Gérer l’urgence… puis réinventer l’avenir

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L’urgence absolue est de sauver des vies et de préserver la santé de la population. La décision rapide de confinement prise par les autorités a été la bonne et nous devons tout mettre en œuvre pour la faire respecter. Mais à l’heure où des millions de personnes risquent de voir leurs revenus fortement amoindris, ou de se retrouver dans des situations de précarité exacerbées, l’urgence est également sociale. Plus que jamais.

Syndicats, mutuelles, mouvements associatifs, professeurs et citoyens engagés travaillent d’arrache-pied pour que personne ne soit oublié et pour dénoncer cette précarisation sociale.

Personnes précarisées, sans-papiers ou sans-abris luttant pour sauver leur peau, pour ne pas être infecté.e.s ou simplement pour manger. Travailleur.euse.s qui continuent à prester pour le bien de la population et qui doivent être protégé.es. Celles et ceux mis en chômage temporaire, temps partiels (dont énormément de femmes) qui risquent d’être encore plus lourdement sanctionné.es. Artistes et statuts précaires. Malades qui doivent être correctement indemnisé.es, pensionné.es qui doivent toucher leur pension… Personne, répétons-le, ne doit être oublié.

Des mesures d’aides aux entreprises et aux indépendant.e.s ont rapidement été décidées. Dédommagements financiers. Facilités de paiement. Avances en trésorerie. Accords avec les banques. Autant de mesures visant à préserver le tissu économique. Et c’est une bonne chose. Nous tenons à le souligner.

À condition cependant que ces aides ne soient pas au bout du compte à nouveau payées par la collectivité, au prix de nouveaux sacrifices.

À condition que cette crise ne soit pas un nouveau prétexte pour aggraver les atteintes aux libertés, individuelles et collectives, déjà fortement mises à mal ces dernières années. Avec le risque réel de mise en place de régimes autoritaires qui accentueraient encore les attaques contre les contre-pouvoirs et jetterait nécessairement les bases de politiques servant seulement des intérêts très particuliers.

Et à la condition essentielle de ne pas repartir dans cette course capitaliste folle qui nous mène droit dans le mur.

Les coupes opérées ces dernières années dans les services publics, dans le secteur associatif, dans la culture et la sécurité sociale, particulièrement dans les soins de santé, ont lourdement fragilisé la population. L’inconcevable épisode, toujours en cours, des masques de protection sacrifiés sur l’autel de l’austérité, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

L’État, en devenant un acteur économique focalisé sur les aspects budgétaires a rompu son contrat social avec les citoyen.ne.s. La santé étant tenue pour acquise en est l’exemple. L’intérêt collectif doit redevenir la priorité des politiques publiques.

Estimées à quelque 10 milliards, les aides d’urgences décidées à ce jour ne pourront en aucun cas venir justifier de nouvelles coupes dans notre sécurité sociale, nos services publics, le secteur associatif ou la culture. Sous couvert de réformes structurelles qui n’en finissent plus de creuser les inégalités et de préparer la crise suivante.

Et au-delà de la facture à présenter à ceux qui se sont enrichis ces dernières décennies, il faudra exiger une remise en cause fondamentale des politiques d’austérité. Notre message est clair: c’est sur de nouvelles bases qu’il faudra reconstruire, une fois sortis de cette crise mondiale.

Nous craignons fortement que ce ne soit pas la voie suivie par la task force économique décidée par la Première Ministre et chapeautée par la BNB. Si cette task force vise le retour rapide au « business as usual », en conservant l’obsession du « déficit structurel », la compétitivité et le libre-échange, elle nous amènera à repartir tête baissée dans la même voie sans issue. Tous les indicateurs nous le montrent, cette impasse est totale: écologique, climatique, économique, sociale et sanitaire.

Au-delà des task forces, c’est de femmes et d’hommes qui réfléchissent ensemble à replacer l’humanité au centre de l’équation dont nous avons besoin aujourd’hui. Pour reconstruire les équilibres indispensables entre développement économique, bien-être social et enjeux environnementaux. Sur de nouvelles bases. En sortant des logiques de profit à tout prix. Sans plus jamais faire d’économies sur la santé et la vie des gens. En luttant efficacement contre toutes les inégalités. En réinventant un avenir durable pour les générations futures.

Nous, signataires de cette carte blanche, ne voulons pas d’un « retour à la normalité », car cette normalité faite d’inégalités violentes, de mondialisation insensée, de marchandisation de la vie et de la résignation à la catastrophe écologique est aussi la source du drame que nous vivons. Nous sommes décidés à prendre nos responsabilités pour mettre en commun nos forces et nos volontés pour tenter de redéfinir ces bases. Au-delà des intérêts partisans. Dans l’intérêt général. Pour redessiner ensemble les contours d’une société plus juste, solidaire et durable.

(Ce texte, publié par le journal Le Soir, a été signé par plus de 330 personnalités, dont Nico Hirtt pour l’Aped. Retrouvez la liste complète ici)

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.