Une enseignante fait part de son expérience en classe

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Nathalie (prénom d’emprunt) est prof de français et de sciences humaines dans le secondaire technique et professionnel (2e, 4e et 5e), options industrielles. Mariée et mère de trois enfants, deux grandes filles et un jeune ado. Elle travaille dans la région liégeoise. Comment a-t-elle décidé d’aborder l’homosexualité et l’homophobie dans ses cours ?

N : J’en ai eu assez des injures entendues régulièrement, auxquelles je réagissais bien sûr, mais de façon immédiate et limitée. Je me devais de faire plus et de voir pourquoi ces insultes appartenaient à leur langage quotidien. Je me suis aussi rendu compte qu’un élève était sans doute homo. En tout cas, il était extrêmement mal à l’aise quand des réflexions ou des insultes homophobes étaient prononcées. J’ai donc voulu parler de l’homophobie mais aussi de toutes les formes de discrimination. Partir de l’homophobie pour susciter le débat, élargir le propos et lutter contre tous les préjugés – sexistes et racistes bien sûr, mais aussi vis à vis de toutes les différences : habillement, look, attitudes…- dont souffrent certains élèves.

ED : Quelle a été ta démarche ? Comment t’y es-tu prise ?

N: J’en ai parlé à un collègue ouvertement homosexuel qui m’a signalé que toutes les écoles secondaires avaient reçu un dossier très complet édité par la Communauté française (C.F.) intitulé : « Combattre l’homophobie » et que ce dossier devait se trouver à la salle des profs, où je l’ai trouvé. Je m’en suis donc servi cette année de la façon suivante : en réagissant sur le vif à une réflexion d’un élève vis à vis d’un autre, j’ai annoncé vouloir aborder la question et élargir le débat. J’estimais que c’était mon rôle d’enseignant de me préoccuper du bien-être de mes élèves et de les voir s’épanouir socialement. Si des élèves visés par de telles injures le vivaient mal, je n’avais pas à l’accepter!

Dans un premier temps, j’ai fait toute une introduction à l’aide des première et seconde parties du dossier de la C.F. sur le rôle d’intervention de l’école en cas de souffrance d’un élève, quelles qu’en soient les raisons, et que cela allait au delà du problème de l’homophobie.

Ensuite, j’ai fait quelques exercices à l’aide de la 3e partie du dossier, entre autres l’activité n° 7, « Les mots qui font mal », et l’activité n° 9, « Je dis non aux préjugés ». Mais cette année-ci, je compte inverser la démarche : partir d’activités de la 3e partie du dossier pour en arriver en conclusion au rôle de l’école.

J’ai également utilisé un film qui montre la vie au quotidien de trois grands adolescents dont deux sont explicitement homosexuels : Beautiful Thing (NDLR : référence Médiathèque C.F. : VB1368). Le film est intéressant à plus d’un titre parce que le milieu social décrit correspond assez bien à celui de nos élèves : banlieue d’une grande ville, difficultés économiques, chômage, conflits familiaux, etc.

ED : Aurais-tu des commentaires à faire sur l’utilisation du dossier de la C.F. ?

N: C’est un bon serviteur, un excellent outil, à adapter suivant la personnalité de l’enseignant. Il permet de faire sentir aux élèves que l’enseignant veut aussi aller au delà de l’homophobie en soulignant qu’il ne s’agit pas d’un petit « débat » mais d’un véritable cours qui s’inscrit dans la durée. Plusieurs périodes de cours sont nécessaires. On peut même à l’occasion faire la lecture de certains passages et laisser s’exprimer les élèves sur des événements qu’ils ont retenus ou vécus, des choses qu’ils ont lues ou entendues, comme ce fait divers, l’histoire du gay qui s’est fait agresser chez lui par un homophobe qui s’était introduit dans à sa maison pour y mettre le feu…

ED : N’as-tu pas eu l’idée de faire appel à une structure ou à un témoignage extérieurs à l’école ?

N : Les élèves de notre école vont déjà dans un centre de planning familial pour jeunes, le SIPS à Liège, où ils apprennent, entre autres informations, l’existence du CHEL, cercle des jeunes homos – ou bi – liégeois, ouvert à tous. J’ai aussi pensé inviter en classe des témoins sur divers thèmes – dont des homosexuel(le)s pour aborder l’homophobie. J’ai trouvé qu’il serait intéressant de ne pas annoncer aux élèves le sujet pour lequel cette personne – témoin serait là. J’avais même imaginé, histoire de démontrer l’absurdité et la bêtise des préjugés, que les élèves me disent après le cours qu’au début de celui-ci, ils ne s’étaient pas doutés de l’orientation sexuelle de la personne invitée. J’aurais donc pu leur dire : « Évidemment! Vous croyez pouvoir mettre une étiquette sur le front des gens ? » (*)

ED : Faut-il un environnement spécial : type d’écoles, collègues … et des connaissances particulières, voire être homo, pour aborder ce sujet en classe ?

N : Non, bien sûr, il faut seulement être à l’aise avec sa propre sexualité. Par exemple, moi, je parle d’un sexe comme d’un nez ou d’une bouche, en utilisant le vocabulaire adéquat. J’en parle d’ailleurs comme de n’importe quel autre sujet. Bien sûr, j’ai aussi lu quelques articles scientifiques, j’ai assisté à une conférence, j’ai suivi l’une ou l’autre émission à la télé, mais le dossier de la C.F. donne déjà toutes les informations nécessaires.

ED: Quelle a été la réaction des élèves ?

N: Très négatives dans l’immédiat : commentaires moqueurs, rires, etc. En fait, c’est le démarrage qui est difficile. Mais après avoir dépassé ces réactions instinctives et superficielles, ils se sentent interpellés et certains même perturbés en me voyant en parler si facilement : « Madame, si vous en parlez, c’est que vous en êtes ! » Mais je refuse ces questions personnelles, c’est ma vie privée. Si je parle de l’excision, ils ne me demandent pas si je suis concernée. Ils me rétorquent alors que je suis mariée, mère de famille… Ce à quoi je réponds que cela ne signifie pas pour autant que je ne suis pas homo. Je les mets volontairement mal à l’aise pour leur démontrer qu’ils jugent sur les apparences. Il y a eu aussi des réactions beaucoup plus violentes : « Si j’avais un fils homo, je le tuerais! » Certaines familles sont très opposées à l’homosexualité, quand c’est possible d’en parler… et le sujet est complètement tabou. D’autres garçons expriment aussi des fantasmes : deux filles ensemble ou un homme avec deux filles, c’est beau ! Mais deux hommes ensemble, ça les dégoûte. En les faisant prendre conscience que statistiquement il y a autour d’eux des élèves ou des profs qui ont une vie homosexuelle révélée ou pas, je leur dis que ça ne les regarde pas s’ils ne le disent pas. Et qu’ils ne sont pas nécessairement des « appâts » pour eux – toujours cette peur de la différence, comme dans le racisme. « Vous ne les intéressez peut-être pas non plus ! » Si un gay vous aborde en boîte en posant sa main sur votre épaule, ça a le même effet que pour moi quand je me fais draguer par un homme qui ne me plaît pas.

Il ne faut pas se sentir agressé, tous les homos ne vont pas vous draguer ou tomber amoureux de vous ! L’homosexualité n’est pas un vice, c’est une réalité, point!

De même, lors de la vision du film, très pudique, Beautiful Thing, certains ont manifesté leur malaise en feignant de s’en désintéresser, mais lors de la seconde moitié du film (deuxième heure de cours), c’était déjà différent. Bien sûr, quand arrive la scène du baiser entre les deux garçons, les élèves sifflent, mais finalement ce n’est ni plus, ni moins que pour une scène hétéro identique.

ED : Réactions des collègues, de la direction, des parents ? Réactions dans d’autres classes ?

N : J’ai eu un échange avec un collègue étonné de ma démarche, que par ailleurs il a fini par approuver… La direction, elle, a bien accepté ; elle a même marqué son accord pour l’invitation de témoins. Et du côté des parents, aucune réaction. Un seul incident à signaler : dans une classe, on a arraché et jeté en boule à terre une affiche du CHEL que j’avais apposée sur le mur du fond, parmi d’autres affiches, Oxfam, Amnesty… J’ai dit alors aux élèves que certains avaient dû être terriblement dérangés par cette affiche au point de l’arracher. J’ai précisé que cela ne faisait rien et que j’en avais d’autres en réserve. Et j’en ai placé une nouvelle, avec l’aide de certains élèves, bien en vue, en hauteur et difficilement accessible, au dessus du tableau. Elle y est toujours!

ED : Quels sont les résultats de cette démarche et du travail accompli ?

N : Tout d’abord, cela prouve qu’il est possible d’aborder ce sujet avec l’aide d’un outil tel que le dossier de la C.F. (NDLR : si votre école ne le possède pas ou plus, il est toujours disponible en téléchargement sur le site de la C.F.) Ensuite, cela a eu un impact certain sur les élèves, même si je manque de retour et de preuves concrètes. Il faudrait étudier cette année-ci si les élèves ont évolué. J’ai tout de même entendu, un peu plus tard dans l’année scolaire, des élèves en parler et manifester leur étonnement à l’annonce du licenciement, pour cause d’homosexualité, pensaient-ils, d’un professeur, qui aurait été victime d’homophobie… Je suppose donc qu’ils ont été sensibilisés à la question. Mais le fait d’avoir abordé le sujet en classe n’a pas non plus provoqué l’afflux d’élèves venant me confier leurs problèmes!

(*) NDLR : à la limite, que cela se voit ou non, où est la différence ? Les noirs sont noirs, ils ne peuvent le cacher. Pourquoi un gay devrait-il à tout prix masquer son éventuel efféminement et une lesbienne, son éventuel côté viril ?!

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