Quatre formes de discrimination ethnique dans l’enseignement

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Beaucoup d’études montrent que la sélection scolaire s’effectue, non pas sur base des capacités des enfants, mais sur base de leur origine sociale et ethnique (qui d’ailleurs se recoupent très souvent). Cette inégalité frappe au premier chef les enfants issus de l’immigration. Quels sont éléments qui permettent d’en comprendre l’origine et de la combattre ?

Les programmes scolaires reposent sur divers présupposés. Ceux-ci ne sont pas discriminatoires en soi, mais leur effet l’est bel et bien. On suppose par exemple que les enfants disposent d’un journal à la maison, qu’ils peuvent ramener toute sorte de matériel à l’école (des illustrations par exemple), que les parents lisent des histoires et des textes à leurs enfants, qu’ils jouent avec eux… et surtout que les parents sont initiés au fonctionnement d’une école (occidentale) et aux attentes de l’école à l’égard des parents. Ce faisant, l’école oublie le faible niveau de scolarisation de nombreux parents (beaucoup d’immigrés proviennent de régions rurales où ils n’ont souvent pas été scolarisés, ou très faiblement) et leur position socio-économique très fragile. Lorsque ces parents ne satisfont pas aux attentes de l’école, cela suscite la déception des enseignants, qui aimeraient bien voir les parents jouer un rôle plus actif, plus stimulant, dans la scolarité de leurs enfants. Maintenant, la motivation de ces enfants repose surtout sur leurs épaules d’enseignants. Enseignants et directions en arrivent parfois à décrire les parents comme “inintéressés et insouciants”. Deux exemples:
– La plupart des enfants ont beaucoup de jouets et l’école organise pas mal d’activités sur le mode ludique. Mais dans les familles pauvres, il n’y a pas d’argent pour des jouets. Les études montrent que ces parents jouent moins avec leurs enfants et qu’ils ne sont guère convaincus de la valeur éducative d’un jouet. Or, le jeu stimule la curiosité, le sens de l’initiative, le goût de la recherche chez l’enfant. Il rend également l’enfant moins impulsif et lui apprend à organiser et à planifier. Bref, le jeu offre une base intéressante pour le travail scolaire puisqu’il rejoint les exigences que l’enseignement pose aux enfants.

– Une mère vint un jour trouver l’école en disant: « je crois que mon fils m’a roulé. Il m’a fait croire qu’il devait acheter pour l’école un livre de 1.300 francs. Je le lui ai acheté, mais je ne l’ai jamais vu lire dedans ». Il apparut finalement que le livre en question était un dictionnaire. Pour la mère, non scolarisée, il s’agissait d’un objet totalement inconnu.

Discriminations structurelles

Dans l’enseignement, il existe aussi des discriminations structurelles. L’exemple le plus connu est le refus d’inscription d’enfants issus de l’immigration dans certaines écoles, par peur de la « ghettoïsation ». Il ne s’agit pas nécessairement d’une réaction raciste, mais souvent purement pratique. Les directions d’école redoutent l’image négative qu’offre une école à forte concentration d’immigrés et craignent de ne pas pouvoir affronter les problèmes spécifiques des élèves immigrés. En 1993, tous les réseaux d’enseignement flamands ont signé un « pacte de non-discrimination » qui, paradoxalement, est utilisé pour refuser l’inscription de certains élèves ! D’autre part, les livres scolaires, les méthodes, les tests PMS, tout cela n’est pas culturellement neutre. Notre culture bourgeoise occidentale en est le modèle. Ainsi, les livres scolaires passent à côté du monde quotidien des enfants d’ouvriers et des enfants d’immigrés. Les récits parlent d’animaux domestiques; les problèmes de calcul traitent d’argent de poche, l’Histoire est celle de l’Occident quand on ne traite pas carrément de nos « missions civilisatrices » en Afrique. Dans certains tests, des réponses pourtant correctes sont parfois notées comme fausses. Un ancien ministre flamand racontait l’anecdote suivante. Un enseignant lui ayant demandé « qui a construit les pyramides ? », il avait répondu « les ouvriers ». Faux ! Les bonnes réponses étaient « les Egyptiens » ou, mieux encore, « les pharaons ».1

Préjugés

Les préjugés des enseignants envers les élèves ont un effet direct sur ces derniers. Les enseignants jugent souvent le comportement et les prestations de leurs élèves en fonction de leurs propres normes et valeurs. De ce fait, ils ne se soucient pas des causes ni du contexte général. La non-maîtrise d’une langue ou le fait qu’un enfant ne soit pas encore « mûr » sur le plan scolaire n’a rien à voir avec de l’intelligence. Et pourtant, ces enfants passent souvent pour « retardés » et suscitent dès lors moins d’attentes, d’où des expériences scolaires moins enrichissantes.
Qui plus est, les enfants issus de l’immigration supportent déjà, souvent, une image négative d’eux-mêmes, en raison du racisme et des expériences scolaires négatives. Ce sentiment d’infériorité a pour conséquence que les gens sont gênés de leurs sentiments et opinions et ne parviennent que difficilement à les exprimer, alors que c’est précisément ce que notre enseignement leur demande de faire. Cela peut conduire ensuite à un comportement passif, introverti, ou à un mimétisme par rapport aux comportements des personnes dominantes dans le groupe, dans l’espoir de susciter le respect. Dans tous les cas, c’est un abandon de personnalité, une aliénation. Face à ces enfants-là, beaucoup d’enseignants, d’éducateurs et de directions perdent confiance. Ils ne savent pas précisément comment les aborder, entre autres parce qu’ils ignorent (ne savent pas ou ne veulent pas savoir) les problèmes qui se cachent derrière ces comportements. Un enfant de l’immigration qui commet une faute d’orthographe lors d’un contrôle, même s’il ne s’agit pas d’un contrôle portant sur la maîtrise de la langue, sera corrigé parce qu’il « est important de bien assimiler le Français ». Chez un jeune Belge qui commet les mêmes fautes, elles seront peut-être ignorées parce qu’on suppose qu’il sait bien ce qu’on attend de lui. Bref, deux comportements contradictoires peuvent être induits pas les faibles espérances placées dans les enfants immigrés: soit on applique les critères plus strictement que pour les Belges (« pour les protéger contre la désillusion »), soit on les applique de manière plus laxiste, on les stimule moins (« ce qui compte, c’est qu’ils soient contents de venir à l’école; pour eux, le niveau des prestations n’est pas le plus important »).
Dans les deux cas, on risque de démotiver les élèves, de les faire décrocher ou de les orienter vers des filières inférieures.

Intégration

Enfin, le plus difficile et le plus important des examens que doivent passer chaque année les jeunes issus de l’immigration, c’est « l’examen d’intégration ». Bien plus que les Wallons, les Flamands ou les Bruxellois, il leur faut démontrer qu’ils sont bien « intégrés » dans notre culture. Il leur faut affronter les enseignants qui veulent les empêcher de porter le foulard ou de participer au Ramadan. D’ailleurs, même les enfants de la classe ouvrière belge partagent ce sentiment. Une mère disait à son fils: « si tu veux prouver que les pauvres aussi on droit au respect, tu devras travailler, et plus que les autres enfants ».

Conclusion

Ce sont précisément les enfants qui viennent d’un environnement socio-économique défavorisé qui devraient être le mieux accueillis dans notre enseignement. Maintenant, ils ne se sentent pas « chez eux » dans nos écoles. Cela renforce les sentiments d’infériorité qu’ils ressentaient déjà du fait de leur origine sociale ou ethnique, ainsi que la discrimination (ou la double discrimination pour les filles) qu’ils ont à subir. Ils doivent travailler plus durement, pour le même résultat, pour la même intégration. Pour ces enfants, il n’est pas évident d’être accepté. Or, un enfant qui se sent moins accepté aura aussi des prestations plus faibles. Ce processus commence dès l’école maternelle. Dans le film « Blue Eyed », un père afro-américain disait : « ce qui est triste, c’est que nous, gens de couleur, passions tellement de temps à combattre notre sentiment d’infériorité. C’est du temps et de l’énergie que nous pourrions utiliser pour étudier, par exemple. Les blancs le savent, et c’est très frustrant ». Il ne faut pas sous-estimer cette frustration qui peut, très vite, se transformer en colère.
Les écoles renforcent les inégalités par leur fonctionnement et leur structure. Les écoles ne savent pas comment aborder les enfants de l’immigration et les orientent vers des filières au rabais. Ce n’est pas, habituellement, l’effet d’une volonté de discrimination mais d’un manque de connaissance et d’attention pour les conditions de vie spécifiques de ces enfants, d’un manque de temps et de moyens et d’une absence générale de vision sur les conditions d’une démocratisation de l’enseignement.
L’école doit accepter chaque enfant tel qu’il est et croire en lui. Et l’enfant doit le sentir. Sans cela, il n’est pas possible de vaincre les inégalités dans l’enseignement. Cela signifie tout d’abord que nous devons croire dans la capacité qu’a chaque enfant d’apprendre. Cela signifie ensuite qu’il faut refuser la hiérarchisation de l’enseignement et défendre l’accès effectif de tous les jeunes aux savoirs. L’école pourrait être le tremplin d’une intégration réussie. En pratique, c’est le contraire qui se produit. Le système social entretient les inégalités qui font grandir le mécontentement.

Eric Gijssen

1 Steve Stevaert lors de l’émission de la VRT ‘Alleen op de wereld’, 14/01/2000.

1 COMMENT

  1. > Quatre formes de discrimination ethnique dans l’enseignement
    Bonjour, ma fille vient de subir une forme de discrimaination, elle a passé son oral de français, son examinatrice lui a demandé de quel lycée elle venait. Au son du lycée Jean XXIII , elle haussa les épaules et eu un petit ricanement, Pourquoi ne pas lui demander sa Religion ? La suite de l’examen se déroula de façon désastreuse, la correctrice oublia la question ce qui fît perdre du temps à ma fille, notait ouvertement des zéros aux éléments que ma fille n’avait pas encore présentés. Elle l’interrogea sur une lecture cursive : Rhinocéros, juste lu en cours (heureusement que ma fille avait fait des recherches), sur 27 lectures Analytiques dont 2 oeuvres intégrales, cette examinatrice lui a posé des questions très pointues Ex d’autres auteurs comme Ionesco, ma fille indiqua ne pas connaître , afin de passer à une autre question, mais le juge décida que l’oral était terminé, ponctué de remarques : tu es tellement nulle qu’il va falloir que je t’aide…… on va arrêter car j’ai autre chose à faire….tout en rangeant ses affaires , alors qu’un autre candidat suivait.
    Ma fille est une élève très sérieuse , qui travaille dure, oraux blancs 12 et 13 sur 20, que de bonnes appréciations, passe en TS
    Je ne trouve pas normal d’être jugée avant même d’être interrogée, de briser l’être humain de cette manière car elle vient du Lycée Jean XXIII
    Je décide donc en accord avec le Directeur d’écrire un courrier au rectorat de Rouen, car je souhaite que la note d’oral de ma fille soit revue. Car cette attitude de mépris sur l’origine scolaire ne relève pas de la discrimination philosophique et religieuse san ctionné par la loi ? Si il le faut j’en viendrais à un recours auprès du Tribunal Administratif, pour que des enseignants ne nourissent plus leur rancoeurs d’ancien temps contre un type d’enseignement lié à l’état.
    Vous remerciant de me lire, recevez Monsieur, mes salutations.

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