Début en fanfare pour cette nouvelle rubrique récurrente: le compte-rendu d’une activité palpitante et, qui plus est, parfaitement transposable sous toutes les latitudes. Une piste pédagogique « cinq étoiles », assurément, car, en réunissant des finalistes de 6ème générale de l’Athénée de Soumagne et de 7ème professionnelle de St Laurent Fléron, les organisateurs jetaient des ponts entre des jeunes issus de milieux, de filières et de réseaux différents, fréquentant, d’un côté, le cours de morale laïque et, de l’autre, celui de religion catholique, le groupe de Fléron étant constitué exclusivement de garçons, celui de Soumagne comptant une dizaine de jeunes filles.
Petit cocorico : le projet est né au sein de l’équipe de l’Aped de Liège, qui a pour particularité de réunir, entre autres, des professeurs de morale … et des professeurs de religion. Sa réalisation est un premier aboutissement de l’envie déjà ancienne dans ce groupe de faire sauter des verrous « historiques » du système scolaire belge. Chapeau à Stéphanie Franck et à Vito Dell’Aquila pour leur initiative, leur énergie et les nombreuses (dizaines d’) heures de préparation qu’ils y ont investies (et qu’ils nous livrent à travers ces lignes) !
Des objectifs
La rencontre avait pour objectifs d’amener les jeunes à s’exprimer (plus librement qu’au cours parce qu’on sort du contexte strictement scolaire), à débattre et à confronter leurs points de vue sur des thèmes qui les concernent (avec une palette très riche – général, professionnel, filles, garçons, morale laïque, religion catholique, étudiants musulmans, réseau officiel, réseau catholique …) et de leur amener quelques éléments de synthèse pour alimenter leur réflexion. Une mise au point préalable s’impose pour éviter tout malentendu : si le « cocktail de différences » composé pour la circonstance s’est avéré très productif, ces particularités, aux yeux des organisateurs, ne justifient pas l’existence de différents réseaux et filières d’enseignement concurrents. Au contraire, ils prônent une école commune publique. Le dialogue et la fécondité du travail de cette demi-journée auront d’ailleurs démontré à souhait que ces jeunes-là sont prêts.
Rencontre, mode d’emploi
Les enseignants ont d’abord vérifié auprès de leurs élèves respectifs que le projet les intéressait. Il leur aura aussi fallu obtenir l’aval des deux directions.
Quels seraient les thèmes abordés ?
– Avantages et inconvénients des deux filières d’enseignement, le général et le professionnel,
– Athéisme, religion, culture,
– Relations filles-garçons, couple et sexualité, en lien avec la culture.
De chaque côté, les élèves ont formulé des questions, sur les deux derniers thèmes, à destination de l’autre groupe.
Chacun des professeurs a passé une heure dans la classe de l’autre pour se présenter et préparer la rencontre.
L’implication des jeunes allait au-delà de la formulation de questions : plusieurs d’entre eux apportaient des spécialités culinaires, partagées lors du repas de midi. Ils ont aussi participé très activement aux préparatifs et au rangement des installations.
Le lieu choisi pour la rencontre devait être un « terrain neutre » et extérieur à l’école. L’Espace Loisirs de Fléron était l’endroit rêvé. Niché au pied de l’imposant terril de Retinne, devenu zone verte, il offre une grande salle de réunion, des terrains de sport et les barbecues de circonstance. Car cet après-midi devait allier réflexion et détente. En voici le programme, ainsi que les méthodes employées.
L’apéritif est pris deux par deux, chaque duo, tiré au sort, composé de jeunes des deux écoles. Objectif présentations.
Après le barbecue et le dessert, place aux choses sérieuses.
Pour traiter le premier thème, quatre sous-groupes « homogènes » sont composés : deux de 7P et deux de 6G. Le questionnaire est le même pour tout le monde : quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients respectifs de l’enseignement général et de l’enseignement professionnel ? Chacun des deux enseignants organisateurs circule dans les groupes de « l’autre école ». Chaque groupe note ses idées sur un panneau.
S’ensuit une réunion plénière où les réponses sont mises en commun. Des questions de clarification peuvent ensuite être posées. Un troisième enseignant (votre serviteur) prend des notes puis fait une synthèse (en y apportant des éléments théoriques sur le système d’enseignement belge, ses filières hiérarchisées, les différentes logiques qui s’y affrontent…)
Les deux autres thèmes seront abordés en plénière, sur base des questions écrites par chacun des groupes et sous forme d’un débat (qui nécessite un animateur expérimenté car les sujets sont passionnels).
Une pause permet de se rencontrer sur le terrain sportif (football, basket, pétanque).
Puis vient déjà le temps de l’évaluation … et du rangement.
Voilà pour la structure. Qu’en fut-il du contenu ?
Des échanges très riches en enseignements
La principale question traitée ce jour-là aura été celle de la comparaison des filières d’enseignement. Et force fut de constater une réelle convergence. Les perceptions des uns et des autres, loin de s’opposer, conduisaient à une même synthèse. Du côté du général comme du professionnel, les jeunes observent de graves lacunes (ici techniques, là intellectuelles). Apparaissent cependant de nettes différences de « destins sociaux » : si la filière générale oblige les étudiants à poursuivre des études supérieures, elle les conduira vers des postes plus valorisants (dans tous les sens du terme), avec plus de polyvalence. Les professionnels, s’ils sortent de l’école secondaire avec « un métier dans les mains », seront bien plus exposés aux accidents et maladies du travail, pour des revenus inférieurs. Par ailleurs, tout le monde s’accorde à reconnaître l’enjeu majeur d’une citoyenneté critique, cette capacité de comprendre le monde et d’y prendre position. Une citoyenneté qui suppose une formation générale et polytechnique pour tout le monde. Tous les jeunes présents autour de la table sont a priori capables de se développer dans ces deux dimensions. Mais mener de front la dimension générale et la dimension technique est impossible dans des limites horaires raisonnables (la trentaine d’heures de cours hebdomadaire). Ne pourrait-on dès lors imaginer : 1° un investissement massif de l’Etat dans le fondamental, pour que chaque enfant en sorte avec le bagage nécessaire, 2° une école commune jusqu’à 16 ans, essentiellement générale mais aussi polytechnique, 3° un dernier cycle secondaire à finalité plus orientée. Nos fidèles lecteurs auront reconnu des conclusions fort proches du programme de l’APED, « Vers l’école commune ». Il n’y aura pourtant pas eu de « manipulation » des participants. Juste cette question : quels sont, selon vous, les avantages et inconvénients respectifs des filières générale et professionnelle ?
Nous avons eu moins de temps pour débattre des nombreuses questions ayant trait aux religions, à l’athéisme, à la culture, aux relations filles-garçons, etc. Le débat se sera vite focalisé sur les limites, l’interdiction, l’égalité hommes-femmes, selon les différents milieux familiaux et culturels des jeunes participants. Le débat était plus passionnel, les positions plus tranchées. Mais la confrontation de points de vue différents, dans de bonnes conditions d’échange (convivialité, terrain neutre, animateurs expérimentés), ne peut qu’être utile, ouvrir quelques failles dans les logiques les plus fermées. Voilà une discussion qui nous aura confortés dans la conviction qu’il faut multiplier ce genre de rencontres, et, en parallèle, bien entendu, poursuivre le travail scolaire d’instruction.
Des perspectives plus ambitieuses
Pour les enseignants, cette activité était aussi un ballon d’essai, pour voir si on pourrait renouveler ce type d’expérience avec plus d’ambition. Les participants ont en tout cas exprimé leur satisfaction. Ils regrettaient que la rencontre n’ait pu s’étaler sur une journée entière. Voire plus. Une idée très intéressante aux yeux des enseignants : l’action pourrait se dérouler en deux temps, en début et en fin d’année. Les questions soulevées lors de la première entrevue seraient travaillées en classe, puis remises en commun en fin d’année. On pourrait ainsi mesurer l’impact des cours (philosophiques et autres) sur les convictions des jeunes. Et mieux comprendre leur rapport au savoir. Qu’est-ce qui joue le plus dans leurs représentations du monde ? La culture ? Les cours ? D’autres influences ?