CEB et Histoire : la dérive des compétences

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Les questions proposées aux élèves pour s’exercer en préparation du CEB, notamment en histoire, témoignent de l’indigence dramatique qui a résulté de l’approche par compétences. Elles illustrent combien cette approche est contraire à la pédagogie constructiviste dont elle se réclame pourtant.

Dans Le Soir de ce jeudi 30 avril, nous retrouvons les questions de la série « Objectif CEB ». Remarquons au passage que si on avait voulu angoisser les enfants face à l’échéance de leur examen de fin de primaire, on n’aurait pas pu mieux s’y prendre que ne l’ont fait nos médias. Plus possible d’ouvrir un journal, d’allumer la télévision ou la radio, de faire ses courses… sans être assailli d’offres destinées à « préparer un CEB sans stress ». « Surtout ne stressez pas : grâce à nous, vous avez toutes les chances de réussir »… L’enfant qui, jusque là, voyait arriver le test avec sérénité, finira bien par s’inquiéter face à ce déluge de préparations destinées à… le rassurer.

Mais passons. Ce qui m’a interpellé ce matin, en lisant les questions du thème « Histoire » dans Le Soir, c’est l’illustration du délire où nous a plongés l’approche par compétences.

Par exemple, une des questions consiste à indiquer, sur une « ligne du temps », la vie de quatre personnages : Marie de Hongrie, Charles Quint, Marie de Bourgogne et Charles le Téméraire. Rassurez-vous, on n’attend pas des enfants qu’ils sachent les dates de naissance et de mort de ces quatre individus. Ça, c’eut été du délire à la mode ancienne, quand le cours d’histoire consistait (parfois) à mémoriser des listes de dates. Non, ici, le « portfolio » présentait une courte biographie des quatre personnages, y compris les années de leur naissance et de leur décès (ou une information du genre : « …est décédée la même année que… »). Sur la ligne de temps, les vies de nos quatre célébrités locales sont indiquées par quatre zones grisées où l’enfant n’a plus qu’à noter les initiales du personnage correspondant.

Mais que teste-t-on de la sorte ? La connaissance de l’Histoire ? Non. La compréhension des contextes politiques, sociaux ou culturels, des causalités et des contradictions qui font cette Histoire ? Encore moins. Ce test permet seulement d’évaluer la capacité d’extraire une information d’un texte et la capacité de positionner un point sur un axe. Il s’agit d’un double test de lecture et de mathématique élémentaires. Mais pas d’un test d’Histoire.

La plupart des autres questions sont à l’avenant. Par exemple, on montre deux photos prises dans les rues de Bruxelles à l’annonce de la capitulation allemande en 1945. Sur base de ce « portfolio », les élèves doivent se prononcer par rapport à diverses affirmations en répondant : « oui », « non » ou « la photo ne permet pas de se prononcer ». Exemple de proposition : « on pouvait éclairer les rues » (je suppose que c’est « oui », parce que sur certaines photos on voit des lampadaires). Ou : « personne ne circulait à vélo » (sur une photo on voit un homme à vélo !). Ou encore « la dame qui lit le journal est heureuse » (mais on ne voit pas son visage, donc la photo ne permet pas de se prononcer). Tout cela constitue au mieux un test d’observation (regarder attentivement une photo) et de logique (si je vois un vélo, il n’est pas exact que « personne ne circulait à vélo »). Mais on les présente comme des questions sur le thème « fin de la deuxième guerre mondiale ».

Le journal « Le Soir » n’est pas en cause. C’est bien ainsi que les programmes imposent aux enseignants de travailler depuis la réforme de l’approche par compétences. Les savoirs, historiques ou autres, ne sont plus des objectifs d’apprentissage, ce ne sont plus que des prétextes pour exercer des compétences générales.
Je comprendrais fort bien (et applaudirais) si, dans une démarche de construction de savoirs, un enseignant donnait à ses élèves des portfolio et des questions comme ceux que je viens d’évoquer. Le travail sur les images et les textes de référence, le questionnement y relatif, sont alors des outils, des instruments, pour faire découvrir des faits, des relations ou des contextes historiques. Mais ici, on renverse complètement cette logique.

Conclusion. L’approche par compétences ce n’est pas du constructivisme, c’est du constructivisme à l’envers !

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.