Au chevet de l’école congolaise

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Le système éducatif de la République Démocratique du Congo (RDC) est en crise depuis plus de deux décennies. Telle est la leçon essentielle qui se dégage du numéro spécial de la revue Ecole Démocratique consacré à l’évaluation de l’éducation pour tous en RDC d’ici 2015. Selon les textes contenus dans ce numéro, non seulement l’école congolaise ne dessert pas, comme il se doit, la population scolarisable, mais encore elle se déprécie de plus en plus qualitativement, de telle sorte que les acquis des élèves laissent fort à désirer, en même temps que se dégrade au fil des années le métier d’enseignant.
Que faire pour redresser la qualité de ce système ?

Autour de cette question, les réflexions contenues dans la revue précitée proposent diverses pistes de réponses. Certaines insistent sur la détermination nationale, faite autant de la volonté politique, de la détermination gouvernementale, que de la détermination populaire autour de la question éducative; d’autres mettent plutôt l’accent sur la nécessité de mener au préalable une importante recherche qui établirait minutieusement l’état des lieux actuel de l’école congolaise ; d’autres encore soutiennent la restauration préalable de la dignité du métier d’enseignant….

Toutes ces propositions, et bien d’autres non préconisées dans cette publication, sont de nature à inciter à l’amélioration de l’efficacité du système éducatif de la République Démocratique du Congo ; l’état de la dégénérescence de ce système étant si avancé que tout y paraît aujourd’hui prioritaire.

Dans le présent texte, notre attention porte singulièrement sur l’instauration de la pédagogie active et participative comme l’un des moyens susceptibles de contribuer significativement au redressement de la qualité de l’école congolaise. La réflexion s’appuie sur la session de formation organisée à Kinshasa par la coordination nationale des écoles conventionnées protestantes du 24 octobre au 5 novembre 2005 à l’intention des coordonnateurs provinciaux et communautaires, session consacrée justement à la pédagogie active et participative.

Après avoir décrit brièvement les styles didactiques qui prédominent actuellement en RDC, et leurs principales conséquences, nous allons faire allusion à la pédagogie active et participative, telle qu’enseignée aux participants de l’atelier de Kinshasa, comme l’une des solutions aux problèmes auxquels l’école congolaise se trouve aujourd’hui confrontée.

Des styles didactiques en RDC et leurs conséquences

Plusieurs facteurs influent sur la qualité d’une école : l’environnement dans lequel elle fonctionne, l’interaction maître-élève, les conditions matérielles, pédagogiques, la qualité des maîtres, etc. Même si aucun de ces facteurs n’est en théorie plus efficace que d’autres, Carron & Ta Ngoc Châu (1998) notent que les différences des résultats entre écoles sont davantage liées à la qualité du maître qu’à la disponibilité de l’équipement. Un maître est efficace lorsqu’il possède, entre autres, un style d’enseignement plus actif. Suivant ce style, l’apprenant est mis en situation-problème et construit lui-même son savoir.

Il est impliqué dans des situations qui lui permettent d’utiliser ses compétences et de les faire évoluer au cours de la formation. Par conséquent, le rôle de l’enseignant change fondamentalement par rapport au style transmissif; il favorise des recherches et anime la confrontation des résultats. Il ne s’agit donc plus de faire la leçon mais d’organiser des scénarios d’apprentissage qui permettent aux élèves de travailler et de développer leurs connaissances. « Ce rôle requiert des compétences fines d’observation et d’évaluation, une capacité à prendre de la distance tout en étant présent à chaque instant » (Forster, 2005, p.38).
Est-ce ce style qui prédomine dans les écoles congolaises aujourd’hui ? Si non quels styles didactiques y prévalent-ils le plus : le modèle transmissif ou encore les méthodes interrogatives?

Pour avoir des éléments de réponse à ces questions, interrogeons d’abord la littérature scientifique afférente avant d’évoquer ce que nous renseigne l’observation de la réalité quotidienne des salles de classes.

De la recherche sur les styles didactiques

Faute de synthèses des recherches effectuées dans toutes les institutions universitaires de la RDC, notamment dans les facultés de psychologie et des sciences de l’éducation et dans les instituts supérieurs pédagogiques, nous nous référons uniquement aux études réalisées à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Kisangani.

Au cours des décennies 70 et 80, plusieurs recherches se sont intéressées, au sein de cette faculté, à l’étude des styles didactiques (Nzundu : 1973, Paluku : 1974, Luhahi & Kitumba : 1976, Kumakamba : 1977, Kalala : 1979, Bypa : 1982, Ndandula : 1987, Yangoy : 1989…), particulièrement sous l’impulsion du professeur Lumeka. La quasi-totalité de ces études ayant abouti pratiquement à la même conclusion, nous résumons ci-après la plus récente d’entre elles, à savoir la recherche de Yangoy.

Dans cette étude, le chercheur a procédé à la description des comportements didactiques tels qu’ils se déroulent dans les classes en dégageant ceux qui sont les plus caractéristiques. Il a dû, pour cela, observer 42 leçons d’arithmétique, 42 leçons de français et 27 leçons des sciences assurées par 27 enseignants de tous les trois degrés de l’école primaire (élémentaire, moyen et terminal). Au terme de la recherche, il a été constaté que l’enseignant congolais se maintient au centre de l’action éducative et son style est dominé par la transmission des connaissances d’une manière magistro-centrique.

Fondée sur la conception qui considère l’apprenant comme un être à dresser et non à faire germer et éclore, cette didactique a des conséquences néfastes sur la formation et l’avenir de l’apprenant. Peut-on attendre d’une personne formée dans une didactique dirigiste l’esprit d’initiative, de recherche, voire de participation ? Peut-on s’attendre à ce qu’un Congolais formé au moyen de cette didactique, de l’école primaire à l’université, puisse être inventif et qu’il soit plus tard apte à participer efficacement à la réalisation des travaux qui nécessitent l’implication d’un groupe ?

De l’observation quotidienne des salles de classes

Il suffit d’observer les salles de classes congolaises pour découvrir à quel point la conclusion tirée par Yangoy est pertinente. Pour paraphraser Paulo Freire (1980), on peut dire que la relation entre l’enseignant et l’élève congolais est essentiellement verticale, fondée sur le fait que l’enseignant est celui qui sait et l’élève celui qui ne sait pas. L’enseignement se réduit dans ces classes à des communiqués que le premier fait et que le second enregistre. Il ne s’agit donc pas d’une véritable communication entre deux personnes qui interagissent et s’enrichissent mutuellement.

Outre le modèle transmissif, on enregistre également dans les classes congolaises la méthode interrogative. On y est donc loin des méthodes actives, comme le souligne si éloquemment le témoignage ci-après d’un participant à l’atelier de Kinshasa :

« Habitué aux méthodes pédagogiques traditionnelles, je me disais certainement : ce sont les mêmes choses que je vais encore suivre. Curieusement, au fur et à mesure qu’on évoluait avec cette formation, les thèmes développés m’ont semblé intéressants au point où la fatigue n’a pas eu sa place. Je dois reconnaître que la méthode utilisée souvent dans nos écoles, à savoir la méthode dite active, n’est rien d’autre que la méthode interrogative que le formateur qualifie de micro-agression. J’ai alors compris la différence qui existe entre la pédagogie active et participative et la méthode interrogative.»

On sait cependant avec Paccolat (2002, p. 28) que dans la méthode interrogative, comme dans la méthode magistrale, l’enseignant reste le cerveau moteur de la leçon.

L’atelier de Kinshasa

Du 25 octobre au 5 novembre 2005, 21 responsables des écoles conventionnées protestantes venus des quatre coins de la RDC, auxquels se sont joints deux inspecteurs et un professeur d’université, ont pris part à une session de formation portant sur la pédagogie active et participative. Pour l’organisateur de la session et les formateurs, il s’agit là d’une stratégie importante : former dans un premier temps les responsables avant de former les enseignants. L’objectif de la session était clair : outiller les participants en techniques de la pédagogie active et participative. Autrement dit, il était question d’amener ceux-ci à acquérir peu à peu des méthodes leur permettant de faire des apprenants de véritables moteurs de leur propre apprentissage.
Pour ce faire, les formateurs, Monsieur et Madame Grêt, deux consultants de l’organisme allemand Evangelischer Entwicklungsdienst (EED), ont eux-mêmes eu recours aux techniques de la pédagogie active et participative. Alors que les participants s’attendaient à vivre deux semaines d’écoute et de passivité, deux semaines d’exposés magistraux, les formateurs ont plutôt réussi à les faire travailler pendant toute la durée de la formation.
De manière générale, la méthodologie utilisée par les formateurs peut être schématisée en quatre étapes progressives : La présentation de la tâche, le travail individuel et/ou en groupe, la restitution et la synthèse.

a) La présentation de la tâche

Cette première phase consiste à présenter aux participants la tâche à réaliser. En d’autres termes, il s’agit de leur présenter les consignes qui décrivent la nature du travail à accomplir, soit individuellement, soit en groupe. A ce niveau, il est important que les consignes soient dans la mesure du possible claires et précises.

C’est ici que l’on peut procéder à un bon mariage entre la méthode expositive et les méthodes actives. En effet, lors de l’exposition de la tâche, notamment pour la présentation d’une notion toute nouvelle et particulièrement inconnue des apprenants, l’enseignant a la latitude de recourir à un bel exposé. Ainsi, comme l’admet la didactique moderne, le mariage entre le modèle transmissif et les méthodes actives est tout indiqué dans le processus enseignement-apprentissage.

b) Le travail individuel et/ou en groupe

A la lumière des consignes présentées à la première étape, les participants exécutent individuellement ou en groupes, le travail demandé. S’agissant du travail en groupe, il est pratiquement incontournable compte tenu du fait qu’il permet aux apprenants d’échanger et de se compléter. Très souvent, les erreurs commises ou les difficultés éprouvées par chaque apprenant au cours du travail individuel trouvent des solutions lors du travail en groupe.

c) La restitution ou la mise en commun

Après que les membres d’un groupe aient échangé entre eux, vient généralement la mise en commun. Celle-ci consiste en la présentation du résultat du travail effectué en groupe à l’ensemble de l’auditoire. La restitution n’est pas faite simplement par une personne, mais elle est produite par tous les membres d’une équipe. C’est aussi un moment important au cours duquel des échanges fructueux s’effectuent entre les apprenants, évidemment sous la conduite des formateurs.

d) La synthèse

Animée par les formateurs, la synthèse revient à la présentation de la solution au problème posé au départ. Très souvent, les participants se rendent compte que cette solution ne s’écarte pas trop des résultats de leur travail réalisé à travers les étapes b et c.

Comme on peut bien le remarquer, cette méthodologie s’appuie adéquatement sur la règle d’or qui devrait, de l’avis de Jean Marie De Ketele, guider tout éducateur : « parler moins, faire agir plus et observer pendant ce temps ». Quoi d’étonnant que cette méthodologie ait fortement émerveillé les séminaristes de l’atelier de Kinshasa, dont la plupart sont pourtant des psycho-pédagogues. Cela se lit aisément à travers les deux témoignages ci-après, pris ici à titre d’illustration :

« En tant qu’inspecteur d’enseignement ayant dans mes fonctions la charge de former et d’évaluer, j’étais curieux dès le départ de connaître de quoi il serait question, s’agissant de la pédagogie active et participative. Dès le premier contact avec les formateurs, j’ai été émerveillé par leur façon de transmettre la matière qui, malgré son abondance, ne fatiguait pas les séminaristes : ils pratiquaient justement cette méthode de la pédagogie active et participative pour laquelle la grande partie des leçons était travaillée en groupes par les apprenants. C’est pour moi une joie de découvrir la pertinence de la pédagogie active et participative pour son efficacité dans la transmission des connaissances. Faire participer les apprenants à la découverte de la difficulté est une bonne façon de faire, car on oublie difficilement ce que l’on a trouvé soi-même ».

« La pédagogie active et participative m’a ébloui car elle m’a permis de jauger mes connaissances dans ce domaine. Après deux semaines de formation, je me suis vu dans le miroir. Et celui-ci m’a montré mes défaillances. Qu’allais-je devenir si j’avais persévéré dans ma façon de concevoir la pédagogie ? J’allais tout simplement devenir un éducateur qui cherche à dicter à tout prix son savoir aux élèves, professeurs et parents alors que ceux-ci disposent d’un bagage intellectuel qui ne sollicite qu’un déclic ou une soupape. Je suis content de disposer de quelques armes qui vont me permettre d’améliorer mes méthodes d’enseignement ».

Autant les participants à l’atelier de Kinshasa ont été intéressés par la méthodologie exploitée par les formateurs, autant ont-ils également été émerveillés par la diversité des thèmes traités pendant les deux semaines de formation. Au départ, les participants s’attendaient à recevoir une matière qui serait principalement axée sur la didactique. Mais les différents thèmes traités pendant les deux semaines de formation ont touché aux aspects aussi variés que la psychologie, la méthodologie, la communication, l’organisation, les conflits, le traumatisme, la gestion des classes et l’évaluation. Une variété qui répond bien au profil des participants qui, pour la plupart, sont des responsables. Au-delà de ce fait, la variété des thèmes abordés montre que pour qu’il accomplisse avec succès son rôle d’éducateur, l’enseignant, plus qu’un didacticien, doit autant disposer d’un important bagage des connaissances en psychologie, en communication, etc.

Disons à ce propos un mot sur le burn-out, un thème extra-didactique, qui, de par sa pertinence et son actualité, a particulièrement retenu l’attention des participants. Pour bien comprendre ce thème, partons du texte support utilisé par les formateurs au cours de l’atelier.

« Un jour un ami vient me voir et dit : Il y a six ans, j’ai obtenu un poste de travail dès la fin de mes études. La chance était avec moi. J’allais enfin être enseignant. J’étais plein d’enthousiasme et tout me semblait rose. Enfin j’allais gagner ma vie, être utile, entrer dans le monde des adultes ! La première année, tout était nouveau. J’ai travaillé intensément. Préparer les cours, corriger les copies, j’avais très peu de temps pour moi. Je voulais que tout soit parfait. La deuxième année, je pensais avoir un peu plus de facilité mais, très vite, j’ai réalisé que le temps filait toujours aussi vite. Les problèmes avec les collègues, les élèves, les parents se sont ajoutés et je me trouve au début de ma septième année d’enseignement, fatigué moralement, avec une sérieuse envie d’être ailleurs que là où je suis et avec une question lancinante : « Ai-je choisi la bonne profession ? » « Suis-je à la bonne place ? », ou encore : »Suis-je (déjà) en burn-out ? »

Oui, qui de nous n’éprouve pas ce sentiment ? Qui, dans la carrière enseignante en République Démocratique du Congo, ne connaît pas cette expérience d’une « âme en deuil de son idéal ? ». Il s’agit là justement du phénomène de burn-out, c’est-à-dire l’épuisement que peut connaître le professionnel qui commence sa tâche très motivée et avec une bonne dose d’illusions. Que faire pour combattre ce phénomène ? Voilà une question intéressante abordée lors de l’atelier de Kinshasa, évidement à la lumière de la méthodologie présentée plus haut.

Comme toute formation, celle de Kinshasa s’est achevée sur une note de conclusion et d’évaluation. La conclusion donnée par les formateurs est de plus instructive et conforme à la pédagogie active. Elle exhorte, à travers le poème ci-après de Jean Gabin, à ne pas avoir l’esprit de suffisance en matière de savoir, et donc à poursuivre sa propre formation.

Maintenant je sais
Quand j’étais gosse, haut comme trois pommes,
J’parlais bien fort pour être un homme
J’disais, JE SAIS, JE SAIS, J’disais, JE SAIS.

C’était l’début, c’était l’printemps
Mais quand j’ai eu mes 18 ans
J’ai dit, JE SAIS, ça y est, cette fois JE SAIS

Et aujourd’hui, les jours où je m’retourne
J’regarde la terre où j’ai quand même fait les 100 pas
Et je n’sais toujours pas comment elle tourne !

Vers 25 ans, j’savais tout : l’amour, les roses, la vie, les sous
Tiens oui l’amour ! J’en avais fait le tour !

Et heureusement, comme les copains, j’avais pas mangé tout mon pain
Au milieu de ma vie, j’ai encore appris
C’que j’ai appris, ça tient en trois, quatre mots

Le jour où quelqu’un vous aime, il fait très beau,
J’peux pas mieux dire, il fait très beau !

C’est encore ce qui m’étonne dans la vie,
Moi qui suis à l’automne de ma vie
On oublie tant de soirs de tristesse
Mais jamais un matin de tendresse

Toute ma jeunesse, j’ai voulu dire JE SAIS
Seulement, plus je cherchais, et puis moins j’savais

Il y a 60 coups qui ont sonné à l’horloge
Je suis encore à ma fenêtre, je regarde et j’m’interroge.

Maintenant JE SAIS, JE SAIS QU’ON NE SAIT JAMAIS !

La vie, l’amour, l’argent, les amis et les roses
On ne sait jamais le bruit ni la couleur des choses
C’est tout ce que j’sais ! Mais ça, j’le SAIS

N’est-ce pas sur ce sentiment d’insatisfaction intellectuelle que devrait déboucher toute formation authentique ? Cela est-il possible sans le recours à la pédagogie active et participative ?

A l’issue de cet atelier, les témoignages rendus par les participants et qui constituent une forme d’évaluation de la formation, ont consisté tous en l’expression claire de leur grande satisfaction. Tel est le cas de ce témoignage :
« En quittant chez-moi, j’ai cru que je serai devant une formation traditionnelle ex-cathedra, du début jusqu’à la fin de cette formation sur la pédagogie active et participative. J’ai senti, je ressens et j’ai vécu l’importance du travail en groupe. En neuf jours, sans être lassés, les formateurs nous ont appris une trentaine de thèmes. Parmi les thèmes suivis lors de cette formation, nombreux sont ceux qui touchent aux problèmes que moi j’ai vécu, je vis et vivrai encore dans ma vie professionnelle et sociale…Bref, cette formation est extraordinaire pour moi ».
La PAP et l’amélioration de la qualité de l’école congolaise
La phase historique que traverse actuellement la République Démocratique du Congo, après plus de quatre décennies de son accession à la souveraineté nationale et internationale, est marquée par plusieurs défis : défi de la reconstruction ou du développement, défi de la démocratie, de l’unité nationale, de la paix, et nous en passons. Pour relever ces défis, qui s’ajoutent évidemment à ceux auxquels fait face l’ensemble de l’humanité à l’aube de ce troisième millénaire, la RDC doit compter, entre autres, sur son système éducatif.

Cependant, ce dernier est lui-même miné par de nombreuses difficultés aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Au plan qualitatif, par exemple, l’école congolaise connaît un énorme déficit du « travail scolaire ». Elle a cessé, depuis très longtemps déjà, d’être le lieu où « bien travailler pour un élève suppose l’acquisition et l’accomplissement d’une multitude de routines dans des situations très diverses : l’évaluation formelle, les devoirs à domicile, les exercices individuels, les situations de recherche, la participation aux discussions collectives, le travail en groupes, etc. » (Houssaye, 1999, p. 576). Ce déficit de travail scolaire est entre autres favorisé par une pédagogie dominée par l’enseignant, reléguant les élèves dans un rôle passif, une pédagogie qui n’encourage pas l’apprentissage coopératif et le développement de la pensée critique et des compétences de résolution des problèmes

Pour qu’elle soit le fer de lance de la phase de reconstruction du pays et qu’elle appuie efficacement l’instauration de la démocratie et de l’unité nationale, l’école congolaise doit, de ce fait, simultanément ouvrir davantage ses portes et devenir progressivement et résolument une véritable école de qualité. Mais qu’est-ce qu’une école de qualité ? Question difficile qui donne lieu à des réponses multiples. Réponses qui, selon Lumeka (1985, p. 127), sont signe de notre hétérogénéité de pensée, de conception, de goût… Qu’à cela ne tienne ! On peut néanmoins s’accorder avec cet auteur lorsqu’il estime que pour le développement autocentré de l’Afrique, l’école efficace est celle qui fournit à l’élève les savoirs de base, lui apprend à s’auto-instruire, entretient sa créativité et accompagne son être dans sa totalité.

Plus concrètement, une école de qualité est celle qui, au seuil de ce 21ème siècle, « assure une formation qui permette à l’individu de découvrir, d’éveiller et de fortifier son potentiel créateur…une école qui permette à chacun de mieux comprendre son environnement, sous ses divers aspects, favorise l’éveil de la curiosité intellectuelle, stimule le sens critique et permette de déchiffrer le réel en acquérant l’autonomie du jugement » (Delors et al, 1998, p. 85). Une telle école doit donc être assise sur ce que la Commission Delors appelle les quatre piliers de la connaissance, à savoir, apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, à vivre avec les autres et apprendre à être.
Ainsi que le note cette commission, pour améliorer la qualité de l’éducation, il faut d’abord améliorer le recrutement, la formation, le statut social et les conditions de travail des enseignants. Cette idée de la commission Delors a été bien rappelée en 2005 par l’Internationale de l’éducation et la confédération syndicale mondiale des enseignants lors de la journée mondiale des enseignants dans une déclaration intitulée « Des enseignants de qualité pour une éducation de qualité ».
Les enseignants congolais ne peuvent être efficaces aujourd’hui, et donc permettre à l’école congolaise d’être efficace, que si, sur le plan de la didactique, ils pratiquent la pédagogie active et participative. Ainsi, le modèle transmissif ne peut amener les élèves à maîtriser les savoirs de base, à s’auto-instruire, à développer la créativité, à apprendre à connaître, à faire, à vivre ensemble et à être.
Il faut donc que l’apprentissage de la pédagogie active et participative soit incorporé dans les programmes de formation initiale et continue des enseignants du primaire, du secondaire et des institutions d’enseignement supérieur et universitaire si l’on veut que l’école congolaise soit efficace et permette à la nation de relever les multiples défis qui sont les siens aujourd’hui. Aussi, des initiatives analogues à celle de la coordination nationale des écoles conventionnées protestantes sont-elles à encourager, voire à étendre à l’ensemble du système éducatif de la République Démocratique du Congo. Par bonheur ce vœu a été également émis par le délégué du ministère de l’enseignement primaire et secondaire dans une allocution prononcée lors de la clôture de l’atelier de Kinshasa. Nous espérons que ce vœu incitera à des actions concrètes eu égard au fait que le Congo n’a actuellement que trop peu besoin de discours pour son développement.

Références bibliographiques

APED (2005, novembre). Ecole démocratique, hors série.
Carron, G. & Ta Ngoc Châu. (1998). La qualité de l’école primaire dans des contextes de développement différents. Paris : UNESCO.
Delors, J. et al. (1998). Éducation : un trésor est caché dedans. Paris : UNESCO.
Forster, S. (2005). Quels enseignants pour quelle école ? Educateur, 6, 38-39.
Freire, P. (1980). Pédagogie des opprimés. Paris : Maspero.
Houssaye, J. (1999). Travail. Dans J. Houssaye (Éd). Questions pédagogiques. Encyclopédie historique. (pp. 575-586). Paris : Hachette.
Lumeka, L. Y. (1985). Auto-perception des enseignants du Zaïre. Contribution à la socio-psychologie professionnelle des enseignants dans les pays en développement. Kinshasa : Eca.
Paccolat, J.F. (2002). Didactique générale. Lausanne : Institut de Pédagogie Suisse pour la Formation Professionnelle.
Yangoy, (1989).
Notes
Professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Kisangani, Coordonnateur de l’APEQ (Association pour la promotion d’une école de qualité). Tél : +243812003140, Courriel : gratienmok@yahoo.fr