En septembre, les promesses de démocratisation scolaire se ramassent à la pelle

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Le PS, le MR et Ecolo vont donc former le nouveau gouvernement de la Fédération Wallonier-Bruxelles. Une première lecture à chaud de leur Déclaration de Politique communautaire ne laisse maheureusement guère planer de doute sur l’avenir de la politiques éducative francophone belge. Les réformes que l’on apportera au « Pacte d’excellence » l’éloigneront encore un peu plus de la perspective d’une école démocratique et émancipatrice.

 

Un texte largement consensuel

La déclaration de politique communautaire (DPC), c’est d’abord un gigantesque catalogue de belles intentions, sans guère de concrétisation et sans moyens. On va « permettre aux francophones de s’instruire et de se cultiver », « les encourager à devenir autonomes et responsables, à accomplir des efforts et à prendre part pleinement à la société », leur offrir « des possibilités de se réaliser, de prendre leur avenir en main, tant de manière individuelle que collective » et, bien entendu, on promet de « contribuer à la réduction des inégalités ». A en croire la note PS-MR-Ecolo, « tous seront tirés vers le haut, dans un esprit d’émancipation qui ne sera jamais pris en défaut et avec une volonté farouche de n’abandonner personne sur le bord du chemin ».

Voilà de belles paroles qui n’ont sans doute pas nécessité d’âpres négociations ! C’est tout juste si Ecolo a dû mettre un peu d’eau dans son vin pour accepter que « la poursuite du redéploiement économique » nécessite « des formations en lien avec le monde du travail » et « l’adéquation entre la formation et les métiers ». Quant au MR, il a dû concéder que la FWB « contribuera à rendre chacun conscient de l’urgence climatique et de la nécessité d’une transition écologique ».

Même sur le délicat sujet du Pacte d’Excellence, la note est tout d’abord très prudente, promettant de « maintenir une consultation et un dialogue », d’ « évaluer régulièrement les acquis et défauts du Pacte » ou encore de « veiller via un monitoring constant à sa soutenabilité (sic) financière ». 

Les trois partis soulignent un peu plus concrètement des aspects du Pacte qui ne suscitent guère d’opposition entre eux. Par exemple le renforcement des collaborations avec les régions « notamment dans le cadre de l’enseignement en alternance, de l’enseignement qualifiant et du développement du numérique au sein des écoles ». Ou encore la volonté de « renforcer quantitativement et qualitativement l’apprentissage des langues notamment en mettant en œuvre l’éveil aux langues dès la maternelle ».

Un tronc commun…

Mais là où l’on attendait réellement les nouveaux coalisés PS-MR-Ecolo, c’était évidemment sur le sujet de la prolongation du tronc commun.

Rappelons d’abord la position de l’Aped en la matière. Nous avons toujours été favorables à un tronc commun d’enseignement de longue durée, et ce pour deux raisons. Premièrement parce que c’est une condition pour que tous les citoyens puissent accéder au vaste bagage de savoirs qu’exige la compréhension d’un monde toujours plus riche et plus complexe et donc pour permettre leur participation effective aux débats et aux actions qui forgent ce monde. Deuxièmement parce que, dans notre société de classes, la sélection précoce contribue fortement à reproduire les inégalités sociales d’une génération à l’autre. 

Cependant, nous avons toujours été très critiques par rapport au tronc commun tel qu’il a été concocté dans le cadre du Pacte. Primo, il ne s’agit que d’un tronc commun « sur papier », c’est-à-dire dans les référentiels de cours, et non d’un tronc commun structurel. Aux termes du Pacte, notre enseignement reste divisé en écoles primaires et écoles secondaires, ces dernières se spécialisant généralement soit dans des filières de transition, soit dans des filières qualifiantes. Ainsi, à 12 ans, une majorité d’élèves choisissent déjà entre la voie de l’enseignement général et celle de l’enseignement technique ou professionnel. Un vrai tronc commun, structurel, impliquerait une séparation organique entre le secondaire supérieur spécialisé et le secondaire inférieur commun à tous. Secundo, le Pacte ne prévoyait guère la mise en place des moyens qui auraient permis de faire réussir un tel tronc commun. Si l’on veut réellement que les élèves poursuivent des études à peu près identiques et d’un bon niveau jusqu’à l’âge de 15 ans, il faut évidemment commencer par tout mettre en oeuvre pour éviter que ne grandissent les inégalités — essentiellement sociales — dans les années antérieures. Or, la cause première de ces inégalités réside dans la ségrégation sociale, elle-même liée étroitement au libre marché scolaire qui caractérise l’enseignement en Belgique. D’autre part, la réduction de la taille des classes dans les premières années d’enseignement, aux alentours de 15 élèves idéalement, est à nos yeux une condition essentielle pour permettre aux instituteurs de construire un rapport positif à l’école et aux savoirs scolaires chez tous leurs élèves. Or cela non plus, le Pacte ne le prévoit pas.

Dès lors, sans séparation structurelle et sans véritables moyens supplémentaires, le tronc commun risque de n’être soit qu’une illusion, un paravent derrière lequel l’inégalité réelle des formations se poursuivrait de plus belle, soit que la cause d’une nouvelle diminution des ambitions éducatives. Pire encore, il pourrait être les deux à la fois. Au mieux, ce serait la prolongation pour un an du non-tronc commun que constituent actuellement les deux premières années du secondaire.

…moins commun, moins structurel

Avant les élections, le MR s’était fait le champion des opposants au tronc commun. Non parce qu’il jugeait, comme nous, le projet insuffisant, mais au contraire, parce qu’il estimait qu’il allait déjà trop loin. Il a donc obtenu que le nouveau gouvernement réduise encore ses ambitions démocratiques en la matière : « le gouvernement veillera à renforcer l’orientation positive des élèves en vue de faciliter la transition vers la quatrième année de l’enseignement secondaire. Dans cet esprit, il demandera au comité de concertation du Pacte d’indiquer les modalités concrètes afin de renforcer les activités orientantes en troisième année de l’enseignement secondaire, sans affaiblir les apprentissages de base. » La DPC poursuit : « Les établissements scolaires pourront adapter ces activités orientantes aux élèves qui le souhaitent par une réorganisation des cours qui permettrait aux établissements qui le souhaitent d’accorder quatre semaines spécifiques sur l’année et/ou une période s’échelonnant tout au long de l’année ». Désormais, pour la troisième année, on ne parle donc plus de tronc commun mais de « tronc commun modalisé ». Ainsi, les écoles secondaires qui organisent des filières qualifiantes pourront commencer à y préparer leurs élèves dès la troisième. Par rapport à ce que prévoyait initialement le Pacte, on n’ira donc pas vers un tronc commun davantage structurel mais, au contraire, vers un renforcement de la division structurelle entre les filières.

Pareillement, lorsque le gouvernement annonce que l’épreuve externe en sixième année de l’enseignement primaire (celle qui accorde le CEB) restera « obligatoire » et « certificative », il assure la pérennité d’une barrière structurelle entre le primaire et le secondaire inférieur. La seule disposition tendant vers un tronc commun structurel donne bien la mesure du courage et des ambitions démocratiques de ce gouvernement : on va « envisager » la « possibilité » de numéroter les années du tronc commun « afin de bien marquer le continuum pédagogique ». On ne passera donc plus de la « sixième primaire » à la « première secondaire », mais, par exemple, de la « huitième » à la « neuvième » année du tronc commun. Comme si la numérotation suffisait à assurer un continuum pédagogique…

Un marché scolaire encore plus libéral

Le MR a également toujours été le porte-parole des familles bourgeoises et petites-bourgeoises qui ne veulent en aucun cas entendre parler d’une limitation de leur « liberté de choix » en matière d’école. Pour des raisons électoralistes, il avait donc promis d’abroger le décret inscriptions en première secondaire, tout en sachant fort bien qu’un retour à l’anarchie de la non-régulation est totalement impossible. La DPC réussit donc le tour de force d’annoncer d’une part l’abrogation du décret inscription, tout en promettant d’autre part un nouveau décret où « seront maintenus les critères prioritaires d’inscription dans un établissement : l’inscription d’un membre supplémentaire d’une fratrie et l’inscription d’un élève dont un des parents est membre du personnel prestant dans l’établissement. Seront également maintenus le formulaire unique d’inscription, la période d’inscription et un mécanisme d’inclusion d’au moins 20% de publics précarisés. ».  En clair, on changera le nom du décret, on donnera un peu plus de liberté de choix aux parents sous couvert « d’adhésion au projet pédagogique » et on conservera du décret précédent ses aspects créateurs de « mixité sociale » …c’est-à-dire presque rien du tout.

On était déjà à des lieues d’une véritable gestion démocratique des inscriptions scolaires, qui garantirait à chaque enfant, du début à la fin de la scolarité de tronc commun, une place assurée dans une école proche et socialement équilibrée. Mais avec les promesses de la nouvelle DPC, on s’éloigne encore un peu plus de cet idéal.

Pas de moyens

Quant à libérer les moyens matériels — encadrement, conditions de vie à l’école, infrastructures — que nécessiterait la réussite d’un vrai tronc commun, il n’en est évidemment pas question. Il faudrait pour cela refinancer la FWB par des emprunts ou par une révision de la loi de financement. On promet certes de « généraliser la mise en place de la remédiation immédiate et personnalisée » ainsi que d’intégrer « deux périodes d’accompagnement personnalisé dans la grille horaire des élèves ». Mais à moyens constants, cela ne pourra se faire qu’au détriment des contenus de formation et des heures de cours « ordinaires ». A défaut, on refile la patate chaude aux écoles en promettant de « veiller à l’inclusion au sein de chaque contrat d’objectifs de mesures visant à lutter contre l’échec » et en multipliant les « évaluations formatives tout au long de l’année ». C’est sans doute en grande partie pour la même raison d’indigence budgétaire que la réforme de la formation initiale des enseignants est « postposée d’un an ». Le gouvernement compte en « évaluer le coût » et examiner « son intégration dans la trajectoire budgétaire ».

Un ersatz de formation polytechnique

Reste finalement la question cruciale des contenus d’enseignement. La vision de l’Aped en la matière est ambitieuse : apporter à tous une formation théorique et pratique du niveau de celle que les élites sociales réservent traditionnellement à leur progéniture, tout en y intégrant ce qui fait aujourd’hui défaut dans toutes les filières, qu’elles soient générales ou professionnelles : une formation polytechnique entendue comme la compréhension des bases scientifiques, techniques, sociales et économiques des rapports de production qui fondent et caractérisent notre société. Il s’agit par exemple de comprendre l’électricité dans ses aspects pratiques ou quotidiens — démonter un moteur, connecter un câble, utiliser un transformateur — mais aussi dans ses bases physico-chimiques ainsi que dans ses aspects industriels et socio-économiques. Idem pour les transports, l’agriculture, l’alimentation, la construction, etc. L’unité entre théorie et pratique en vue de « comprendre le monde pour le transformer » s’étendrait ainsi du cercle étroit de la vie quotidienne jusqu’aux vastes sphères des problématiques globales, mondiales. 

Certains ont cru un peu vite que le Pacte d’excellence, parce qu’on y retrouve le mot « polytechnique », allait répondre positivement à cette vision. En réalité, il s’agissait essentiellement d’introduire un peu de technologie dans les programmes afin de favoriser une orientation « positive » vers les filières techniques d’enseignement.

La DPC confirme cette tendance. Le gouvernement dit vouloir encourager les « dimensions polytechniques » du tronc commun « afin d’aboutir à une véritable orientation positive pour tous les élèves, notamment en favorisant les collaborations avec les acteurs extérieurs (entreprises, centres de formation, institutions et associations culturelles, etc.) ». Et la seule technologie qui fait l’objet d’une attention particulière concerne « les compétences numériques comme savoir à part entière ». Manifestement, c’est l’alimentation du marché du travail qui constitue le souci premier, et non la formation citoyenne et critique.

Au service de l’économie

Pareillement, lorsque la note évoque la possibilité d’intégrer « des activités favorisant la connaissance des métiers et la découverte du monde du travail (stages d’observation, etc.) au cours de toute la scolarité », cela reste toujours dans l’esprit d’une meilleure orientation ou sélection (« s’essayer à différentes pratiques », « valoriser et développer les compétences et atouts de chacun », « revaloriser l’image des filières et des métiers techniques »), jamais d’une compréhension plus vaste et plus approfondie du monde qui nous entoure.

Enfin, sans surprise, ce gouvernement dopé par l’idéologie MR veut une « réforme de l’enseignement qualifiant en concertation avec les acteurs » et « revoir l’offre d’options en mettant en avant celles qui sont le plus porteuses d’emplois » (notamment celles « s’inscrivant dans la transition sociale et écologique » a fait ajouter Ecolo). Il n’y a là rien de critiquable en soi. Mais cela participe d’une conception qui réduit l’enseignement qualifiant à une fabrique de main d’oeuvre, sans grande ambition de formation générale.

L’un des aspects de cette réforme concernera l’enseignement en alternance, dont le gouvernement souhaite ouvrir l’accès aux jeunes de 15 ans qui ont achevé la deuxième secondaire (donc sans avoir terminé le tronc commun). On voit mal comment cette relégation, cette anticipation de l’échec probable du tronc commun, pourrait être compatible avec la promesse de « faire de l’alternance un parcours d’excellence »…

Conclusion

Depuis plus de vingt ans, les politiques éducatives sont dominées par une vision utilitariste et marchande. Dans un environnement économique marqué par l’imprévisibilité, la polarisation sociale, l’austérité budgétaire et le développement inégal des attentes en termes de formation, l’école est sommée de réduire ses coûts, de se concentrer sur les « fondamentaux », de privilégier l’adaptabilité et la flexibilité (la sienne propre et celle des futurs travailleurs et consommateurs). Ce processus de marchandisation et de rationalisation de l’enseignement implique d’élargir le champ des compétences de base aux langues étrangères, au numérique, à l’esprit d’entreprise, à la flexibilité, afin d’en faire des compétences élémentaires, mais universellement partagées, et non plus des qualifications pointues et coûteuses pour les employeurs. Structurellement, il se traduit par la promotion d’une formation commune rallongée mais minimaliste. 

Cette vision, qui reflète les intérêts collectifs des classes possédantes et des grandes entreprises, entre cependant parfois en contradiction avec les attentes individuelles des familles bourgeoises (« nos propres enfants riches d’abord ») et d’un patronat plus traditionnel (en quête de main d’oeuvre qualifiée très spécialisée et bon marché). L’essentiel des débats autour du Pacte d’excellence et des rééquilibrages actuels obtenus par le MR reflètent ces contradictions au sein de la bourgeoise.

Le seul mérite de la DPC est d’avoir clarifié cela. Il est maintenant grand temps que les vrais progressistes défendent leur vision : les enfants du peuple n’ont pas besoin d’une réussite scolaire facile ou d’un tronc commun au rabais ; ils n’ont pas besoin d’une adéquation école-travail qui n’a qu’un impact marginal et individuel sur l’accès à l’emploi ; ils ont besoin qu’on les forme, qu’on les éduque, qu’on les instruise, afin qu’ils puissent comprendre l’exploitation et l’injustice, afin qu’ils puissent s’organiser et les combattre jusque dans leurs fondements. 

L’école démocratique, ce n’est pas une question de bienveillance ou d’efficience ; elle ne se résume pas à une quête d’excellence et d’équité. C’est avant tout une exigence d’émancipation. Pour tous.

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.