Rapport Thélot: quelques pistes de réflexion….

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Le gouvernement a décidé de réformer en profondeur notre système éducatif. La loi qui va être soumise au débat au parlement début janvier ne sera pas un simple aménagement technique, mais un ensemble de propositions et de choix politiques dictés par des orientations définies par le Président de la République, le Premier Ministre et la majorité parlementaire.

A la lecture du rapport Thélot écrit pour « aider à la réflexion du gouvernement » nous voyons qu’il s’inscrit dans une cohérence d’ensemble d’un projet politique qui remet en cause notre système de protection sociale, le code du travail et les droits des salariés dans l’entreprise notamment en ce qui concerne les licenciements, le droit de grève, la réforme de la fiscalité et la privatisation de services publics ou encore la politique sécuritaire menée par Perben et Sarkozy. Ces choix sont en conformité avec les orientations néo-libérales ou social – libérales qui prévalent en Europe. Ils seraient aggravés si le projet de traité constitutionnel était adopté. Précisons aussi que nous retrouvons des similitudes dans ce qui est annoncé dans le rapport Thélot et ce que suggère l’OCDE.

L’avenir de l’Ecole est en jeu et le débat doit s’ouvrir à l’intérieur de l’ensemble des forces progressistes politiques syndicales ou associatives. Tout le monde pourrait s’accorder sur un constat : il faut changer l’Ecole, mais changer l’Ecole ou changer d’Ecole ? et dans quelle direction doit aller le changement? Et si nous commencions par cette question : Quel est le rôle de l’Ecole ? Former la future force de travail en ne prenant comme critères que les impératifs économiques ou éduquer, transmettre des connaissances vues comme le patrimoine commun de l’Humanité pour que l’individu en construisant les savoirs se construise aussi comme sujet comme citoyen ? Il me semble que la mission de l’Ecole doit permettre à l’ensemble d’une classe d’âge d’acquérir des connaissances et des compétences, ce que l’on pourrait appeler « une culture commune ». Or tout nous indique que le gouvernement tourne le dos à cette visée, puisqu’il abandonne l’objectif de 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. Le rapport considère même qu’un minimum de connaissances peut suffire pour occuper des emplois de services émergeants « requérant des qualifications fondées sur le savoir- être et la relation à autrui » (page 23). Cependant pour que ce minimum soit atteint il faut que l’Ecole devienne « un espace pacifié » et il faut aussi « garantir l’ordre et restaurer la confiance et le respect » et « amener chacun à se maîtriser, se conformer aux règles communes. » (p 37). On a l’impression d’entendre le discours sécuritaire de l’ancien ministre de l’intérieur !

En fait ces propositions ne visent qu’une catégorie de jeunes, les jeunes de milieu populaire, ceux dont les parents vivent dans la précarité de revenus, de travail et de logement. On rêve de jeunes bien polis mais peu formés, du moins pour un certain nombre, puisqu’une partie de la jeunesse pourra continuer à suivre des études de qualité dans de bonnes conditions avec un haut niveau de savoir. En somme on nous prépare une école à deux vitesses « le monde de l’entreprise à travers son instance sur les règles de socialisation dans le processus de formation d’actifs qualifiés paraît plus demander en éducation que d’autres acteurs ou partenaires de l’Ecole. ». Si l’on comprend ce que les mots veulent dire, la réussite de l’Ecole se mesurera à l’aune de l’employabilité de ses élèves !

Les bases de ce rapport sont très critiquables sur bien des aspects car il imprime dans ses fondements la visée néo-libérale avec l’idée d’un kit culturel de survie, une refonte du métier d’enseignant qui s’inspire d’une démarche populiste mais qui ne règle rien sur le fond. Ce rapport prend appui sur de vrais problèmes et une réelle inquiétude des élèves, des parents et des enseignants pour apporter des solutions qui doivent être dévoilées pour être mieux combattues, car les propositions tournent frontalement le dos à la construction d’une Ecole démocratique au service de tous les élèves. L’attaque libérale forme un ensemble cohérent qui vise à la fois la gestion du système éducatif et les contenus d’enseignement. C’est sur ces deux terrains simultanément qu’il faut agir et construire ensemble un projet politique pour l’Ecole.

Je crois aussi qu’il faut tordre le cou aux faux débats, par exemple celui opposant républicains et pédagogues où certains louent les vertus de l’école d’autrefois qui était plus méritante « parce qu’au moins on faisant des dictées, on apprenait à compter et à lire », alors qu’aujourd’hui avec le pédagogisme « tout fout le camp ». Soyons sérieux ! et ne nous trompons pas de débat. De quelle pédagogie parle-t-on ? de quelle école dans quelle République alors qu’aujourd’hui nous retrouvons des similitudes de mises en cause dans plusieurs pays européens qu’ils soient républicains ou non. L’acte pédagogique quel qu’il soit n’est jamais neutre. La question qui me paraît fondamentale est de considérer que chaque enfant, chaque élève a un potentiel intellectuel immense et que l’Ecole doit éveiller ce potentiel, solliciter l’intelligence dans tous les apprentissages, rompre avec la logique de restitution des savoirs au profit d’une logique de compréhension, d’appropriation et de construction des savoirs. Or lorsque le ministre de l’Education propose d’en revenir au « lire écrire compter » il annonce ostensiblement un parti pris pédagogique qui n’est pas innocent. Est-ce que des dizaines de dictées permettent de s’approprier la grammaire d’une langue ? De quelle sorte de dictées parle-t-on ? S’il s’agit de faire de la dictée un moment d’apprentissage solidaire, car le savoir est une conquête difficile qui exige attention et rigueur, je pense que la dictée peut être utile. Si au contraire il s’agit d’évaluer les bons et les mauvais pour trier socialement dès l’école primaire la dictée a une autre fonction qu’il faut combattre. Comme le dit Jean Bernardin « il faut éduquer à l’attention car l’immense majorité des erreurs sont des erreurs d’inattention…. Cette pratique (de la dictée…) permet à TOUS mes élèves d’être en réussite car chacun a intériorisé qu’écrire nécessite attention et réflexion, oblige à se construire des savoirs la langue devenant accessible à tous et le pari du TOUS CAPABLES, une réalité ».
Souvent dans les discours la pédagogie est réduite à une méthode. Or il s’agit lorsque l’on parle de pédagogie de la question des contenus de savoirs enseignés et de la manière dont on envisage le rapport entre le maître et l’élève et des valeurs que l’on porte dans nos pratiques pédagogiques. Vais-je former un enfant docile qui ne va se poser aucune question ou au contraire vais-je former de des jeunes gens dont l’école aura mobilisé l’intelligence tout au long du leur parcours pour éveiller leur curiosité, leur soif d’apprendre, des futurs citoyens dont l’esprit critique sera affûté, des jeunes gens capable de faire œuvre de création ou au contraire vais-je former des exécutants. Et bien l’Ecole forme les deux à la fois, sauf que le rôle d’exécutant est toujours dévolu à ceux qui ont plus d’origine sociale que d’autres. Nous devons mettre en débat toutes ces questions et bien d’autres, car l’émancipation humaine individuelle et collective, c’est ici et maintenant qu’il faut la penser, la mettre en œuvre. Ne laissons pas la droite libérale et la social- démocratie s’emparer exclusivement des questions de l’Ecole. Mettons les pieds dans le plat et entrons dans le débat ! « Les valeurs n’existent que dans les pratiques qui les construisent : c’est en cela que la pédagogie est fondamentalement politique. »

Daniel ROME,
Co- animateur du Réseau « Pour la Transformation Progressiste de l’Ecole