Rassurez-vous, nous ne sommes pas tombés sur la tête. Après avoir longtemps disserté sur ce que nous appelons la « catastrophe scolaire belge », nous n’avons pas subitement viré notre cuti en considérant notre pays comme un paradis de l’enseignement. Ce titre nous est néanmoins inspiré par un article du Soir qui tire les conclusions d’une enquête réalisée pour une grande banque. Quelque 4.100 personnes issues d’une centaine de pays ont été interrogées dans le cadre de cette enquête. Ces personnes séjournent temporairement à l’étranger, pour des raisons professionnelles ou autres. D’après l’étude, un système d’enseignement universellement reconnu est important pour les expatriés ayant des enfants. Et bien d’après ces expatriés issus du monde entier, c’est la Belgique qui est le meilleur endroit au monde où élever ses enfants, La moitié de ceux qui séjournent parfois dans notre pays indiquent que les frais pour élever leurs enfants chez nous sont moins élevés que dans leurs contrées d’origine, alors que 68 % pensent que la qualité de l’accueil et des soins des enfants est meilleure en Belgique.
Pourtant, d’après les enquêtes internationales – et la dernière enquête PISA publiée très récemment le confirme encore – la Belgique n’obtient pas un très bon score en ce qui concerne les niveaux moyens atteints par les élèves. Mais surtout elle est une catastrophe en ce qui concerne les inégalités : c’est chez nous que les écarts sont les plus grands entre les « meilleurs » et les « moins bons » élèves. Circonstance aggravante : ces inégalités sont étroitement corrélées aux origines sociales. Autrement dit, notre pays (et surtout sa partie francophone) n’arrive pas à scolariser positivement les jeunes issus des milieux socialement défavorisés.
Alors, contradiction avec l’enquête mentionnée ? Même pas. Les expatriés dont on parle ne sont pas les immigrés venus depuis plusieurs générations chercher des conditions de vie un peu meilleures que dans leurs pays d’origine. Pas plus que les réfugiés récents fuyant les persécutions et la misère. Il s’agit de fonctionnaires européens, de diplomates du monde entier ou de cadres de multinationales. Bref, ils appartiennent aux classes les plus aisées. Or, si les inégalités sont très fortes chez nous, c’est entre autres parce que nos écoles dites d’élite, celles qui scolarisent les publics les plus favorisés, obtiennent de très hauts scores aux tests internationaux. Pour ceux qui les fréquentent, et notamment les enfants d’expatriés, il n’y a donc pas de problème. Mais leurs compatriotes qui vivent dans les quartiers pauvres de nos grandes villes, qui trouvent très difficilement une place dans une école de qualité pour leurs enfants, qui voient ceux-ci fréquemment redoubler et encore plus fréquemment être « réorientés » par défaut (et sans qu’ils puissent vraiment s’y opposer) dans des filières de relégation, qui connaissent l’abandon scolaire et la sortie de l’enseignement obligatoire sans diplôme, ceux-là sont sans doute très loin de penser que « la Belgique est le meilleur endroit au monde où élever des enfants » …
Le Soir, 20/12/10