Finlande, Suède : le déclin des modèles ?

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Depuis plus de dix ans, le modèle éducatif «scandinave» est vanté de par le monde en raison de sa capacité à concilier un haut niveau de performance moyen dans les test internationaux, avec une faible disparité sociale des résultats : «efficacité et équité» comme on dit aujourd’hui dans le jargon des sciences de l’éducation. Mais à étudier l’évolution sur dix ans, la Suède et la Finlande filent désormais un bien mauvais coton : le développement rapide des marchés scolaires commence en effet à y nuire gravement à l’équité, sans pour autant booster la qualité.

Depuis la fin des années 90, beaucoup de pays ont mis en place des politiques plus libérales en matière de recrutement des écoles. C’est notamment le cas de la Finlande et de la Suède.

En Finlande, où l’affectation des élèves aux écoles se faisait de façon automatique en fonction du lieu d’habitation, on a commencé à introduire une certaine «liberté de choix» dans le chef des parents à partir de 1998. Qu’on ne s’y trompe pas : cette liberté n’a toujours rien à voir avec le véritable marché scolaire que nous subissons en Belgique. En Finlande les autorités locales continuent d’assigner chaque élève à une école spécifique et ce n’est que dans la mesure où, au terme de ce processus, il reste des places libres dans l’un ou l’autre établissement que les parents ont éventuellement la possibilité d’y inscrire leur enfant. C’est en gros le système que l’Aped préconise pour la Belgique.

Néanmoins, cette liberté de choix, bien qu’encore limitée, semble avoir suffi pour faire émerger des écoles «sélectives» dans certains centres urbains. Des recherches menées au cours des années 2003-2006 ont démontré que le choix des parents a conduit à «une forme de ségrégation des populations d’élèves sur base du niveau d’éducation des parents, de leur statut socio-économique, de leur revenu et ce de façon plus marquée que ce ne serait le cas avec une simple affectation des élèves sur base géographique».[[A. West et A. Ylönen, « Market-Oriented Reforms in School-based Education in England and Finland », CESifo DICE Report, no 4, 2011.]]

La Suède avait connu un système éducatif très progressiste et égalitaire, similaire à celui de la Finlande, jusqu’au début des années 90. Mais entre 1991 et 1994, un gouvernement conservateur s’attacha à en saper les fondements au nom de la «liberté de choix» des parents. Il introduisit notamment un système ultra-libéral consistant à doter les parents d’un chèque scolaire qui leur permettait de scolariser leur enfant où ils le voulaient, dans l’enseignement privé ou public, subventionné ou non. Quand la social-démocratie revint au pouvoir en 1994, elle ne fit rien pour annuler ces dispositions. Ainsi, le secteur privé se développa-t-il progressivement, sous la forme de «free schools». En 1991, on n’en comptait que 60; en 2000, elles étaient 709. Le nombre d’élèves des free schools est passé de 20.000 en 1996 à près de 100.000 en 2010. Diverses études réalisées entre 2000 et 2009 ont montré que cette libéralisation de l’enseignement suédois n’avait en aucune façon amélioré les performances moyennes des élèves, contrairement à ce qui avait été escompté par ses promoteurs et contrairement à ce que des études partielles (et sans doute partiales) avaient affirmé dans un premier temps. En revanche, ces études indiquent que «le libre choix de l’école en Suède a augmenté la ségrégation sociale et ethnique, particulièrement dans les zones les plus défavorisées». Selon certains chercheurs, cette augmentation de l’inégalité pourrait être renforcée par «la tendance à l’individualisation des apprentissages scolaires, qui transfèrent la responsabilité des professeurs vers les élèves.».[[S. Wiborg, « Swedish Free Schools: Do they work? », Centre for Learning and Life Chances in Knowledge Economies and Societies- Research Paper, no 18, 2010.]]

Ces évolutions en Finlande et en Suède éclairent d’une lumière très intéressante une étude que vient de publier l’OCDE[[OECD, “Are Countries Moving Towards More Equitable Education Systems?,” PISA in Focus, vol. 02, 2013.]], qui analyse l’évolution des systèmes éducatifs sur le plan des performances moyennes et de l’équité sociale. L’étude est basée sur l’évolution des résultats PISA entre 2000 et 2009.

Si l’on examine d’abord un instantané actuel de la situation des pays en matière d’équité et d’efficacité, on obtient le graphique ci-dessous (cliquez pour agrandir). Les pays sont rangés verticalement en fonction des performances moyennes des élèves en lecture (en haut les meilleurs, en bas les moins bons) et horizontalement en fonction de l’écart de performance entre les élèves des classes sociales supérieures et ceux des classes populaires (à droite, les pays qui présentent une forte disparité de résultats selon l’origine sociale, à gauche les systèmes éducatifs les plus équitables).

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Il n’y a pas de surprise à ce stade. La Belgique affiche comme on sait des performances globales assez moyennes et une énorme inégalité sociale : la plus forte en Europe, après la Bulgarie et la Hongrie. La Finlande a un score global très élevé et elle est le champion européen de l’équité (avec les Etats baltes). En revanche, la Suède a un score plutôt moyen pour les deux indicateurs puisqu’elle se situe près du centre du graphique (là où se croisent les moyennes OCDE).

Rappelons que jusqu’au début des années 90, Suède et Finlande partageaient des systèmes éducatifs à peu près identiques et que la Suède a commencé à introduire le libre marché plus tôt et d’une façon plus radicale que la Finlande. Or, on est en droit de supposer qu’il faut une dizaine d’années — la durée de scolarisation obligatoire d’une génération — pour que les effets de réformes profondes commencent réellement à se faire sentir. On a d’ailleurs vu que la libéralisation du marché scolaire en Suède en 91-94 ne se traduisit que dans les années 2000-2009 par une explosion des «free schools».

Aussi, là où l’étude de l’OCDE devient réellement interpellante c’est lorsqu’elle examine comment les divers systèmes éducatifs ont évolué en dix ans, depuis les premières enquêtes PISA, tant sur le plan des performances globales que sur celui de l’équité. Dans le coin inférieur droit du second graphique (cliquer pour agrandir) on trouve les pays où les performances ont particulièrement diminué et où l’inégalité des résultats s’est particulièrement accrue. Et parmi eux on trouve… la Finlande et la Suède !

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Conclusion : depuis la publication des premiers résultats PISA en 2000, de nombreux analystes avaient épinglé les bonnes performances des pays scandinaves, particulièrement de la Suède et de la Finlande, notamment sur le plan de l’équité de leurs systèmes d’enseignement. Mais les explications divergeaient. Certains, comme nous-mêmes, y voyaient l’effet d’une politique éducative fortement régulée, sans marché scolaire. D’autres brandissaient au contraire les réformes récentes dans le sens d’une plus grande liberté de choix de parents. Or, quand on observe (1) que cette dérégulation a été introduite d’abord et plus radicalement en Suède qu’en Finlande, (2) que dès 2000 le système suédois s’avère moins égalitaire que le Finlandais et que (3) ces deux pays ont vu leur degré d’équité chuter très fortement depuis 2000, force est de conclure que le «miracle éducatif» de ces pays doit tout aux systèmes fortement régulés hérités des années 60-70 et que, à l’inverse, les dérégulations récentes entraîneront — et entraînent d’ores et déjà — un recul inexorable sur le plan de l’équité.

La Finlande exemple à suivre ? Sans doute de moins en moins…

Nico Hirtt

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.

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