Inégaux devant l’école

Facebooktwittermail

Plusieurs années avant les premières études PISA, l’Aped avait organisé cette enquête inédite sur les inégalités sociales dans l’enseignement francophone belge.

Au moment où l’échec scolaire est régulièrement invoqué pour justifier une sélection plus stricte à l’entrée des filières et des niveaux d’études, il n’est pas inutile de rappeler que la réussite scolaire et l’orientation des élèves sont déterminés par leur origine sociale, bien plus que par de prétendues «capacités».

Malheureusement, si les statistiques officielles nous informent à propos des retards scolaires et de la répartition des élèves entre les différents types d’enseignement, elles restent obstinément muettes quand on les interroge sur l’ «efficacité» de l’école en tant qu’appareil de reproduction de la stratification sociale. Les dernières données disponibles remontent au début des années 80. L’enquête réalisée par J.P. Kerckhofs et moi-même, auprès d’un échantillon représentatif d’une vingtaine d’écoles de la province du Hainaut vient combler cette lacune.

Un acte d’accusation accablant à l’égard d’un système éducatif qui s’avère incapable d’offrir réellement « des chances égales à tous ». Les commentaires et les chiffres des dizaines de tableaux et de graphiques éclaireront tous ceux qui, par intérêt scientifique ou par souci de la démocratisation de l’enseignement, désirent se forger une image concrète de la sélection sociale dans l’enseignement francophone belge.

Cliquez ici pour visualiser cette étude

Quelques résultats

Dès la fin de l’enseignement fondamental, la différenciation sociale des résultats est frappante. Un élève dont le père est enseignant a près de huit chances sur dix de terminer l’école primaire avec une cote d’au moins 80/100. Les enfants de cadres ou de parents exerçant une profession libérale font un petit peu moins bien : 61% de résultats au-dessus de 80/100. Mais si le chef de ménage est ouvrier ou sans profession, alors cette probabilité tombe à trois ou quatre chances sur dix seulement.

Dans l’enseignement secondaire, ces inégalités de résultats vont se traduire par des redoublements et des réorientations. Dans leur dixième année d’étude (donc neuf ans après l’entrée en première primaire), plus de la moitié des enfants de parents ouvriers ou de parents sans profession ont déjà au moins un an de retard scolaire; parmi eux, presque un tiers ont redoublé plus d’une fois. A l’autre bout de l’échelle sociale, 66% des enfants de cadres ou de parents exerçant une profession libérale n’ont jamais redoublé. 5% seulement ont plus d’un an de retard scolaire. De nouveau, les enfants d’enseignants font figure de  » privilégiés « , avec  » seulement  » 27% de redoubleurs (dont 4% de récidivistes).

A la rigueur, on pourrait accepter cette situation si elle signifiait uniquement que les uns et les autres ne parcourent pas leur scolarité au même rythme. Si les redoublements permettaient aux plus  » lents  » de rattraper leur retard pour accéder finalement aux mêmes savoirs et aux mêmes compétences que les plus  » rapides « , pourquoi ne pas s’en accommoder ? Seulement, il n’en est rien. Outre que les vertus pédagogiques du redoublement sont largement contestables, il ne faut surtout pas perdre de vue que dans notre système scolaire, divisé en filières hiérarchisées, l’accumulation d’échecs scolaires se traduit finalement en réorientations vers l’enseignement technique ou professionnel. Dès lors, on ne s’étonnera pas de voir les inégalités de résultats prendre petit à petit la forme d’une ségrégation sociale.

En 6e année, tous les enfants sont évidemment encore dans l’enseignement  » général « . Mais dès la septième année d’études, une division hiérarchisante s’opère entre ceux qui accèdent à une  » première observation  » et ceux qui entrent dans l’enseignement secondaire via la  » première accueil « . Or, le graphique suivant nous montre combien cette sélection est socialement déterminée (le critère retenu ici est le diplôme du chef de ménage). Alors que, pour la plupart des catégories sociales, la  » première accueil  » reste une éventualité tout à exceptionnelle, il n’en va pas du tout de même pour les enfants dont le père n’a d’autre diplôme que celui de l’école primaire. En 7e année, 22% d’entre eux fréquentent cette  » première professionnelle  » qui ne veut pas dire son nom. Attention: les 78% restants ne sont pas pour autant tous arrivés en  » première observation  » : 21% sont encore en primaire, à la suite d’un redoublement !

Cette sélection sociale prend des proportions de plus en plus marquées à mesure que le temps passe. Au terme de 11 années d’enseignement obligatoire, seulement 19% des enfants d’ouvriers ont pu s’accrocher dans l’enseignement général. Les autres se répartissent à parts égales entre le professionnel et le technique. La situation est encore pire chez les enfants dont le père n’a pas de profession : 14% seulement sont restés dans le général (dont 3% en 6e, le reste a du retard) et 60% fréquentent l’enseignement professionnel (13% en 6e, 11% en 5e, 16% en 4e, 19% en 3e et 1% en 2e professionnelle).

Indice de réussite scolaire

En examinant le parcours scolaire des 1.852 élèves de l’enquête, nous avons attribué à chacun un  » indice synthétique de réussite scolaire  » : il s’agit d’une mesure unique de la situation scolaire, tenant compte à la fois des résultats en fin de primaire, des redoublements, de l’orientation et du moment où l’échec ou la réorientation surviennent dans la carrière scolaire. Sur cette base, les élèves ont été répartis en cinq catégories de réussite scolaire allant de  » bien  » à  » en échec « . Il s’avère que, sur base de ce critère, 70% des enfants d’enseignants et 60% des enfants de cadres, médecins ou notaires sont dans une situation scolaire au moins  » satisfaisante « . Ces pourcentages tombent à 34% chez les enfants d’ouvriers et à 22% chez les enfants de parents sans profession. Inversement, ces deux dernières catégories sociales comptent, respectivement, 43% et 58% d’enfants  » en échec  » ou  » faibles « , alors qu’on n’en dénombre que 23% chez les cadres et 19% chez les enseignants.

Echec scolaire et immigration

Les enfants d’origine immigrée réussissent moins bien à l’école que les jeunes Belges. Voilà une idée largement répandue. Que nous apprend notre enquête à ce sujet ?

Dans leur dixième année d’étude, 19,6% des enfants issus de parents belges ont plus d’un an de retard scolaire, contre 26,4% parmi les fils et les filles de parents originaires d’un pays de la Méditerranée ou du tiers-monde. En dixième année toujours, 53,8% des jeunes  » autochtones  » fréquentent l’enseignement général, contre 43,6% seulement des jeunes issus de l’immigration.

Mais nous venons de voir que l’origine sociale est un déterminant crucial de la réussite et de l’orientation scolaires. Or, les familles d’origine immigrée appartiennent, globalement, à des milieux beaucoup plus  » populaires  » que les familles belges. Notre enquête confirme ce point : les familles immigrées comptent 53% de chefs de ménage ouvriers, contre 22% dans les familles  » autochtones « . Inversement, il y a deux fois plus de cadres et de professions libérales chez les Belges.

Pour se forger une opinion exacte, il faut comparer la scolarité des élèves de différentes origines nationales à situation sociale identique. Deux choses sont frappantes. Premièrement, la variabilité des résultats selon l’origine sociale est nettement plus importante que la variabilité selon l’origine nationale. Deuxièmement, à niveau social égal, les jeunes issus de l’immigration réussissent systématiquement (un peu) mieux que les jeunes Belges d’origine. La même tendance peut être mise en évidence lorsqu’on observe la langue maternelle des parents au lieu de leur nationalité. En d’autres mots, il n’y a pas d’échec scolaire propre aux jeunes issus de l’immigration.

Cliquez ici pour visualiser cette étude

2 COMMENTS

  1. > Inégaux devant l’école
    je voudrais en savoir plus sur les auteurs de l’étude (qualification ? parcours) e éventuellement commander cette étude

    Merci

  2. > Inégaux devant l’école
    je voudrais savoir la méthodologie de la recherche utilisée par les chercheurs(Technique de récolte des données, d’analyse et d’interprétation des résultats). Est-ce que l’enquête a pu différencier la réussite scolaire de 1852 élèves selon leur sexe(filles et garçons)?. Car je suis curieux de vérifier si en Belgique les déterminants sociaux agissent positivement ou non sur la scolarisation des enfants selon qu’il soit garçon ou qu’il soit fille.

Comments are closed.