mirage, une imposture et le moyen non de donner à chacun sa juste place mais de donner l’aspect de la justice et de la raison au destin inéluctable de chacun. Car, bien loin de s’opposer à la constitution de la bourgeoisie en classe héréditaire, l’école sélective ne ferait que servir ce dessein en offrant à l’arbitraire de la domination bourgeoise l’alibi d’une supériorité d’essence ou de nature.

    Finalement, ce qui a changé, c’est le sens et le statut de l’égalité. On ne croit pas seulement que les hommes sont égaux en droit, on pense qu’il n’y a pas entre eux d’inégalité naturelle. « Un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui », disait Sartre dans Les Mots.

    Notre époque a donc une thèse qui peut s’énoncer ainsi : Nous sommes tous égaus, et tout est égal, car tout est culturel. C’est en vertu de cette nouvelle évidence métaphysique qu’on s’emploie à déconstruire, à l’école, l’inégalité de talents. Plus question de promouvoir et de stimuler le bon élève, surtout quand il est pauvre. Pour ne pas reconduire l’ordre établi, on choisit de stigmatiser l’émulation, de supprimer la distribution des prix, de généraliser les classes hétérogènes et d’intégrer peu à peu dans les programmes des « éléments mieux maîtrisés par les milieux populaires ».

    En outre, nous traitons l’enfance comme une minorité opprimée qui a besoin de se libérer et nous proclamons notre volonté de mettre l’enseignement au service de la liberté créatrice des élèves.

    « Aux jeunes de former la jeunesse », « L’avenir des uns est l’avenir des autres », proclamaient des slogans au bas d’une affiche publicitaire d’une école normale montrant un jeune adulte avec un enfant sur son dos et qui lui tenait la main. Eloquente image : plus de tables, plus de livres, plus de médiations, l’amour ; plus d’institutionnel, du relationnel ; plus de formalités, des subjectivités. Vestige des temps barabres, l’ascendant des anciens maîtres cède la place à la sollicitude de l’adulte fraternel ou copain. Là où il y avait hiérarchie des rôles, il y a désormais proximité des personnes. Le professeur qui ouvrait un monde à ses élèves est congédié pour déficit démocratique et supplanté par le moniteur, le (gentil) organisateur, le gestionnaire pédagogique qui a noué des liens d’affection avec les gamins. Et pour bien montrer que le cœur est aux commandes, le toucher prend symboliquement la relève de la parole.

    Mais le zèle compatissant ne conduit pas nécessairement au paradis. Il ne suffit pas de marteler que tout échec à l’école est un échec de l’école pour faire échouer la reproduction sociale. Il ne suffit pas de prohiber la sélection pour la faire disparaître. Une sélection féroce, d’autant plus injuste qu’elle est clandestine, double le système samaritain mis en place par le nouveau discours de la démocratie. L’abaissement du niveau et le remplacement de la culture générale par la culture commune « proche des préoccupations des gens » ne profitent à personne. Mais seuls peuvent encore échapper au marasme certains enfants bien nés, soit qu’ils aient des répétiteurs, soit qu’ils trouvent refuge dans l’enseignement privé, soit qu’on les dirige vers des établissements publics qui ne respectent pas les consignes. Et, à la sortie du secondaire, quand il devient impossible de surseoir à l’épreuve de vérité, ce sont eux, et eux seuls, qui peuplent les diverses institutions payantes où on rattrape le temps perdu. Ainsi entrons-nous dans la société dynastique par la réforme même qui prétend nous en faire sortir. Il y a toujours moins de non-bourgeois dans les lieux d’excellence.

    Je déplore la destitution du formalisme par le sociologisme, la sacralisation du fait linguistique accompli, les ravages du culte de l’authenticité, et l’oubli militant des niveaux de discours au bénéfice d’un idiome unique parlé par tous en tous lieux et qui marie sans cesse la scatologie avec l’infantilisme, la vulgarité avec la sentimentalité, le dégoûtant (« Putain, je le crois pas ! », « Ils s’emmerdent pas les profs ! », « J’ai vu Eyes Wide Shut, c’était mégachiant, en fait ») et le dégoulinant (« Bisous-bisous ! », « C’est vrai qu’ils sont chouettes, les gamins de 2ème TQ », « J’ai lu le Retour à Florence de James, c’était sympa ! »).

    L’homogénéisation culturelle est en progrès constant. Je m’inscris en faux contre l’idée d’un fossé grandissant entre les élites et le peuple. Cette idée est répandue par la pensée en place. Osez parler de purisme, et on vous traitera de purificateur. Dites « étiquette », et l’on vous soupçonnera de vouloir exclure. Critiquez le journalisme et on vous accusera de vouloir renverser la démocratie.

    Rien n’échappe plus à l’empire de l’éphémère. Le sérieux lui-même devient volage. L’éthique, cette chose si ancienne et si grave, tombe sous la coupe de la frivolité. La mode est sortie de la mode : il y a mode de tout, même du mal.

    Nous, comme dit admirablement Kundera, nous avançons dans le brouillard. La finitude est notre lot. Nous cherchons, nous tâtonnons, actuellement comme autrefois, et rien n’est plus redoutable que l’oubli du brouillard qui nous enveloppe. Rien n’est plus néfaste que l’illusion de la clarté. Nulle ivresse n’est aussi aveuglante que la certitude absolue.

  2. > Débat sur la marchandisation de l’éducation
    Bonjour, Je suis française, maman de trois enfants et très inquiète car dans mon département (la vienne) le rectorat d’académie a signé avec le MEDEF. J’ai la convention si cela vous intéresse je peux vous la faire parvenir. C’est bien la marchandisation de l’éducation! Comment éviter une telle catastrophe quand les contrats sont signés pour 5 ans avec tacite reconduction?
    Merci de votre attention. Jocelyne Jacaud

    • > Débat sur la marchandisation de l’éducation
      Bonjour
      Enseignant moi-même, je serais effectivement intéressé par la lecture de cette convention. Où puis-je la trouver ? Mercid e votre réponse

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