Quelle université voulons-nous ?

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Depuis plusieurs mois une partie de l’université discute, de façon plus ou moins confuse et informelle dans le cadre du G.R.O.F ou des divers conseils, de l’application de la réforme L.M.D à l’université de Paris 8. Un forum a été organisé sur ce point le 12 juin 2003 par la présidence. A cette occasion, des enseignants ont décidé de créer un collectif de réflexion interdisciplinaire dont l’objectif est d’enclencher une réflexion politique sur l’évolution de l’université en général et de celle de Paris 8 en particulier. Ce collectif souhaite notamment rompre avec le « mood libéral/libertaire » qui accompagne le « chacun pour soi » institutionnel régnant aujourd’hui à Paris 8 (et ailleurs), et auquel certains souhaiteraient fort opportunément réduire « l’esprit de Vincennes » . Et de fait, ce « mood »nous paraît faire le jeu d’une logique purement concurrentielle et gestionnaire pour le compte du ministère à l’intérieur même de l’université, et ce au détriment d’une logique attentive aux dimensions tant pédagogiques que scientifiques des réformes en cours et soucieuse de l’intérêt général de l’université. Notre collectif entend donc réfléchir politiquement à ces réformes en déconstruisant déjà publiquement les logiques à l’œuvre et en montrant comment celles-ci mettent en cause notre conception de l’université. Nous parlerons ici essentiellement du L.M.D. Mais il est clair que la philosophie de cette réforme devient plus cohérente si on la rapproche du projet Ferry , d’inspiration très libérale, et relatif à « l’autonomisation » puis à la « modernisation » des universités, de la question de la constitution des « pôles d’excellence » régionaux (Rapport Attali), ainsi que du Rapport Belloc relatif à la redéfinition du statut, comme des fonctions, des enseignants chercheurs . En explicitant et en rendant public les enjeux liés à ces réformes, ce travail de déconstruction de la doxa académique vise notamment à offrir à chacun les moyens d’agir en citoyen dans son université.

Le L.M.D représente un enjeu capital pour l’ensemble de l’université. En effet, l’application de cette réforme risque d’aboutir, si on n’y prend garde, au travers notamment de la mise en concurrence généralisée des universités, comme des formations à l’intérieur de chaque université, à une vaste reconfiguration de la division du travail tant pédagogique que scientifique entre universités, disciplines, cycles, enseignants dans chaque discipline, etc. Et cette reconfiguration, qui sera sans doute aussi l’occasion d’une actualisation/manifestation plus ou moins douloureuse des nouvelles hiérarchies entre établissements, disciplines, enseignants, etc., au travers notamment du remodelage de la carte universitaire et de la mise au point de nouveaux diplômes, est perçue comme plus ou moins avantageuse par chacun (qu’il s’agisse d’individu ou d’institution) en fonction notamment de ses intérêts, comme de la position qu’il occupe dans cet univers particulièrement cloisonné, mais aussi paradoxalement profondément hiérarchisé même si c’est souvent de manière implicite et quelque peu brouillée, qu’est l’université. C’est pourquoi l’une des premières tâches que s’est fixé notre collectif est de commencer à comprendre les enjeux associés à cette réforme en partant de « l’analyse concrète de situations concrètes », lesquelles ont souvent pour cadre tel département, discipline, ou institution.

En effet, il nous semble que s’agissant d’une université comme celle de Paris 8, qui fait partie d’un ensemble régional où 11 universités sur 13 sont consacrées, totalement ou en partie, à l’enseignement et à la recherche en lettres, sciences humaines, sciences sociales, sciences juridiques et économiques, le niveau départemental, ou disciplinaire, est particulièrement pertinent pour saisir les enjeux de cette réforme et qu’il permet d’éviter à la fois le simplisme (si généreux soit-il) des slogans politiques, comme les raccourcis (faussement apolitiques) de la pensée purement instrumentale et gestionnaire actuellement dominante sur l’université. Il s’agira donc de prendre ici les disciplines comme unité d’analyse, tout en tenant compte des effets de champ locaux, nationaux et internationaux (par exemple : logiques transnationales des flux d’étudiants étrangers, notamment en 3ème cycle).

Dans cette tentative d’autoanalyse du monde académique, nous aurons recours aussi à l’entrée par les étudiants, qui sont manifestement les grands oubliés de cette réforme, comme des débats en cours . Car le public de Paris 8, comme ses attentes (pédagogiques, intellectuelles, politiques, professionnelles, etc.), se sont beaucoup transformés depuis l’époque, quelque peu mythique et mythifiée, de sa fondation, puis de son déménagement de Vincennes à St Denis, ce qui aurait pu d’ailleurs susciter plus de débats pédagogiques au sein de la communauté enseignante. Et ce public, comme ses attentes, ne sont pas les mêmes dans les départements d’arts ou d’économie par exemple, et ce de même qu’ils diffèrent profondément selon les cycles, sachant par exemple que le 3ème cycle de certaines disciplines recrute essentiellement hors de Paris 8, voire même hors de cette discipline. Et ces différences, comme les différences liées aux contenus enseignés et à leurs finalités sociales, professionnelles objectives, permettent notamment de comprendre des choses aussi diverses que la variété des pratiques pédagogiques, le rapport très différencié que les diverses disciplines entretiennent à la « recherche », comme à la « professionnalisation », ou encore la répartition inégale des étudiants entre les cycles selon les disciplines, laquelle explique notamment pourquoi, lors des réunions consacrées au L.M.D, certaines d’entre elles (ou plus exactement sans doute certaines fractions du corps enseignant de ces disciplines) se désintéressent à peu près complètement du L, alors implicitement sous traité à d’autres disciplines, d’autres universités, qu’elles soient françaises ou étrangères.

On voit donc toute la difficulté intellectuelle de l’exercice, notamment liée à la complexité de l’objet étudié. Celle ci explique que notre essai de synthèse soit incomplet et s’attarde plus sur certaines disciplines que d’autres . En livrant ces premiers éléments d’analyse, nous espérons inciter le lecteur à compléter, rectifier l’esquisse présentée ici, notamment pour les disciplines, institutions qu’il connaît de l’intérieur, et pour lesquelles il peut donc mobiliser son « expérience indigène ». Cette proximité à l’objet d’étude, comme les investissements/intérêts que chacun a de facto dans l’univers académique en fonction notamment de la position qu’il y occupe, comme de la trajectoire sociale, académique qui l’y a conduit, ne sont pas sans augmenter les difficultés d’un tel travail d’objectivation, à l’occasion parfois douloureux. Car la vaste reconfiguration disciplinaire, institutionnelle à l’œuvre au travers du L.M.D est aussi nécessairement le moment d’une reconfiguration subjective , au travers notamment de la prise de conscience pratique des nouvelles hiérarchies entre disciplines, établissements, etc., et de la place que chacun y occupe. A la mutation des structures académiques répond donc une mutation des structures subjectives, des traditions intellectuelles, pédagogiques, des rapports de légitimité, et donc de forces entre disciplines, comme à l’intérieur de ces disciplines, et qui viennent notamment s’objectiver dans la construction des nouveaux diplômes, leurs orientations épistémologiques, professionnelles etc., lesquelles mutations tendent à s’accélérer à la faveur du renouvellement démographique intense du corps enseignant, comme des transformations du public étudiant.

Enfin et pour finir, il faut souligner la difficulté d’un discours visant à concilier l’intérêt des étudiants de D.E.U.G, et notamment de ceux d’origine populaire pour lesquels l’accès à l’université représente une chance pour accéder à un emploi plus qualifié que celui de leurs parents (cette chance étant, il est vrai, plus ou moins grande selon les établissements, les disciplines et leur degré de sélectivité), et les intérêt liés à l’autonomie de la recherche, l’université étant sans doute un des rares espaces sociaux où celle ci puisse encore s’épanouir librement, le C.N.R.S étant actuellement particulièrement menacé. Et ce n’est certes pas en sacrifiant l’enseignement à la recherche, ou inversement, que nous résoudrons cette tension intimement constitutive du métier « d’enseignant-chercheur » et qui en fait tout l’intérêt.

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