Changement fondamental ou réformette sans lendemain

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« Vas-y, Valérie ! Lis-nous la ligne suivante. »
Les lèvres de Valérie tremblent. Aucun son ne sort de sa bouche. Du silence… L’aiguille de l’horloge poursuit sa course. Valérie rougit et reste muette…

En 1970, la mise en place de l’ Enseignement Rénové apporte un espoir immense aux enseignants soucieux de l’égalité des chances. En 1980, une réforme annonce avec fracas la naissance d’un nouvel Enseignement Professionnel et entraîne un énorme foisonnement d’idées, de projets, de réalisations concrètes. Aujourd’hui, en 2002, après une vingtaine d’années d’assainissements budgétaires, de restrictions, de restructurations,… le paysage scolaire est plus dualisé que jamais. Tous, nous connaissons surcharges, bénévolats, épuisements, pénuries,…

En septembre 2004, un nouveau décret concernant le 1erdegré de l’Enseignement Professionnel verra le jour. D’après les documents du groupe de travail interréseaux du CGC, ce décret aurait pour objectif premier l’insertion scolaire, sociale et professionnelle de l’élève. Il permettrait aux élèves d’atteindre les compétences censées être acquises à la fin de l’ Ecole Primaire. Apportera-t-il des moyens réels ou ne constituera-t-il une fois de plus qu’une réformette sans lendemain ? Quelles modifications les auteurs de ce projet souhaitent-ils mettre en place pour valoriser ce type d’enseignement ? Tel la lampe magique d’ Aladdin, ce décret offrira-t-il un avenir radieux aux élèves et aux professeurs engagés dans ce niveau d’études ?

Quelles sont ces propositions ?

L’intitulé de ce 1er degré serait « 1er degré différencié ».

Une grille-horaire identique aux deux années serait mise en place avec un alignement et un renforcement d’une part, en Formation Mathématique – Scientifique et d’autre part, en Français – Formation Humaine. Le cours d’Education Physique bénéficierait d’une heure supplémentaire dans les deux années. Au minimum, la grille serait de 26 heures obligatoires et de – au total – 30 à 34 heures organisables.

Le Certificat d’ Etudes de Base (CEB) pourrait être obtenu par la maîtrise des socles de compétences de fin de l’ Enseignement Primaire.

Des passerelles vers la 2èmeCommune et vers la 3èmeQualification seraient « reproposées ».

Le passage en 3ème Professionnelle serait lié à la réussite d’une 2èmeProfessionnelle (2ème DI), d’une 2èmeannée complémentaire (2èmeSDI) ou à l’âge de 16 ans.

A ce jour, le groupe de travail n’a pas défini de socles de compétences en formation technique et professionnelle.

Que penser de ces modifications ?

Le groupe de travail souhaite « rompre avec le passé » et utilise le terme « 1er degré différencié » (1èreDI – 2èmeDI) plutôt que « 1erdegré professionnel  » (1èreB – 2èmeP). Cependant, un mot nouveau ne transforme pas une réalité, surtout lorsque l’adjectif utilisé est déjà péjoratif pour les élèves de ce degré. Qui voudrait spontanément inscrire son enfant dans un 1er degré « différencié » ? Quel élève pourra annoncer avec joie :  » Je suis en 1ère différenciée ! « . Pourquoi changer l’ appellation existante alors que le contenu des cours reste sensiblement identique ? Ne s’agirait-il pas tout simplement d’un nouveau gadget politique destiné à rassurer l’opinion publique sur le sérieux, l’attention, l’abnégation dont font preuves nos instances supérieures à l’égard des populations les plus démunies ? On ne différencie pas pour insérer de la même manière qu’on n’exclut pas pour inclure !

Pourquoi aligner les grilles-horaires des deux années ? Quel apport supplémentaire pour la finalité propre de ce degré ? Cette structure permettrait-elle de mieux réaliser les objectifs poursuivis ? Qui pourrait croire, ainsi, que les élèves vont mieux atteindre ces socles de compétences, même après deux années dans le cycle ?

Pour la remédiation, rien n’est proposé ! Quelle place pour un rattrapage spécifique et efficace ? Une individualisation des apprentissages est indispensable ! Comment faire progresser à la fois des élèves provenant d’une 4ème, 5ème, 6èmePrimaire, de l’Enseignement Spécial, d’une 1èreCommune et ceux dont le français n’est pas la langue maternelle ? Sans doute, une solution subsiste : le bénévolat des professeurs pour une prise en charge des carences de chacun ! Il suffisait d’y penser !

Les enseignants le savent : la plupart des élèves de 2èmeDI (2èmeP) ne se retrouveront ni en 2èmeCommune ni en 3èmeQualification. Ils s’inscriront majoritairement en 3ème Professionnelle. Les modifications envisagées permettront-elles de les préparer et de les orienter valablement dans le choix de l’ apprentissage d’un métier ? Le décret ne fait mention d’aucun socle de compétences pour la formation technique et professionnelle. Le renforcement des quelques heures de la Formation Commune ne risque-t-il pas d’entraîner une diminution de celles attribuées en Technologie et en Pratique Professionnelle ? A nombre d’heures égal, les directions feront des choix… Avec moins de moyens, faudra-t-il encore une fois faire plus ?

Les changements – même minimes – bouleverseront les horaires et déstabiliseront les équipes pédagogiques en place sans un apport qualitatif supplémentaire.

Pour l’obtention du CEB, aucune piste crédible n’est proposée. Cette mesure ne correspond en rien à la complexité relationnelle vécue dans ces classes et aux difficultés multiples rencontrées par les acteurs de terrain. De nombreux élèves risquent de se retrouver dans une impasse. Comment les insérer en les pénalisant ? Naufragés de l’enseignement obligatoire, ils échoueraient une fois de plus et devraient entamer une année supplémentaire (2èmeSDI). Quels moyens préconise-t-on pour promouvoir une réussite en trois ans ? Quels professeurs chevronnés accepteraient de relever la tâche insurmontable d’y enseigner ? Est-ce en modifiant d’ une heure la grille-horaire de cette classe qu’on y arrivera ? Pour un directeur « pragmatique », cette année supplémentaire servirait à placer les « bouts d’horaire » ou – pourquoi pas ? – les enseignants récalcitrants ! Heureusement, M. Hazette veille au décrochage des jeunes et songe à activer la loi sur l’obligation scolaire au niveau pénal ! Nous voilà soulagés !

Sur papier, la notion de  » passerelles  » semble intéressante. Dans les faits, c’est un leurre ! Comment atteindre, à la fois, les objectifs d’insertion sociale, d’obtention du CEB et la transition souple vers la 3èmeProfessionnelle, la 2èmeC ou la 3èmeTQ ? Mission impossible !

Comment concilier les missions de citoyenneté du Décret de juillet 1997 avec le travail à investir pour obtenir les socles de compétences souhaités ? Les professeurs auront-ils la possibilité de continuer à pratiquer leur pédagogie différenciée : projet, interdisciplinarité, conseil d’élèves,… ? A quand les moyens supplémentaires ? Que faire d’un  » catalogue de bonnes intentions  » si mon budget ne permet pas d’y accéder ?

En résumé, cette réformette posera plus de problèmes qu’elle n’offrira de solutions réelles. Qui serait prêt à parier que ces nouvelles dispositions permettraient un enseignement de meilleure qualité ? Certains prétendront que ce décret est le résultat d’un préaccord équilibré interréseaux. D’aucuns seront satisfaits que ces mesures ne soient pas restrictives et que des moyens soient conservés pour ces sections… Cela nous semble un peu court !

M. Hazette s’inquiète des surdoués, des difficultés rencontrées par les rhétoriciens et songe à délier les cordons de sa bourse pour y remédier… Il devra cependant aussi tenir compte d’autres réalités et mener une enquête affinée sur l’avenir précaire des élèves du 1er degré Professionnel. En majeure partie, la quasi totalité des élèves de 1èreB. et 2èmeProf. ne se retrouvent pas et ne se retrouveront pas d’office sur les bancs de 6èmeProfessionnelle. Il y a plus de vingt ans, c’était déjà le constat dénoncé avant la réforme qui devait transformer radicalement cette filière !

L’insécurité est un thème électoral porteur. Mais pourquoi contribuer à son développement par des mesures inadéquates vis-à-vis des élèves les plus démunis ? Il est impératif de sortir de la spirale de l’incapacité, de l’ennui et de la violence !

Si les moyens sont égaux et que la société régresse par la dualisation et l’exclusion, il faut une autre volonté politique et syndicale pour progresser !

…Murmures dans la classe et sourires moqueurs… Des larmes s’ échouent sur le banc de Valérie. La jungle inextricable des lettres noires, des lignes, des paragraphes, le regard des autres, leurs remarques chuchotées, c’est trop pour elle. Valérie ne dira rien…