La CPU ou comment condamner l’enseignement qualifiant

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Marie-Dominique Simonet, tel qu’elle le déclare elle-même, a pour « ambition de refonder l’enseignement qualifiant en valorisant tout son potentiel de formation au service des jeunes et du développement social, économique et culturel de nos régions »[[Référentiel expérimental 3ème degré technique esthéticien(ne), p.2, juin 2011.]]. Projet pharaonique qui s’articule autour d’une grande réforme dans l’enseignement qualifiant : la certification par unités d’acquis d’apprentissage autrement appelée CPU mise en action depuis septembre 2011. Mais, concrètement, que recouvre cette certification ? Comment est-elle mise en place dans les écoles ? Quelle place laisse-t-elle à la formation commune ?

Professeur de français dans l’enseignement qualifiant depuis près de 15 ans, j’ai vu défiler les « nouveaux programmes », les socles de compétences, les profils de formation,… avec lesquels il fallait plus ou moins adroitement jongler. Les appellations changeaient, cependant, la structure intrinsèque de mes classes restait la même. Mais, aujourd’hui, une réforme plus profonde de l’enseignement qualifiant m’interpelle et m’inquiète vivement. Il s’agit de la CPU mise en application, dans mon école, dans le troisième degré technique esthéticien(ne) et dans le troisième degré professionnel coiffure.

Une scission dangereuse entre cours généraux et cours d’option

Tout d’abord, la CPU modifie très nettement l’horaire des élèves car les cours généraux sont regroupés sur deux jours et les cours de l’option sur le reste de la semaine, tout comme dans les CEFA. Cette scission a plusieurs conséquences :

  • Les élèves sont amenés à « subir » deux journées complètes de cours plus théoriques qui, auparavant, étaient ventilés sur quatre jours et demi. La concentration et l’application ne sont évidemment plus de mise en fin de journée et les élèves se sentent submergés par les savoirs à acquérir.
  • Le corps professoral est divisé : d’une part, les professeurs de cours généraux et, d’autre part, les professeurs de cours d’option. Cette séparation se retrouve également dans les conseils de classe, puisque les professeurs de l’option délibèrent entre eux lors des épreuves de qualification (3 par année). De leur côté, les professeurs de cours généraux se réunissent, mais à quoi bon, pour lister les résultats dans les cours de la formation commune. Il n’y a donc plus de vue d’ensemble de l’élève et il n’est plus du tout question d’envisager humainement l’élève qui, très souvent, vit des choses difficiles. La communication est ainsi coupée et le fossé entre cours généraux et cours d’option se creuse dangereusement.

La formation commune oubliée

La cellule CPU, mise en place par Mme la Ministre, s’est concentrée sur la formation professionnelle, s’appuyant sur les profils de formation et de métiers construits par le Service Francophone des Métiers et des Qualifications (SFMQ). Mais quelle place donner à la formation commune ? Question essentielle qui, cependant, a tout simplement été oubliée. Il suffit de lire les textes de référence pour s’apercevoir que rien n’a été envisagé. Ainsi, cette même cellule souligne le fait que « la question de la formation générale dans l’enseignement qualifiant se révèle très complexe puisqu’elle repose sur un référentiel des compétences et savoirs communs qui vise surtout les compétences citoyennes »[[« Quelle est la place de formation générale dans la CPU ? » http://www.cpu.cfwb.be/index.php?id=1261#c4087]], compétences qui nous sont très chères, mais qui ne semblent pas essentielles pour les patrons qui, toujours selon les mêmes références, « souhaitent engager aujourd’hui et demain […] des jeunes maîtrisant les connaissances de base en lecture, en écriture, calcul, pour pouvoir effectuer les tâches professionnelles attendues, mais aussi pour pouvoir s’adapter aux modifications de leur métier au fil du temps, et pour pouvoir progresser au sein de l’entreprise ». Tout est dit, la contradiction est claire : les patrons attendent de leurs travailleurs une formation professionnelle assortie de quelques connaissances de base tandis que nous, professeurs, voulons former des citoyens dignes de ce nom, capables de comprendre le monde et d’agir pour le transformer.

Comment, dès lors, Mme la Ministre envisage-t-elle de mettre fin à cette contradiction ? En construisant de nouveaux référentiels de connaissances générales indispensables à l’exercice des compétences professionnelles, tout simplement. Ceux-ci seront orientés, comme précisé par la même cellule CPU, car il n’est pas question d’augmenter le clivage entre les cours de la formation professionnelle et ceux de la formation générale où, statistiquement, les échecs sont plus nombreux ! Dès lors, faisons d’une pierre deux coups : introduisons dans les unités de formation professionnelle les connaissances minimales de la formation générale, ce qui permettra donc de réduire les échecs tout en formant de « bons » travailleurs prêts pour le marché.

Des référentiels sur mesure !

Cette vision des choses est intolérable et hypocrite. Les référentiels sont remaniés pour, en apparence, sauvegarder une formation générale qui n’en a plus que le nom. Ainsi, concrètement, le référentiel de français pour les esthéticien(ne)s, un des seuls rédigés à l’heure actuelle, nous donne un aperçu de ce qui nous attend. Ce référentiel est articulé, tout au long de la 5ème et 6ème années, sur cinq axes : la prise en charge du client, la pose du diagnostic, l’accompagnement du client durant les soins (maitrise de la conversation), le conseil et vente des produits et des services et l’entretien téléphonique et fixation de rendez-vous. Ces cinq compétences sont présentées dans un verbiage pédagogique tout au long de vingt pages consternantes.[[CPU – esthéticien(ne) – Référentiel de français – juin 2011, pp. 91-112. ]] Le cours de français est vidé de sa substance et orienté vers le profil de formation professionnelle.

L’objectif est clair : l’enseignement qualifiant doit former des travailleurs « clés sur porte » et il n’est plus du tout question de former des citoyens critiques aptes à maitriser la langue et capables d’analyser et de pouvoir raisonner.

Une fois les cours généraux vidés de leur substance, l’enseignement qualifiant, fort coûteux, n’aura plus raison d’être et pourra être remplacé par un enseignement type CEFA ou IFAPME. Nous allons donc, à plus ou moins long terme, vers la mort de l’enseignement qualifiant. Or nombreux de mes élèves, ayant « échoué » dans notre enseignement qualifiant après des « réorientations », ne sont pas demandeurs d’une telle formation professionnelle. Ils attendent de l’école une formation générale les ouvrant sur le monde et leur permettant de faire des choix réfléchis pour leur avenir.

Formation parcellaire et remédiation

Les points soulevés ne sont pas les seuls aspects du problème. On pourrait aussi parler de la certification partielle des unités, qui mettrait sur le marché de l’emploi des travailleurs ayant acquis certaines unités de formation et devant, à leurs frais, continuer à se former. On pourrait aussi évoquer l’absence de moyens mis en place pour la remédiation car, théoriquement, les élèves ayant échoué dans une unité pourraient bénéficier d’une remédiation pour cette seule unité, sans devoir recommencer les autres, ce qui est inconcevable dans l’organisation actuelle de notre enseignement.

L’application de la CPU me semble, dès lors, absurde et dangereuse pour l’avenir de mes élèves. Il faut réagir, maintenant, pendant la phase expérimentale, et ne pas, une fois de plus, rester passifs et subir une réforme que nous refusons. Ne soyons plus les bons « petits soldats » de la Communauté française !